Gargantua de Rabelais

Le XVI ème siècle reste à jamais comme une grande période de bouleversements pour l'humanité. En effet, après plusieurs siècles d'ignorance, d'obscurantisme et de domination de l'Église catholique de Rome, la Renaissance révolutionne les milieux artistiques, culturels, philosophiques et religieux. Dès lors, une réelle volonté de mieux comprendre l'Homme et de sortir de l'emprise de l'Église pousse les intellectuels et artistes à redécouvrir les penseurs et les connaissances de l'Antiquité. Ainsi naît l'Humanisme, un mouvement intellectuel défini par la quête d’un idéal de perfection humaine qui place l’Homme au centre de sa pensée. Ce mouvement littéraire est né en Italie et se développe dans le reste de l’Europe en revendiquant l'étude des textes antiques grecs et romains. Un des chefs de file demeure Rabelais, né entre 1484 et 1495. Il a d'abord été moine, puis traducteur, médecin et enfin écrivain. Son nom est indissociable des deux héros auxquels il a consacré ses écrits les plus célèbres Gargantua en 1534 et Pantagruel en 1532, deux géants, père et fils. En effet, sous les traits de ses romans grivois, plein de bouffonneries et autres plaisanteries scatologiques, se cachent très souvent de nombreux sens cachés et sous-entendus, qui expriment la pensée profonde de Rabelais. Ils serait donc intéressant de se demander si dans Gargantua le rire ne sert qu'à créer une critique envers le savoir. Pour y répondre, nous verrons en quoi Gargantua est une œuvre qui suscite le rire afin de divertir les lecteurs et puis comment ce rire permet une réflexion et ainsi de faire passer des critiques.

Gargantua est avant tout une œuvre drolatique qui divertit les personnes qui la lise.

Rabelais place d’emblée le rire au centre de son œuvre avec son prologue.

Il commence à avertir les lecteurs du comique de Gargantua avec une phrase de son apostrophe aux lecteurs « pour ce que rire est le propre de l'homme » . L'auteur continue en utilisant le genre burlesque. En effet, afin de captiver les bouquineurs , il rabaisse ce qui est noble et respectable avec des thermes comiques. Par exemple, le grand philosophe Socrate est animalisé par « nez pointu » et « regard de taureau ». Socrate est en plus dénigré par des négations comme « infortuné » et « inapte ». Cependant, toutes ces critiques sont discordantes avec le personnage de Socrate qui est un modèle de sagesse et de vertu. Ensuite, toujours pour but de marquer Gargantua d'une ivresse joyeuse et ainsi faire rire les lecteurs, Rabelais réalise plusieurs énumérations délirantes. Par exemple, il cite plusieurs œuvres « Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La dignité des braguettes , Des pois au lard cum commento etc » dont seulement les deux premières sont les siennes . Les autres œuvres évoquées sont des titres fantaisistes inventés afin d'amener le rire. Cette ivresse joyeuse se sent dès la première ligne du prologue avec « buveurs très illustres » . Rabelais invite à lire Gargantua comme l'enthousiasme qu'aurait procuré boire un verre de vin. L'écriture fantaisiste de l'auteur dans son prologue informe déjà du caractère amusant de Gargantua.

Par ailleurs, l'oeuvre contient des éléments grotesques et extraordinaires pouvant mener au rire.

Dans son univers, l'auteur fait coexister géants et humains (de tailles normales) ce qui n'existe pas en réalité. Ainsi, cette situation amène à des scènes amusantes et improbables. C'est le cas dans l'épisode ou le géant Gargantua, le bon roi, souhaite manger une salade en adéquation avec sa taille, c'est-à-dire gigantesque. Dans cette salade se trouvent des pèlerins de taille humaine que Gargantua confond alors avec des limaçons du fait de leurs proportions et les avale. Les pauvres religieux se retrouvent alors dans la bouche de ce dernier mais parviennent finalement à sortir. L'univers créé par Rabelais est donc fictionnel et suscite donc le rire. Un autre aspect irréaliste est le personnage gigantesque et surprenant de Gargantua, fils du roi Grandgousier. En effet, l'épisode de sa naissance est assez inattendu et jamais vu . Gargantua nait par l'oreille gauche de sa mère, Gargamelle car cette dernière avait mangé trop de tripes. À peine sorti de l'oreille de sa mère, Gargantua se met à hurler « à boire, à boire, à boire » alors qu'à la naissance, un bébé ne sait pas encore parler. Cela souligne le gigantisme et l'intelligence hors norme de ce personnage qui grandit de ce fait de façon rapide. Il a fallu amener toutes les vaches du pays « afin de calmer son appétit titanesque » car il n'y avait pas assez de lait, si bien qu'il n'y en avait plus de disponibles dans tout le pays. Ainsi, avec l'irréalisme de ces éléments étant deux exemples parmi d'autres, Rabelais amuse ses lecteurs .

Le caractère drolatique de Gargantua est accentué par un rire carnavalesque.

L'auteur réalise des inventions verbales qui font sourire. En effet, tout au long du récit on remarque l'invention de différents noms de personnages. Les noms qui suscitent le rire sont notamment ceux de personnages tel que Picrochole, qui signifie le tyran colérique, roi de Lerné et ennemi de Gargantua. Ce nom a une connotation péjorative comme celui du personnage de « Merdaille », capitaine et conseiller de Picrochole et « Basdefesse » . À l'inverse, les compagnons de Gargantua sont dotés de noms à connotation méliorative comme « Ponocrates » qui signifie bourreau de travail et qui est le précepteur humaniste de ce dernier. Les noms à connotation négative du coté de Picrochole et positive du coté de Gargantua visent à appuyer le fait que Gargantua est un bon roi et que Picrochole est tout l’inverse.

Même si la lecture de cette œuvre amène à rire, Rabelais évoque des sujets sérieux et existants tels que la religion. Il ne critique pas exactement la religion mais plutôt les pratiques inutiles