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Dissertation sur le mythe de Don Juan

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Par   •  17 Février 2017  •  Dissertation  •  5 037 Mots (21 Pages)  •  2 384 Vues

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Dissertation – Le mythe de Don Juan

9 pages

« Loin d’être un comble, les satisfactions n’entraînent qu’une irritation de la force désirante, dont l’objet est dans un au-delà de chaque objet de satisfaction, et la seule réactivation du désir vers un nouvel objet en tous points semblable au précédent, ne saurait combler. La récolte cyclique des satisfactions charnelles ne constitue pas une progression, mais une répétition qui, à la rigueur, par le passage de la jouissance d’objet à celle de la collection d’objets, ne conduit qu’à un toujours-plus, qui n’est en fait qu’un toujours-pareil. Don Juan fait lui-même voler en éclat ses prétentions totalitaires en introduisant l’infini dans l’étendue du désir. L’homme du toujours plus, l’homme de consommation, pris de fièvre consommatrice, finit par consumer son énergie dans un travail de Sisyphe. Peut-on imaginer Sisyphe heureux ? L’énergie vitale du désir se perd dans une mécanisation de la force désirante : la machine célibataire n’a d’autre fin que l’entretien de son mouvement rotatif. Le mouvement qui l’anime est celui de la pierre qui roule, et n’amasse, en guise de mousse, que l’écume d’aventures passagères. »

Claude-Gilbert Dubois


Le mythe de Don Juan est un des mythes les plus repris dans la littérature européenne depuis l’œuvre de Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla, écrite en 1630. Si le personnage de Don Juan et son histoire ont beaucoup évolué, les réécritures se construisent toujours autour de certains invariants, c’est-à-dire autour de motifs qui se retrouvent dans chaque réécriture et qui constituent le mythe. Claude-Gilbert Dubois, dans un article qu’il consacre au Dom Juan de Molière, s’intéresse plus particulièrement à un des invariants du mythe : le désir du personnage de Don Juan qui semble toujours inassouvi, toujours reporté d’objet en objet et il en souligne le paradoxe. En effet, alors que le désir de Don Juan semble être celui de la conquête des femmes, les victoires et les « satisfactions charnelles » ne parviennent pas à « combler » son désir. C’est ce qui fait dire à Charles-Gilbert Dubois que le réel objet de la quête de Don Juan est « dans un au-delà de chaque objet de satisfaction » : il serait à la recherche de la quelque chose de supérieur qu’il ne parvient pas à trouver dans la simple conquête des femmes. Mais le personnage n’a pas conscience de cela et il se perd donc dans un cercle sans fin de désirs à moitié assouvis : Don Juan est obligé d’aller toujours plus loin, de multiplier les conquêtes, il a besoin de « toujours-plus ». Mais pour Don Juan, toutes les femmes sont identiques et ne représentent jamais d’avancée pour lui : Charles-Gilbert Dubois parle alors d’un « toujours-pareil », c’est-à-dire un cercle dans lequel Don Juan est prisonnier, condamné à répéter toujours les mêmes actions pour assouvir un désir qu’il ne comprend pas réellement. Don Juan est alors comparé à Sisyphe, homme damné, obligé d’entreprendre vainement chaque jour le même labeur. Le personnage devient alors une machine : le désir premier qui l’animait disparaît presque, il est plongé dans une routine qui le pousse à séduire toutes les femmes sans réfléchir, à ne faire aucun choix. Il est vidé de son humanité et réduit à une « force désirante » qui le maintient en mouvement mais qui ne le comble jamais : elle épuise sa « force vitale ». Charles-Gilbert Dubois compare Don Juan à une pierre qui ne peut cesser de rouler, et qui n’amasse, comme le dit le dicton, aucune mousse, c’est-à-dire rien de concret, aucun bien, aucune gloire, mais seulement « l’écume d’aventures passagères ». Mais ce désir, qui est un invariant dans le mythe de Don Juan, n’est peut-être pas ce qui conduit réellement le personnage à sa perte.

Nous nous intéresserons à quatre œuvres en particulier : El Burlador de Sevilla de Tirso de Molina, écrit en 1630 et œuvre fondatrice du mythe ; Dom Juan ou le Festin de Pierre de Molière, écrit en 1682, qui est une réécriture théâtrale française ; Don Juan de Byron, un long poème épique anglais écrit entre 1818 et 1824 ; et Don Juan de Lenau, qui regroupe des fragments de ce qu’on pourrait appeler un poème théâtral autrichien, écrit en 1844. Le désir de Don Juan mène-t-il vraiment le personnage à sa perte ?

Dans un premier temps, le désir de Don Juan est un désir qui ne peut être assouvi et qui ne fait paradoxalement que grandir au fil de ses conquêtes amoureuses : c’est ce qui nous permet de poser l’hypothèse que le réel objet de la quête de Don Juan est situé dans un au-delà de chaque objet de satisfaction. Cette force désirante, toujours inassouvie et toujours reportée sur un nouvel objet, finit donc par déshumaniser Don Juan qui se trouve presque réduit à l’état de machine : il ne pose aucun choix, il se contente de séduire toutes les femmes qu’il croise, quel que soit leur rang social ou leur état matrimonial ; il n’agit pas en conscience, mais seulement machinalement et cela le conduit au désespoir et à l’épuisement de son énergie vitale. Mais nous pouvons nous demander si le désir de Don Juan est réellement ce qui le mène à sa perte ou si ce n’est pas la société, par son jugement, qui en fait quelque chose de condamnable et qui conduit, in fine, Don Juan au désespoir et à la mort.

        

Don Juan est caractérisé par son désir insatiable : il ressent le besoin de séduire toute les femmes qu’il croise, sans distinction de rang social ou d’état matrimonial.

Cette force désirante ne semble jamais pouvoir être assouvie et le pousse à entreprendre toujours davantage. Chez Tirso, Don Juan séduit quatre femmes que l’on retrouve, parfois transfigurées, dans les œuvres qui suivent et nous pouvons établir une gradation entre elles. En effet, il s’empare de la duchesse Isabelle en se glissant dans sa chambre, dans le noir et en se faisant passer pour son futur mari : la duchesse n’étant pas encore mariée, elle est aussi fautive que Don Juan de céder ainsi, même si elle croit se donner à son futur mari. Puis Don Juan s’engage auprès de Tisbée qui l’a sauvé et recueilli après le naufrage en lui donnant sa main, puis consomme le mariage et s’enfuit : il se fait parjure auprès de Tisbée et du Ciel et bafoue les lois de l’hospitalité. Puis il séduit Dona Ana alors qu’elle est déjà la maîtresse de son ami La Mota : il ment donc à Dona Ana en se faisant passer pour quelqu’un d’autre et bafoue les lois de l’amitié. Enfin, il séduit Aminta, qui a déjà prononcé les vœux de son mariage, bafouant les lois divines. Don Juan s’enfonce toujours plus loin dans le vice pour assouvir son désir. Chez Molière, nous pouvons retrouver le même schéma : il se marie avec Done Elvire et l’abandonne après avoir consommé le mariage, bafouant les lois divines et l’honneur de Done Elvire ainsi que celui de sa famille, puis il séduit les deux paysannes, Charlotte alors qu’elle a promis d’épouser Pierrot, l’homme qui lui a sauvé la vie, et Mathurine, et leur ment à la scène IV de l’acte II, promettant le mariage à l’une et à l’autre par un jeu d’apartés. Chez Byron, bien que le personnage de Don Juan ne séduise pas d’une manière active comme chez Tirso ou chez Molière, il y a bien un accroissement de la force désirante : on peut observer un réel crescendo dans le schéma narratif. La première femme à laquelle Don Juan cède est Dona Julia : elle fait partie de l’aristocratie mais c’est une proche de la famille, une amie de la mère du jeune Don Juan. La seconde femme, Haïdée, est la fille d’un riche pirate : elle vit sur son île en princesse, elle commande à toute la maison de son père. Au chant III, lorsque le père d’Haïdée revient sur l’île, ils trouvent les deux amants, « leurs pieds sur des tapis / De satin, sur un « sofa » qui « occupait trois cloisons tout entières / de leur appartement », « flambant neuf » avec « des coussins de velours » (III, 67), à une table où reposent « marbre et cristal, vaisselle d’or et porcelaine » (III, 68). Le narrateur insiste sur la richesse des appartements, la profusion des plats, le nombre de serviteurs, de danseurs et de chanteurs, sur le luxe de la tenue des amants. Par la suite, Don Juan cède à l’impératrice : la gradation continue, les femmes ont de plus en plus en de richesses et de pouvoir. Lorsqu’il arrive en Angleterre, c’est à la duchesse Fitz-Fulke qu’il cède, une des femmes les plus belles et les plus recherchées de la cour londonienne. Enfin, chez Lenau, Don Juan ne s’arrête même pas à la simple séduction des femmes : il s’amuse à emmener des prostituées déguisées en moine dans un monastère pour déclencher une orgie à laquelle il ne prend pas part : son désir va au-delà de la simple séduction, il s’amuse à voir les autres renoncer à leurs idéaux de vertu et de morale pour céder aux plaisirs auxquels il se livre lui-même. Nous voyons bien une progression, un désir de « toujours-plus » chez Don Juan qui ne s’arrête à aucune supercherie ni à aucune loi pour séduire les femmes qu’il rencontre. C’est un désir qu’il a de plus en plus de mal à assouvir.

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