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Gérard de Nerval, Fantaisie, commentaire.

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Par   •  12 Août 2016  •  Commentaire de texte  •  1 849 Mots (8 Pages)  •  1 769 Vues

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Gérard de Nerval, « Fantaisie », commentaire

1. - Deux entrées

a. – Le titre

Le titre « Fantaisie » peut être compris de deux façons. Soit il désigne une production imaginaire, conformément à son origine latine phantasia, « vision », « imagination », « songe ». Soit il désigne une pièce musicale de forme libre. Le titre annonce donc la formation d’une image mentale et rapproche le poème de la musique.

b. – Le chapitre II de Sylvie

Dans le chapitre II de Sylvie, « Adrienne », le narrateur se rappelle une scène de son passé. Revient alors la même image que dans « Fantaisie » :

Je me représentais un château du temps de Henri IV avec ses toits pointus couverts d'ardoises et sa face rougeâtre aux encoignures dentelées de pierres jaunies, une grande place verte encadrée d'ormes et de tilleuls, dont le soleil couchant perçait le feuillage de ses traits enflammés.

Comme dans le poème, on y chante de vieux airs populaires, transmis de mère en fille, qui font resurgir la voix des aïeules dans celle des jeunes filles et donc le passé dans le présent :

Des jeunes filles dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs mères, et d'un français si naturellement pur, que l'on se sentait bien exister dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le cœur de la France.

[...] La mélodie se terminait à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des aïeules.

Parmi les jeunes filles du tableau, se détache Adrienne, la fille du château autorisée à sortir à titre exceptionnel, avant d’y retourner et de disparaître à jamais. Cette précision donnée par le narrateur rapproche Adrienne de la « princesse enfermée dans sa tour », un motif traditionnel des chansons folkloriques[1], qu’on retrouve avec la « dame à sa haute fenêtre » de « Fantaisie »[2].

2. - Le poème

a. – L’air

Au vers 1, Nerval emploie l’article indéfini pour présenter un air anonyme, que le chapitre II de Sylvie et La chanson du roi Loys permet d’identifier comme un air folklorique. C’est confirmé par « très-vieux » à la césure[3] du vers 3 et le motif de la « dame à sa haute fenêtre » (v.13). Nerval nous donne ensuite des précisions :

a) Il est attaché à l’air par un lien exclusif. La première personne « je » le signale dans tout le poème et « pour moi seul » le souligne au vers 4. Remarquons la place de « seul » à la césure et son initiale, qui relient ce mot à « secrets », également en position forte à la fin du vers.

b) Pour le poète, l’air l’emporte sur trois œuvres prestigieuses. Nerval ne se contente pas de le dire aux vers 1-2. Il place aussi « air » à la césure du vers 1, oppose « un » à « tout » et mentionne trois fois l’air, alors que les œuvres ne sont évoquées qu’une fois.

c) L’air, qualifié de « languissant et funèbre », est faible, lent, en rapport avec la mort (v.3).

d) Malgré cette faiblesse, l’air enchante le poète, le mot « charmes » (v. 4) désigne ici une puissance magique[4]. Pour faire sentir cette force, Nerval répète les sons de « air » dans toute la première strophe : « Il est un air pour qui je donnerais / Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber / Un air ts-vieux, languissant et funèbre, / Qui pour moi seul a des charmes secrets ! »

e) Nerval précise enfin que l’air est doté d’un double pouvoir. D’une part, il régénère le poète, voir « mon âme rajeunit » ; d’autre part, c’est un medium qui ranime le passé et le fait resurgir dans le présent. Ce pouvoir est infaillible, comme l’indique « chaque fois » au vers 5. Notons la mise en valeur de « rajeunit », le mot le plus long du vers rejeté à la fin, dont la dernière voyelle éclate dans un décasyllabe qui ne contient aucun autre [i]. Ce verbe au présent réalise l’action qu’il énonce. Après « rajeunit », les points de suspension signalent en effet que du temps passe puis, au vers suivant, on a changé d’époque : « C’est sous Louis XIII ».

b. – L’image du passé : une construction progressive

Le passé revient dans le présent sous la forme d’une image, celle d’un paysage du Valois avec une figure[5] féminine. Le phénomène commence avec « je crois voir » et l’enjambement qui estompe la limite du vers 7. Les compléments de « voir », liés par « Puis », montrent que l’image ne surgit pas comme une photographie mais qu’elle se déploie progressivement : « je crois voir s’étendre / Un coteau [...] Puis un château [...] Puis une dame [...] ». Nerval travaille la durée. Il développe sur dix vers (7-16) une longue phrase, dans laquelle il décrit les parties de l’image, strophe après strophe, au fur et à mesure qu’elles se forment. Il joue aussi sur l’évolution de la lumière qui, en déclinant, modifie les couleurs : passage du vert au jaune (v. 8) et du jaune au rouge (v. 10).

c. – Une figure centrale, irréelle et obsessionnelle

Bien que la lumière unifie le paysage, Nerval se concentre sur des éléments délimités. A la troisième strophe, il se focalise sur un château entouré de parcs et d’une rivière, dont la façade de brique est cernée de pierre ; à la quatrième strophe, sur une dame encadrée par une fenêtre. Ces éléments sont intégrés les uns dans les autres : le château dans le coteau, la fenêtre dans le château et la dame dans la fenêtre. On passe ainsi d’une vision large à des cadres de plus en plus serrés, de telle sorte que la dame devient le centre de l’image et finit par capter toute l’attention du poète. [pic 2]

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