Rhinocéros, Eugène Ionesco
Dissertation : Rhinocéros, Eugène Ionesco. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar pierrot45 • 8 Avril 2018 • Dissertation • 1 384 Mots (6 Pages) • 3 241 Vues
Texte n°2 :La première apparition du rhinocéros p.21-26 de « Nous avons fêté l’anniversaire d’Auguste… » à « Il sort son mouchoir, se mouche » p.26
Intro : Alors que Jean déplore la saleté de l’apparence de Bérenger, son goût pour la boisson et les désordres de sa conduite, un barrissement et d’énormes bruits de galop se font entendre. Jean reconnaît un rhinocéros. Tous excepté Bérenger réagissent.
Nous verrons les éléments qui font de cette première apparition du rhinocéros, une farce tragique.
1. La représentation d’une situation insolite : le passage d'un rhinocéros
a) L'importance de la bande-son
- L'extrait s'ouvre alors que les personnages sont en pleine conversation, mais parole bientôt dominée par un bruit de fond allant crescendo et qui va peu à peu être identifié. Les indications scéniques sont ici d'une extrême précision : « un bruit très éloi gné », « un souffle de fauve », « un long bar rissement »p.21, « les bruits sont devenus très forts » (p22), « Les bruits sont devenus énormes », « Les bruits du galop d'un animal r...] tout proches » (p. 22).
- Après le passage du rhinocéros, on retrouve la même séquence sonore en decres cendo Les bruits [.. .] s'éloigneront... » (p. 22) ou « Les bruits produits par celui-ci vont en décroissant » (p. 25) ou « Les bruits [...] se sont bien éloignés » (p. 26).
- Prise de conscience de ce bruit par les personnages progressive. Leur perception est rendue sen sible au spectateur — par l'augmentation du volume de la voix de Jean ( « criant presque pour se faire entendre »p.22), puis par l'interrup tion de son discours (« je n'en serais pas venu, car... »p.22), et par sa double interrogation (« Que se passe-t-il ? », « Mais qu'est-ce que c'est ? »p.22).
- L'intensité croissante apparaît éga lement dans le fait que la réponse de Béren ger est inaudible, pour Jean comme pour le spectateur « on n’entend pas ce qu’il dit » p.22
b) Les jeux de regards
- la gestuelle de Jean (« regarde du côté de la coulisse de gauche, en montrant du doigt », p. 22) concrétise la présence d'un rhinocéros littéralement invi sible sur scène.
- Ce jeu de regards est repris par les diffé rents personnages à la page 23 (« tous suivent du regard ») et aux pages 23et 24, où il est encore renforcé par les mouvements de tête ( « montre sa tête » « montrant sa tête » « sortant sa tête » « on verra la tête du Vieux Monsieur »etc.
- Le passage du rhinocéros est aussi per ceptible à travers les commentaires des personnages qui décrivent son trajet et permettent au spectateur de l'imaginer : Jean « Il fonce droit devant lui, frôle les étalages ! » p.23 ou le Logicien : « Un rhinocéros, à toute allure sur le trottoir », p. 23, par exemple.
c) Le désordre sur la scène
- Le désordre instauré sur scène par le passage du rhinocéros est rendu sensible par les mouvements précipités des personnages : Jean se lève d'un bond, fait tomber sa chaise », p. 22 ; le Logicien venant vite en scène par la gauche », p. 23 ; la course de la ménagère, p. 24 ; « le vieux monsieur [...] se précipite [...] les bouscule, entre », p. 24 ; l'épicière « bousculée et bousculant son mari », p. 25.
- La représentation des provisions de la ménagère répandues sur le sol (p. 24) « laisse tomber son plateau »comme la poussière qui envahit le plateau « La poussière soulevée par le fauve se répand sur le plateau »(p. 24) + réplique finale de Bérenger « Ca en fait de la poussière » p.26) accen tuent l'impression visuelle de désordre. Dès lors, l'arbre poussiéreux signalé dans la didas calie initiale (« Un arbre poussiéreux près des chaises de la terrasse » ) p.13 de la pièce peut alors être inter prété à posteriori comme le signe de la pré sence latente de la rhinocérite .
2. Le surgissement de l'insolite : un ressort du comique ?
a) Les réactions des personnages devant l'insolite
- Curiosité initiale (répétition de « qu'est-ce que c'est ? »)p.22 + l'étonnement devant l'incroyable (répéti tion de « Oh ! un rhinocéros ! »)p.23-24 mais aussi l'incrédulité et peut-être la frayeur.
- La scène est enfin scandée par les « oh ! » et les « ah ! » des personnages présents, et par la succession de « ça alors ! ». Le passage du rhinocéros est aussi ponctué d'une série d'éternuements (p. 26).
- Les gestes trahissent quant à eux la perte de contrôle et de civilité (premier signe peut-être de la dégrada tion de la civilisation des hommes) : ainsi le vieux monsieur bouscule les épiciers « Le Vieux Monsieur élégant venant de la gauche…se précipite…les bouscule » p.24.
Ces différents éléments recouvrent une dimension comique, notamment par le méca nisme de répétitions qui rythment la scène (on pourra ici reprendre l'analyse de Bergson i
- pour lequel l'une des sources du comique est « de la mécanique plaquée sur du vivant », in Le Rire) et par le jeu des réactions simulta nées (p. 26 : répétition de « Ca alors ! »), qui crée une sorte de choeur disharmonieux. C'est en effet la cacophonie qui domine ici, cacophonie accentuée par la rapi dité avec laquelle la scène doit être jouée selon Ionesco (« toute la scène doit être jouée très vite », p. 22). Face à l'événement, les personnages adoptent un comportement sté réotypé et ne s'interrogent pas véritablement sur la présence surprenante du rhinocéros.
b) Le cas Bérenger
- Comme depuis le début de la pièce, Bérenger est ici un personnage à part, qui ne semble pas concerné, comme le souligne la didascalie « sauf Bérenger » p.26 il garde son indolence : « toujours indolent » « toujours un peu vaseux »; « un peu endormi » ; « toujours apathique » et ne participe pas à l'agitation géné rale : assis, il « écarte sim plement un peu la tête » et ne s'asso cie pas au concert des voix : « sans rien dire ». Il semble donc imperméable au com portement des autres personnages, aux réac tions de foule.
- Cependant, il est le seul à souligner, la conséquence perturbatrice de l'événement : la poussière, qui semble susciter chez lui davantage de gêne que de surprise (« il fait simplement la gri mace », p. 25, mimique que l'on pourrait interpréter comme le premier rejet intuitif par Bérenger des rhinocéros).
- Bérenger est donc un personnage décalé, un être qui apparaît comme immunisé contre la rhinocérite parce qu'im propre à ressentir les émotions collectives. Ce décalage peut être lui-même source de comique, mais peut aussi souligner, de manière plus inquiétante, cette sorte d'hysté rie collective qui s'est emparée des autres personnages.
c) Un tragique latent
- L'hystérie collective qui s'empare des per sonnages est comparable à ces phénomènes de foule décrits par Ionesco dans sa préface à Rhinocéros de 1960. Les réactions similaires des personnages construi sent l'image d'une foule qui agit comme un seul homme. On pourrait lire dans ce phéno mène la première victoire des rhinocéros ; l'individu semble disparaître derrière le col lectif, attitude propice à la contagion rhinocé rique.
- Repré sentation de la force brute et sauvage incar née par le rhinocéros. La ménagère serre contre elle son chat, qui deviendra un peu plus tard la première victime de la rhinocérite ; le désordre règne sur le plateau après le passage de l'animal. On assiste surtout à une faillite de la parole humaine, la communication verbale entre les personnages est interrompue, puis rendue impossible par le passage du rhinocéros; la parole est vide et répétitive ou réduite aux cris, sortes de prémisses aux barrissements qui au fil de la pièce remplaceront le langage humain. La destruction de la civilisation est en marche.
Conclusion
On pourra souligner la force de l'écriture scénique de Ionesco par la place accordée aux élé ments non verbaux qui font ici sens le mélange des registres : une farce tragique. Ce passage est aussi à relier (à la seconde apparition du rhinocéros dans le même acte. De plus, les réactions semblables des personnages préfigurent la contamination. Seul Bérenger semble différent et annonce ainsi le dénouement final.
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