Dans Gargantua, le rire ne sert-il qu'à créer une distance critique envers le savoir ?
Dissertation : Dans Gargantua, le rire ne sert-il qu'à créer une distance critique envers le savoir ?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar souhaila3 • 2 Janvier 2023 • Dissertation • 1 352 Mots (6 Pages) • 868 Vues
Dans l'Antiquité, une histoire très répandue est celle du rire de la servante de Thrace. Le mathématicien Thalès se promenait en observant les étoiles, mais à force de regarder le ciel, il finit par tomber dans un trou, déclenchant le rire d'une servante qui se trouvait là.' Ainsi, à cette époque déjà, le rire semble avoir pour vocation de mettre à distance le savoir, de se moquer du savant, et de regarder d'un oeil critique toutes les connaissances humaines.
Dans Gargantua, célèbre récit paru en 1534, contant les aventures d'un géant, Rabelais semble lui aussi adopter la même distance critique à l'égard du savoir : en effet, on rit franchement des élucubrations de tel ou tel savant, que ce soit une autorité antique ou un personnage du récit.
Cependant le rire se réduit-il à cette fonction critique ? Dans quelle mesure est-il conciliable avec l'éloge des connaissances et de la réflexion ?
Si le savoir fait effectivement l'objet d'une satire au fil du récit, on peut aussi relever l'éloge du savoir auquel ce rire contribue. Le rire est donc foncièrement ambivalent, ce qui suppose que c'est au lecteur de construire par lui-même un savoir individuel qui le conduira vers la sagesse.
Tout d'abord, Différents savoirs font l'objet d'une satire dans Gargantua, et ce dès le début du roman, lorsque la narration est explicitement prise en charge par Alcofribas, dont l'érudition est aussi prétentieuse que ridicule. Par exemple, la fin du chapitre 6, qui raconte la naissance de Gargantua par l'oreille, se moque de l'Histoire naturelle de Pline qui raconte des naissances invraisemblables. En appeler à l'autorité d'un auteur de l'Antiquité fait partie des habitudes des savants de l'époque : Rabelais pastiche ainsi le discours érudit pour nous inviter à le considérer avec circonspection. Fontenelle, dans «la Dent d'Or », nous invitera de même à considérer avec méfiance les écrits universitaires, qui sont parfois, à son époque, de simples compilations.
En outre, ce n'est pas seulement dans la narration que le savoir est mis à distance, et moqué, c'est aussi dans l'histoire elle-même, à l'aide de personnages comme Thubal Holoferne, le mauvais maître sophiste, au chapitre 14, et Janotus de Bragmardo, le mauvais rhétoricien sorbonnard, au chapitre 19. Pour ce dernier, on remarque en effet que ce n'est pas seulement le lecteur ou la lectrice qui rit de son savoir ridicule et prétentieux, mais les personnages eux-mêmes : « Le sophiste avait à peine achevé que Ponocrates et Eudémon éclatèrent de rire, si fort qu'ils crurent rendre l'âme à Dieu ». On retrouve également dans Micromégas un faux savant qui déclenche l'hilarité des deux géants: le Docteur de la Sorbonne, au chapitre 7, qui est très impoli et qui soutient que dieu a créé l'univers entiers pour les hommes. Cependant, même si le rire instaure une distance critique face aux savoirs et aux savants, ce n'est que par rapport à un certain type de savoir et de savants. Dans le même temps, en effet, le savoir en lui-même continue à être célébré.
Relevons tout d'abord que que dans les passages comiques, le savoir n'est pas forcément la cible de Rabelais, il peut au contraire accompagner la mise en scène d'un épisode comique sans pourtant voir sa validité contestée. C'est le cas en particulier quand est mentionné un savoir anatomique, ce qui paraît cohérent dans la mesure où Rabelais, médecin, s'y intéressait de près. Revenons par exemple sur le chapitre 6, racontant la naissance de Gargantua : le comique du passage ne remet pas en cause la validité des connaissances médicales (« À cause de ce contretemps, une partie du placenta se relâcha. L'enfant le traversa d'un sursaut, entra dans la veine cave et, grimpant par le diaphragme jusqu'au-dessus des épaules (là où ladite veine se sépare en deux), continua son chemin vers la gauche puis sortit par l'oreille de ce même côté.
»). De même, dans Micromégas, Voltaire produit du comique à partir de connaissances authentiques (les proportions entre les astres, les distances d'une planète à l'autre sont exactes).
De plus, il ne s'agit donc pas de prendre de la distance par rapport à tout savoir, mais d'utiliser le rire pour mettre à distance un savoir nul et non avenu, tout en créant une complicité avec le lecteur ou la lectrice en partageant a contrario un savoir authentique.
Si l'on reprend cette fois l'épisode où les personnages rient de Janotus de Bragmardo, on constate que le savoir est mentionné pour ajouter un effet comique supplémentaire :
« Ils rirent tant que les larmes leur vinrent aux yeux par suite du violent traumatisme subi par la substance du cerveau, qui fit naître et s'écouler les humidités lacrmales près des nerfs optiques. ». L'utilisation des termes médicaux, la précision techniques des phénomènes mécaniques pour décrire le fonctionnement des pleurs paraissent incongrues, mais ce savoir n'est nullement mis à distance. Il participe de l'effet comique, en formant un contraste avec le savoir inepte et ridicule du Sorbonnard.
De même, le passage des pèlerins mangés en salade discrédite
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