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Modernisation, occidentalisation et réaction identitaire dans l'Iran contemporain (1797-1989)

Dissertation : Modernisation, occidentalisation et réaction identitaire dans l'Iran contemporain (1797-1989). Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  27 Avril 2018  •  Dissertation  •  10 199 Mots (41 Pages)  •  721 Vues

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Modernisation, occidentalisation et réaction identitaire dans l'Iran contemporain (1797-1989)

La mondialisation est un phénomène d’extension planétaire qui se déploie en tant qu’ouverture et accroissement des échanges. Processus englobant auquel aucune sphère de l’activité ne semble échapper et dont aucune nation n’apparaît en mesure de se soustraire, la mondialisation serait l’un des phénomènes les plus marquants de notre époque, menant à l’uniformisation du langage et des normes, donc des cultures. Or, cette mondialisation ne semble pas fusionner les cultures du monde dans une sorte de melting-pot égalitaire. Les normes, les références, les modes de consommation des sociétés occidentales sont clairement dominantes dans ce processus qui a été entamé à l’ère moderne par l’expansion européenne sur le monde. L’intégration à la communauté internationale, l’ouverture aux échanges internationaux s’est fait pour de nombreux pays par le biais unique de quelques puissances coloniales et impérialistes en compétition entre elles. Révélateur de ce rapport, en Iran, le mot « étranger » a le sens communément étroit d’« occidental ».

La modernisation fait référence à la transition d’une société traditionnelle vers une société moderne, par le biais de l’industrialisation et de l’urbanisation. Elle implique la rationalisation des structures économiques et sociales. Or, le modèle de la modernisation a été fixé par l’histoire européenne. On a ainsi utilisé le terme de modernisation pour étudier les stratégies suivies par les pays en développement pour arriver à la constitution d’une société moderne « à l’occidentale ». D’où le rapport compliqué de cette notion avec celle de l’« occidentalisation », soit l’adoption par des peuples différents des usages et des mœurs des pays occidentaux. Souvent, estimant la faiblesse de leur pays, des penseurs comme les « occidentalistes » russes du XIXe siècle ont considéré que sa modernisation nécessitait une occidentalisation en profondeur, devant atteindre même les formes les plus superficielles du mode de vie. Face à cette tendance, la réaction identitaire, souvent issue d’une crise de cette identité, consiste à rechercher l’essence menacée de son peuple. Zhou Ning, professeur de littérature à l’université de Xiamen, décrit le dilemme chinois de la modernisation et de l’occidentalisation en ces termes : « Ce à quoi la Chine aspire, c’est à la modernisation, et non pas à l’occidentalisation ; or la modernisation est en soi une sorte d’occidentalisation. Par conséquent, le mouvement de modernisation chinois s’enfonce dès le départ dans une contradiction intrinsèque inextricable. Avec la modernisation, le choix que la culture chinoise doit opérer n’est pas entre l’évolution et la mort, mais entre mourir dans l’immobilisme ou dans l’évolution. La Chine modernisée peut progresser ou évoluer, mais ce ne sera plus la Chine, elle deviendra une autre culture, et les Chinois une autre race. » L’on pourrait remplacer le mot « Chine » par « Iran » sans que cette citation ne perde de sens. Cette vision, loin d’être partagée par tout le monde, n’en souligne pas moins l’importance de la question soulevée par la nécessité ou non d’une dilution de l’identité d’un peuple dans une identité nouvelle, mondialisée, pour se « développer », voir tout simplement survivre. Cette question a jalonné toute l’histoire de l’Iran contemporain. En 1797 arrive au pouvoir la dynastie Qâdjâr. Marqué par le rétrécissement du territoire, leur règne est surtout celui de l’entrée dans la modernité et de la rencontre avec l’Europe qui étend son emprise sur le pays dans le cadre du « Grand Jeu » entre Russes et Britanniques. Derniers représentants d’une monarchie traditionnelle, une révolution en 1906 les oblige à se soumettre à une Constitution qui établit le premier parlement de l’histoire iranienne. Rétablissant en 1911 avec l’aide des Russes l’absolutisme, la Première Guerre mondiale voit le territoire s’émietter et s’affirmer des Républiques séparatiste. Décadente, la dynastie disparaît avec le Coup d’Etat de Rezâ Khân en 1921 qui établit le règne de la dynastie des Pahlavi. Dictateur autoritaire, il modernise les infrastructures du pays et fait adopter l'usage du mot « Iran », qui a toujours été celui du pays, en remplacement de « Perse » dans les usages internationaux. Il abdique sous la pression des Alliés en 1944 au profit de son fils Mohammad Rezâ Shâh. Après un épisode de révolte nationaliste dans les années 1950, il rétablit son pouvoir autoritaire à l’aide des Etats-Unis. Sous son règne et grâce à l’explosion du prix du baril de pétrole, l’Etat iranien connaît un enrichissement énorme accompagné de bouleversements sociaux sans précédents. Renversé par un soulèvement populaire en 1979, l’Iran devient une République islamique sous la direction du guide clérical Khomeini jusqu’à sa mort en 1989. Suite à la prise d’otage de l’ambassade américaine, le nouveau régime se met au ban de la communauté international tout en poursuivant une politique de désoccidentalisation de la culture iranienne. Tandis que le pays affaibli s’enfonce dans la meurtrière guerre Iran-Irak (1980-1988), le régime exécute les opposants et anciens alliés et durcit sa ligne islamiste. Se déclarant ouvertement ennemi du modèle de civilisation occidental, le nouveau régime est pourtant une République élisant au suffrage universel son président et portant un discours d’émancipation des peuples directement inspiré de la tradition occidentale. De 6 millions d’habitants, composés essentiellement de paysans et de nomades en 1800, l’Iran est passé à 55 millions d’habitants en 1989, quasiment totalement sédentarisés et majoritairement urbains. Pourquoi un pays qui n'a pourtant jamais été colonisé par l'Occident en est-il arrivé à produire un rejet ambigu du modèle occidental ? Nous verrons comment l’Iran des Qâdjâr connaît une expansion irrésistible de l’Europe, marquée par une première forme de résistance et de modernisation, puis comment le modèle européen semble s’imposer au XXe siècle comme l’unique solution, et enfin comment se construit et aboutit dans la République islamique la critique de l’Occident et de « l’Occidentalisme ».

  1. L'Iran des Qâdjâr et l'expansion irrésistible de l'Europe (1796-1906)

Dès le début du XIXe siècle, la Perse entre dans les conflits impériaux du siècle en tant qu'Etat souverain, sans en maîtriser les outils nécessaires pour défendre ses intérêts. Cela amène une remise en cause de ses élites qui cherchent alors à moderniser les institutions du pays.

  1. Le « Grand Jeu » et l'ingérence européenne

L’Iran se retrouve au XIXe siècle soumis à un jeu d’influence entre empires coloniaux. Déjà en 1622, les rois Séfévides avaient grâce à l’aide des Anglais chassé les Portugais du détroit d’Ormuz. L’ennemi ottoman est au XIXe remplacé dans par le nouvel ennemi russe. S’étant étendu en Asie centrale et au nord du Caucase, les visées de cet empire rentrent naturellement en conflit avec l’Iran. Un document officiel sous Catherine II, considéré comme le testament politique de Pierre le Grand expose clairement cela : « Approcher le plus possible de Constantinople et des Indes. (…) hâter la décadence de la Perse ; pénétrer jusqu'au golfe Persique ». La Russie est la porte par laquelle les Iraniens découvrent l’Europe : violente, dominatrice mais tourné vers le progrès et les réformes. Et déjà la culture russe pénètre l’Iran avec l’exportation de ses marchandises, le thé russe remplaçant le café comme boisson préférée des Iraniens. L'Angleterre et la France dès l'extrême fin du XIXe siècle voit la Perse sous l'ornière de l'Inde. Les Anglais cherche à s'allier à la Perse pour un en faire un glacis protecteur de leur empire en Inde, tandis que Napoléon rêve d'envahir le sous-continent par le nord. Le retournement d'alliance entre Français et Russes convainc finalement l'empereur iranien Fath-Ali Shâh de s'allier aux Anglais. Dès 1809, l'Angleterre signe le premier traité d'alliance avec la Perse. Mais la Perse commet durant la guerre de Crimée (1853-1856) un retournement d'alliance au profit de la Russie et tente de conquérir l'Afghanistan persanophone. L'Angleterre soucieuse de maintenir un glacis protecteur en Afghanistan entre son empire des Indes et le reste de l'Asie, envahit l'Iran et lui impose le traité de Paris (1857) qui consacre la prépondérance anglaise sur l'Iran, prépondérance menacée par l'influence grandissante de la Russie au tournant du XXe siècle grâce à ses nombreux prêts au gouvernement iranien. Le traité anglo-russe de 1907, tout en maintenant la fiction d'une souveraineté totale de l'Iran, définit néanmoins les zones d'influences respectives des deux puissances impérialistes, démontrant la situation de terrain d'influence qu'est devenu l'Iran. Ce jeu des puissances étrangères a profondément marqué l'imaginaire des Iraniens qui jusqu'à aujourd'hui ont tendance à imaginer, à tort ou à raison, que leur sort se décide à Saint-Pétersbourg et Moscou, ou surtout à Londres et, dans sa continuité, à Washington.

La faiblesse économique et militaire de la Perse permet aux étrangers d'arracher des privilèges exorbitants, et de pénétrer progressivement la société iranienne. Deux traités humiliants sont imposés aux Iraniens suite aux guerres entre l'empire qâdjâr et l'empire russe. Les traités du Golestân (1813) et de Torkamantchay (1837) concèdent la majeure partie du Caucase à la Russie. Mais au-delà des questions territoriales, ce sont les concessions de souveraineté qui sont les plus importants. Avec le traité du Golestân, la Russie s'arroge le droit d'interférer dans la désignation du prince héritier de la dynastie alors que le traité de Torkamantchay établit un régime de « capitulations », privilèges qui permettent aux marchands et aux marchandises russes de jouir de l'extraterritorialité juridique sur le territoire persan. L'empire ottoman déjà avait accordé des capitulations aux Français en 1569. Ces capitulations sont progressivement étendues à tous les marchands étrangers en vertu de la clause de la nation la plus favorisée. Elles renversent diamétralement le statut des étrangers en Iran qui jusque-là n'avaient quasiment aucun moyen de faire entendre leurs voix, en vertu de leur nationalité et de leur religion, en cas de litige avec un sujet iranien musulman. De plus, les marchandises étrangères se libèrent de tout péage intérieur contrairement aux marchandises nationales. Cela suscite le ressentiment des marchands persans, certains allant jusqu'à solliciter la protection des légations étrangères pour jouir des privilèges associés au statut d'étranger. L'abolition temporaire du droit d'asile dans les sanctuaires en 1850 provoque un afflux du nombre d'Iraniens demandant la protection des britanniques, ce qui mène Nâser od-Din Shâh à mettre en garde son vizir contre cette pratique : « Si nous n'y prenons pas garde, toute la nation va progressivement devenir anglaise ». Formellement abolie par le traité de Paris en 1857, cette pratique de la protection diplomatique a continué néanmoins sporadiquement.  

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