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Balzac, la peau de chagrin : le pacte avec la peau

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Par   •  19 Mars 2023  •  Fiche de lecture  •  6 112 Mots (25 Pages)  •  3 500 Vues

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Etude linéaire : Le pacte avec la peau

Texte 6 : Honoré de Balzac, La peau de chagrin, 1831, de : « Ceci, dit-il d’une voix éclatante », jusqu’à : « une dernière étreinte pour en mourir. ».

Ceci, dit-il[1] d’une voix éclatante en montrant la Peau de chagrin, est le pouvoir et le vouloir réunis . Là sont vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos intempérances, vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre ; car le mal n’est peut-être qu’un violent plaisir. Qui pourrait déterminer le point où la volupté devient un mal et celui où le mal est encore la volupté ? Les plus vives lumières du monde idéal ne caressent-elles pas la vue, tandis que les plus douces ténèbres du monde physique la blessent toujours ; le mot de Sagesse ne vient-il pas de savoir ? et qu’est-ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ?

— Eh ! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu en saisissant la Peau de chagrin.

— Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.

— J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée ; mais elles ne m’ont même pas nourri, répliqua l’inconnu. Je ne veux être la dupe ni d’une prédication digne de Swedenborg[2], ni de votre amulette orientale, ni des charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir dans un monde où mon existence est désormais impossible. Voyons ! ajouta-t-il en serrant le talisman d’une main convulsive et regardant le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide, quelque bacchanale[3] digne du siècle où tout s’est, dit-on, perfectionné ! Que mes convives soient jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie ! Que les vins se succèdent toujours plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois jours ! Que la nuit soit parée de femmes ardentes ! Je veux que la Débauche en délire et rugissante nous emporte dans son char à quatre chevaux, par-delà les bornes du monde, pour nous verser sur des plages inconnues : que les âmes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles s’élèvent ou s’abaissent ; peu m’importe ! Donc je commande à ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une dernière étreinte pour en mourir. 

Eléments d’introduction :

Publication de la peau de chagrin en 1831, peu après la révolution de Juillet, qui marque l’échec de la restauration ?

Œuvre classée parmi les Etudes philosophiques, l’auteur interroge la question du désir, qu’il représente comme une puissance destructrice suscitant finalement la ort de son personnage principal.

Pour Balzac, chaque homme disposerait d’un capital d’énergie que le désir et la volonté entament.

Dans ce roman, la peau de chagrin incarne ce capital d’énergie vital qui diminue à chaque manifestation de la volonté.

Entré dans un magasin d’antiquaire alors qu’il songeait à se suicider dans la Seine, Raphael est subjugué par une peau de chagrin à l’inscription mystérieuse : elle exaucerait tous ses désirs en échange des jours de sa vie.

Dans cet extrait, Raphael, le personnage principal du roman, accepte le pacte maléfique avec le Talisman malgré les mises en garde de l’Antiquaire sur les pouvoirs étranges de la peau.

Alors que dans un premier temps, la peau accomplissait le désir de vivre du personnage, le sortant de la tentation du suicide, le texte fait observer ici, comment par son fonctionnement, elle fait voir derrière tout désir, tout plaisir, le visage de la mort qui s’approche, faisant d’elle un objet hautement ambigu.

Plan possible :

Mouvement 1 : de : « Ceci, dit-il[4] d’une voix éclatante » jusqu’à : « d’un pouvoir » : A travers le discours argumentatif de l’antiquaire, l’auteur expose une leçon de vie sur la meilleure façon de dépenser son énergie vitale, au regard de l’usage majoritaire qu’en font les individus dans sa société.

Mouvement 2 : de : « Eh ! bien, oui, je veux vivre » jusqu’à : « désormais impossible. » : Face à la leçon de vie de l’antiquaire, nous expose ensuite la réaction de son personnage principal, qui, au regard de ses premières expériences de vie, choisit son camp, choix qui se présente comme un symptôme d’une société déréglée.

Mouvement 3 : de : « Voyons ! ajouta-t-il » jusqu’à : « pour en mourir. » : L’auteur poursuit l’exposition du désir de Raphael, en en détaillant une peinture fantasmée : celle d’une société matérialiste et corrompue.

Mouvement 1 : de : « Ceci, dit-il[5] d’une voix éclatante » jusqu’à : « d’un pouvoir » : A travers le discours argumentatif de l’antiquaire, l’auteur expose une leçon de vie sur la meilleure façon de dépenser son énergie vitale, au regard de l’usage majoritaire qu’en font les individus dans sa société.

Contextualisation : Après la découverte et la description des pouvoirs extraordinaires de la peau, l’Antiquaire expose au personnage principal sa théorie de la vie humaine à travers elle.

Ce qui ressemblait à un dialogue se transforme en discours qui dispense une leçon de vie, de sagesse, fondée sur l’expérience personnelle.

Le texte s’ouvre sur une exhibition, théâtralisation, de la peau de la peau de chagrin, montrée à Raphael et au lecteur. L’antiquaire est celui qui par son discours introduit l’objet magique dans le destin du personnage et à cet effet, le moment est crucial, dramatique. Plusieurs procédés tendent à produire cet effet

  • L’emploi du déictique initial : « ceci » pose l’objet comme un élément dramatique, et non décoratif : le mettant devant nos yeux.
  • L’emploi du verbe d’action au gérondif : « en montrant » donne à imaginer le geste de mise au premier plan du talisman, en en actualisant le mouvement : le lecteur assiste en même temps que Raphael à cette exhibition
  • Le lexique de la parole comme le verbe de parole : « dit » dans la proposition en incise, ainsi que « voix » : donne à la scène une dimension théâtrale, comme si l’antiquaire était le présentateur de l’objet : comme s’il participait à l’entrée en scène de l’objet dans la vie du personnage en guise d’annonceur, comme le rôle que peut avoir le coryphée au théâtre de présenter l’action et d’en faire présager l’issue. La parole joue un rôle prophétique et magique.
  • L’adjectif : « éclatante », pour désigner la façon particulière qu’a l’antiquaire de présenter la peau, est caractérisant : il introduit la dimension spectaculaire, extraordinaire à l’objet, mais il renvoie aussi au lexique de la lumière, et en ce sens participe à son entrée en scène, sa mise en « lumière » sous nos yeux ébahis. La notion d’éclat participe à faire de l’objet un objet magique, étrange, mais aussi mystérieux, voire dangereux.

Après avoir mis au premier plan de l’action l’objet de toutes les attentions, l’antiquaire en définit les pouvoirs. Il le présente comme un objet de cristallisation des désirs de la nature humaine.

  • L’emploi des verbes substantivés : « le pouvoir », « le vouloir » au singulier : met en relief, l’idée d’un objet concentrique, qui cristallise l’ensemble des énergies vitales de la nature humaine : elle a le « pouvoir » de satisfaire tous les désirs (le « vouloir ») de son propriétaire. Elle apparaît donc comme un objet fantastique, attractif pour celui qui le possède.
  • La substantivation des verbes, l’adjectif : « réunis » ainsi que le nouveau dectique : « là » : confirme ce principe de cristallisation. Il est comme un écrin, qui renferme tous les savoirs, mouvements et énergies de l’âme humaine.

En même temps qu’il en présente les pouvoirs « attractifs », il montre également que la peau répond aussi à un état d’esprit social, « un besoin sociétal », dont elle se fait le miroir, état d’esprit, lequel est très largement critiqué.

La première trace de la critique se traduit dans la posture de l’antiquaire qui se désolidarise de ses contemporains

  • Comme le montre l’emploi des déterminants possessifs : « vos » dans : « vos idées sociales », « vos désirs », « vos joies », qui, dans sa reprise anaphorique martèle et pointe du doigts les mauvaises attitudes sociales

Ensuite, ce qui est condamné, c’est l’excès, la dépense d’énergie démesurée dans hommes dans la société de son époque.

  • Le champ lexical de l’excès et l’emploi des termes au pluriel traduisent l’attitude démesurée des hommes avec les adjectifs : « excessifs », pour caractériser les désirs de l’homme, l’adverbe de quantité « trop » dans l’expression : « trop vivre », le préfixe privatif : « in » dans : « intempérance », pour mettre en exergue le manque de mental neutre.
  • L’allitération en (s) qui traverse les termes : « sociales », « désirs », « excessifs » ou encore dans « intempérance » : se fait entendre le son du serpent tentateur qui fait de la peau l’objet par lequel le mal adviendra.
  • La forme énumérative de la phrase rend aussi compte d’un effet cumulatif et mime cette idée/ nécessité de la société de cherche à accumuler, sans relâche des plaisirs et des joies.

Pour autant, qu’elle apparaisse dans un premier temps, extraordinaire, et attractive aux yeux de Raphael et du lecteur, l’antiquaire n’expose pas moins la dangerosité des pouvoirs de la peau, en mettant en relief le paradoxe qu’elle renferme. Elle permet certes de vivre, avec force, et sur énergie, mais elle apporte aussi la mort.

  •   L’antithèse et le chiasme contenu dans : « vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre » : traduit l’idée prônée par l’antiquaire que l’excès de plaisir, la dépense excessive d’énergie conduit à une mort imminente. Vie et mort sont entremêlées pour en exposer la fragilité si l’on ne prend pas garde ;

Plus largement, L’antiquaire adopte la posture d’enseignant philosophe, qui dispense une vision personnelle de la société, qu’il érige en vérité. Le registre didactique est à l’œuvre dans son discours à travers :

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