DissertationsEnLigne.com - Dissertations gratuites, mémoires, discours et notes de recherche
Recherche

Critique de la société du XIXe par les auteurs du fantastique

Mémoire : Critique de la société du XIXe par les auteurs du fantastique. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  4 Mai 2024  •  Mémoire  •  11 615 Mots (47 Pages)  •  34 Vues

Page 1 sur 47

Wendy Gonzales        Master 1 LEMMEA

I. Mimesis exacerbée

        A. La ville comme miroir de la dualité sociale / le caractère double de la ville

Le fantastique, bien que diamétralement opposé au réalisme, puise ses racines dans le réel, autrement dit dans les choses elles-mêmes, les faits concrets, ce qui existe. Aristote considère cet art comme mimesis de la nature, de même que Roman Jakobson lui donne pour objectif de « reproduire la réalité avec un maximum de vraisemblance ». Cette idée a permis aux auteurs de conférer une valeur polémique à leurs textes en introduisant des phénomènes surnaturels dans un contexte réaliste, jouant avec les frontières du réel et offrant aux lecteurs une nouvelle perspective sur le monde qui les entoure. Une série de négations transforme chaque catégorie du réalisme et transporte ainsi le lecteur vers le domaine fantastique : im-possible, ir-réel, sans-nom, in-forme, in-connu, in-visible.[a] Face à ce bouleversement les événements communs se trouvent transformer, le phénomène fantastique semble pouvoir alors apparaître partout. Ce partout, connu pour le lecteur, offre une sorte d’illusion référentielle aidant le lecteur à croire et se projeter à la place du personnage.[b]

Ce « partout » se traduira, dans cette étude, par l’apparition du phénomène dans les lieux accueillant la société moderne du XIXe siècle. En effet, la ville se révèle être le cadre privilégié dans un certain nombre de récits fantastiques. À l’inverse des campagnes où les récits se transmettent principalement par voie orale, les citadins sont généralement des  personnes lettrées. Il faudra attendre des réformes éducatives telles que la loi Ferry de 1881 en France, pour rendre possible l’alphabétisation de masse.

La société britannique marquée par le code moral victorien, des normes sociales et religieuses rigides, présente des vides institutionnels et des contradictions, et offre un terrain propice au développement du fantastique. En effet, en Grande-Bretagne, le droit coutumier est solidement établi mais pas écrit, rendant les valeurs morales et juridiques variables. Ce concept se manifeste dans les romans fantastiques par la dualité de la ville. Elle est divisée entre les faubourgs aristocratiques dont sont issus les personnages et les bas quartiers qui cachent leurs déviances et actes abominables.

Dans les récits fantastiques, la ville devient un miroir de cette dualité, avec une prolifération de la criminalité dans les arrondissements lugubres, offrant matière aux écrivains dans la création de leur personnage, qui devient une caricature de la société. Cette duplicité est particulièrement frappante dans le roman d’Oscar Wilde, où la ville de Londres est décrite de manière à représenter les différentes facettes de la société. En se dirigeant vers l’Est pour rejoindre sa promise Sybil Vane, Dorian Gray emprunte le même chemin que le premier meurtrier de l’histoire, Caïn. Ce rappel biblique annonce dés lors le tragique destin que va rencontrer le personnage[c]. De cette manière, le jeune dandy s’enfonce vers « les pires laideurs de la grande cité » (the sordid shame of the great city[1]). On remarque un contraste entre le superlatif « pires laideurs » qui a une connotation péjorative et l’aspect valorisant de la « grande cité ». L’idée est d’autant plus marqué dans la version originale, le « sordide » (sordid) fait référence à la bassesse extrême des quartiers infectes et miséreux considérés comme honteux (shame) par les habitants de cette grande ville. La dualité entre la grande cité et les bas quartiers est une métaphore qui représente la position dans laquelle se place les plus riches face au peuple dans la pyramide sociale et révèle par la même occasion la vision dépréciative que la société mondaine porte sur ces quartiers. Toutefois, les bonnes manières ne semblant pas exister dans cette partie de la ville, Dorian Grey ne prend pas de pincettes pour mettre fin à son idylle avec la belle Sybil. Après l’avoir rejeter violemment, il s’engouffre dans « un labyrinthe de rues infectes et d’affreux squares » (a labyrinth of grimy streets and black, grassless squares[2] ). Il y perd tous ses repères et erre dans ce dédale de chemins. Cette image de labyrinthe représente alors à quel point son esprit a été embrouillé par cette ville et ses quartiers sombres qui ont transformé son comportement au point d’en oublier qui il est. Il conserve toutefois encore un peu de lucidité et tente d’échapper à cette tourmente et à ces espaces qui l’oppressent.

« He remember wandering through dimly-lit street, past gaunt black-shadowed archways and evil-looking houses. […] Drunkards had reeled by, cursing and chattering to themselves like monstrous apes. He had seen grotesque children huddled upon door-steps, and heard shrieks and oaths from gloomy courts[3]. »

Le côté sombre de Londres est caractérisé par l’architecture gothique avec ses « voûtes sombres » et ses « cours obscures » rappelant les romans noirs desquels sont inspirés les récits fantastiques. Cette combinaison de mots apporte un effet puissant pour transmettre l’atmosphère gothique effrayante, menaçante et maléfique de la ville avec ses habitants « monstrueux ». En effet, la description que fait Wilde des personnes qui croisent le chemin de Dorian déborde de comparaisons péjoratives. Les ivrognes sont comparés à des « singes monstrueux » (montrous apes) et les enfants deviennent des êtres « grotesques ». Le garçon paraît totalement détaché de ce monde, il ne prête que « vaguement » attention à ce qui l’entoure. Les gens autour de lui ne sont pas clairement identifiés. Dorian ne semble pas les observer mais seulement les entendre. Les termes employés (« grommelant », « cris », « jurons ») provoquent un vacarme incompréhensible duquel il souhaite se soustraire. Les salons aristocratiques sont bien loin de cette réalité à laquelle Dorian fait face. Bien qu’il ne se rende pas compte des conséquences de ses actes, ce passage présente la différence entre les deux mondes auquel le personnage appartient : le premier, un monde doré dans lequel il a grandi, le second une société qui accepte ses changements[d] et qui est prête à l’accueillir. [e]Ainsi, cet extrait reflète la descente de Dorian dans les ténèbres. La destruction de Sibyl le met sur la voie de la corruption. Il tente de s’en échapper et de se sortir de la culpabilité qui commence à le ronger. Une fois hors de ces sinistres quartiers, il retourne à sa réalité et s’éloigne de ses péchés.

« As the dawn was just breaking, he found himself close to Covent Garden. The darkness lifted, and, flushed with faint fires, the sky hollowed itself into a perfect pearl. Huge carts filled with nodding lilies rumbled slowly down the polished empty street. The air was heavy with the perfume of the flowers, and their beauty seemed to bring him an anodyne for his pain. […] A white-smocked carter offered him some cherries. He thanked him, wondered why he refused to accept any money for them, and began to eat them listlessly[4]. »

De retour à Coven Garden, le temps s’éclaircit, les couleurs réapparaissent, les gens se révèlent accueillants et l’ambiance devient plus calme[f]. Dorian Gray redevient le respectable aristocrate. Les paroles de Lord Henry prennent alors tout leur sens « le crime appartient exclusivement aux classes inférieures[5] » (crime belongs exclusively to the lower orders). Son mauvais comportement ne semble pas avoir d’importance dans les bas quartiers[g].

Cette représentation grotesque de la criminalité et de la pauvreté dans la capitale est très répandue dans les romans fantastiques. On retrouve cette même description lugubre et inquiétante d’un quartier de Londres permettant au monstre qu’est Hyde de se balader sans se soucier d’être vu.

« The dismal quarter of Soho seen under these changing glimpses, with its muddy ways, and slatternly passengers, and its lamps, which had never been extinguished or had been kindled afresh to combat this mournful re-invasion of darkness, seemed, in the lawyer’s eyes, like a district of some city in a nightmare[6]. »

Ici aussi, on retrouve cette accumulation de termes péjoratifs qui compare de manière induite ces quartiers pauvres aux bourgeois. Boue, ténèbres, combat, offensifs, lugubre, cauchemar… tout un champ lexical se rapprochant de la guerre se déploie dans ce court passage laissant entrevoir la vision de notaire. Le rappel de son métier marque d’autant plus cette brisure entre les deux mondes. En évoluant dans de tels espaces inhospitaliers et sinistres, les personnages [h]se fondent dans le décor, ils respectent les normes sociales instaurées mais profitent des failles et des contradictions du système. Malgré les divers crimes qu’ils commettent, ils semblent à chaque reprise échapper aux conséquences de leurs actes. Dorian Gray se dérobe à la mort de Sybil Vane puis à celle de Basil Hallward par une cascade de hasards providentiels. Jekyll sous les traits de Hyde piétine une fillette et parvient à se sortir de ce mauvais pas en signant un simple chèque de dédommagement aux parents. Tous deux ne semblent alors pas troubler l’ordre social et ne font que pousser à l’extrême les défaillances de la société. La décadence humaine se dévoile alors dans toute sa splendeur. Stevenson et Wilde, explorent ces lieux comme des reflets des ténèbres intérieures de l'âme humaine. Ces quartiers deviennent le théâtre où les vices les plus profonds peuvent se manifester sans entrave, échappant aux regards scrutateurs de la haute société.

...

Télécharger au format  txt (78.3 Kb)   pdf (289 Kb)   docx (57.9 Kb)  
Voir 46 pages de plus »
Uniquement disponible sur DissertationsEnLigne.com