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Lecture analytique Paris vu par Gervaise

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Par   •  14 Juin 2016  •  Commentaire de texte  •  2 059 Mots (9 Pages)  •  1 322 Vues

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Lecture analytique (10)

« Paris vu par Gervaise »

Introduction

   Dans ce roman, paru en 1977, Zola a voulu peindre « la déchéance fatale d'une famille ouvrière dans le milieu de nos faubourgs » (cf. préface). Dans le chapitre 1, Zola entre directement dans le vif du sujet en montrant Gervaise en proie à des difficultés personnelles. Elle attend son amant qui a découché et se trouve dans une chambre misérable où dorment ces 2 enfants qu'elle a eu avec lui dans sa première jeunesse. En même temps, Zola met en place le cadre de son roman, indique les limites du quartier de son héroïne et révèle la personnalité de Gervaise. Comment donc Zola s'y prend-il pour nous plonger efficacement dans l'univers d'une simple lingère boiteuse et en détresse ? D'abord nous verrons comment le texte se présente comme une description réaliste qui passe par le regard de Gervaise. Puis, nous verrons qu'au delà d'un simple portrait, ce passage contient une dimension symbolique annonciatrice des événements futurs, inquiétants mais non désespérés.

I – Une description réaliste vu par les yeux du personnage principal

1) Un cadre réaliste précisément délimité insistant sur la misère

    Dans son projet, Zola indique pour ce 1er chapitre « le quartier le matin ». On pourrait en effet retracer le cadre de l'action à partir des indications du narrateur. Il situe d'abord l’Hôtel Boncœur sur le boulevard de la Chapelle à gauche de la barrière Poissonnière par laquelle pénètrent les ouvriers venus travailler à Paris depuis Montmartre. A partir de là, le narrateur indique à droite le boulevard Rochechoir (l 17-18), puis à gauche, presque en face, l’hôpital de Lariboisière (l 23-24). Au delà, il révèle aussi la présence du mur de l'octoi d'un bout à l'autre de l'horizon. Les lieux sont donc bien réels dans le quartier alors populaire de Paris qui appartient au 18ème arrondissement. On est d'emblée dans un lieu de la frontière, de la limite du déséquilibre, à la limite entre la ville et les terrains vagues, loin du centre bourgeois de la capitale. C'est un univers fermé par une « muraille grise interminable », derrière laquelle se trouve une « bande de désert » (l 32). Ce qui domine, c'est l'idée de barrière.

     Zola insiste aussi sur la misère du quartier et consacre plusieurs lignes à l’Hôtel Boncœur qui n'est pas sans rappeler la pension Vauquer de Père Goriot de Balzac (1834). Les termes dépréciatifs montrent que l'hôtel est en mauvaise état : « persiennes pourries », « moisissures du plâtre », « vitre étoilées » (métaphore)... On peut donc à peine lire l'inscription qui figure sur l'hôtel. Domine l'idée de décrépitude, de décomposition, de pourriture. Il est question près de l'octroi de « murs pleins d'humidité » (l 28). Zola suggère la saleté, et le côté répugnant de l'endroit. Il y a, à l’extérieur, de « l'ordure dans les coins » et une « odeur fauve de bêtes massacrées » près des abattoirs (l 21). Les couleurs sont sinistres et déjà renvoient à l'univers de l'alcoolisme. Il est question de la couleur « lie de vin » tenue par Marssoulier qui renvoi à Arssouille, terme argotique qui signifie ivrogne. A noter que la couleur lie de vin sera la couleur de la boutique de Gervaise, comme si une tâche indélébile la poursuivait. Les lettres de l'hôtel sont peu lisibles, jaunes, en mauvaises états. L'hôpital est blanc, le mur de l'octroi est gris, et les tabliers des bouchers sont rouges de sang. Parmi ces couleurs ternes, tristes, inquiétantes, à l'horizon de ce décor fermé qui invoque, stimule les sens de la vue et de l’ouïe (« les cris », « bêtes fauves »), se déverse « la poussière de soleil pleine du grognement matinal de de Paris » (l 34). Ce soleil impressionniste apporte une note d'espérance à l'aube de ce roman chargé du passé héréditaire de Gervaise et contraint par un espace clôt.

2) Le milieu social et les individus présent dans cette description

    Il s'agit bien sûr du petit peuple parisien (« des bouchers » (l 19), « des ouvriers » allant au travail, leurs outils sur le dos). Ces derniers forment une masse uniforme, compacte, indistincte dans laquelle Gervaise à du mal à retrouver celui qu'elle cherche : Lantier. Ils marchent à pieds dans une sorte de cohorte interminable, de troupeau humain qui permettent au champ lexical de l'infinitude de se déployer : « interminable » (l 31), « ininterrompu » (l 37), « sans fin » (l 41), « continuellement » (l 44). Il emploi la métaphore du fleuve,  « avoir couler entre les deux pavillon trapus de l'octroi » (l 35-36), « marres » (l 41), « se noyer » (l 44). Cette métaphore est un peu ambivalente tout comme le fleuve. Cela peut montrer la fécondité.

     Il y a aussi le thème de la bestialité. Il est question d'un « piétinement de troupeau (l 39), ce qui suggère une déshumanisation et la disparition des individus à l’intérieur de la masse. Ce thème traverse tout le roman avec M. Poisseau, ou la belle sœur de Gervaise ; et aussi toute l’œuvre de Zola (il a appelé un roman La Bête Humaine). On peut voir aussi dans ce flot ininterrompu, une sorte de dimension biblique, un clin d’œil au livre de l'Exode, où les hébreux fuient en masse, en troupeau, et quittent les gîtes pour la terre promise.

     Ajoutons qu'il est possible de déterminer précisément l'année où débute le roman par la référence à la construction de l'hôpital de Lariboisière qui a commencé en 1850. On est donc en mai 1850, année de l'élection du prince Napoléon à la présidence de la République. Zola fait donc commencer ce septième roman de la série les Rougons Macquart au début du Second Empire (1852-1870).

    Pour renforcer le réalisme de la description, Zola utilise le point de vu interne. La description du paysage parisien passe par le regard de Gervaise qui devient acteur et semble s'assimiler au personnage tout entier (« interrogeant les trottoirs » (l 7), « elle regardait à droite » (l 17), « elle regardait à gauche » (l 22), « elle suivait le mur et foulait les angles » (l 25-27), « quand elle levait les yeux, elle apercevait »  (l 30), « mais c'était toujours à la barrière qu'elle revenait » (l 34-35) → signe d'impossibilité.  Ici se révèle une grande différence de traitement dans la narration avec ce que pratique Balzac, à savoir un point de vu omniscient. Balzac se pose en historien et aime faire découvrir l'univers parisien sans passer par les impressions de ses personnages. Zola invite au contraire à découvrir les lieux de façon naturelle et progressive, et en les liant aux désirs, aux sentiments de ses personnages. Ce qui révèle aussi une philosophie, à savoir que pour Zola le réel n'existe pas en lui même, détaché de toute conscience du réel. Il fait la présence d'un individu (regard, être...) pour que le monde soit, et ce n'est d'ailleurs que par lui qu'il est. L'effet produit est aussi un sentiment d'empathie (compassion), rendre les personnages plus proches du lecteur.

II – Cette description peint le portrait de Gervaise, en même temps qu'elle peint le milieu dans lequel elle évolue, le tous chargé d'une dimension symbolique

1) Gervaise, personnage principale avec lequel le lecteur fait connaissance

   Gervaise est présentée au lecteur dans une situation de fragilité et de souffrance, ce qui d'emblée invite à la compassion, à la sympathie, à la commisération (sentiment de pitié, partager misère). Elle est en tenue négligée, pieds nus, savates tombées, ce qui suggère le dénuement, la fragilité, la pureté. Elle est en détresse. On note le thème du mouchoir qu'elle utilise pour ses sanglots « tamponnait...» (l 4-5), puis qu'elle pose sur ses lèvres (l 16), et encore une fois l 47 « comme pour renforcer sa douleur » (matérialisation de la douleur, métaphore). Ce mouchoir est un élément important (un accessoire), symbole de la tristesse, et aussi de la mort à venir.

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