Manon Lescaut, Abbé Prévost, Les retrouvailles au parloir de Saint-Sulpice
Commentaire de texte : Manon Lescaut, Abbé Prévost, Les retrouvailles au parloir de Saint-Sulpice. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar clemlam • 19 Février 2024 • Commentaire de texte • 1 920 Mots (8 Pages) • 872 Vues
Manon Lescaut, Abbé Prévost - LL1 - Les retrouvailles au parloir de Saint-Sulpice
Proposition d’introduction : Ce texte est extrait de Manon Lescaut, un roman de l’abbé Prévost publié en 1753. Il raconte la passion dévorante du chevalier des Grieux pour Manon Lescaut une jeune femme belle mais volage à la réputation sulfureuse. Quand le jeune chevalier rencontre Manon, il en tombe immédiatement et éperdument amoureux. Alors qu’il se destinait à une vie sage et réglée, il verra son destin basculer sous l’impact de cet amour transgressif qui sera rapidement condamné par la Société. Les deux amants seront pris dans le tourbillon de folles aventures.
L’extrait se situe dans la première partie du récit. Après avoir été trahi par sa maîtresse, des Grieux a finalement pris le parti de la sagesse en rentrant au séminaire où il s’est rendu célèbre par ses talents d’orateur. Mais, quand après deux ans de séparation, Manon réapparaît, des Grieux comprend que ses sentiments sont inchangés et que la passion qu’il éprouve pour la belle scandaleuse est intacte.
La scène du parloir a quelque chose de transgressif car la figure de la tentatrice investit un lieu sacré. La passion qu’elle suscite semble se substituer à l’amour de Dieu et elle apparaît telle une idole pour des Grieux.
Nous nous demanderons comment le langage de la religion entre ici en résonnance avec le langage de l’amour, dès lors que des Grieux renonce à son engagement spirituel pour suivre la femme qu’il aime, renonçant du même coup à suivre le chemin tracé d’une destiné de privilégié.
Nous verrons tout d’abord qu’il s’agit d’une scène de confession et de pardon, et nous nous intéresserons ensuite à la lutte qui se joue ici entre l’amour et la religion.
Mouvement 1 : reproches et pardon
CITATION | PROCÉDÉ | INTERPRÉTATION |
Nous nous assîmes l’un près de l’autre. |
| Actions qui révèlent un rapprochement physique : c’est à la fois la gestuelle des amoureux et celle qui préside à la confession. Des Grieux adopte la posture du confesseur pour obliger Manon au repentir. C’est lui qui agit. Identité du héros qui se dédouble. |
Ah ! Manon |
| Expression d’une lamentation qui révèle l’absence de maîtrise, l’état émotionnel du héros. |
Belle Manon // Chère Manon |
| Evolution dans la manière de signer, de définir |
Lui dis-je |
| Révèlent la charge émotive du propos. Combinaison du registre pathétique et du registre lyrique |
En la regardant d’un oeil triste |
| Le geste accompagne la parole. Registre pathétique. L’artifice étrange du récit qui permet à Des Grieux de créer une mise en abîme du regard : il nous donne à voir l’oeil qu’il porte sur sa bien-aimée |
Je ne m’étais pas attendue à la noire trahison dont vous avez payé mon amour |
| Brutalité relative d’un propos sans équivoque qui s’ouvre sur une accusation radicale |
Noire trahison |
| La qualification du comportement entre en contraste avec le comportement de Des Grieux qui se montre affligé, triste, calme et même tendre dans sa gestuelle |
Payé mon amour |
| Les deux termes, l’un prosaïque (payé) et l’autre lyrique (amour) s’entrechoquent pour mieux révéler à la fois la sidération et la souffrance engendrés. |
Il vous était bien facile de… |
| Des Grieux monopolise la parole et rend compte d’une analyse sans filtre qui prouve qu’il assume l'intensité de ses sentiments |
Souveraine absolue / plaire / obéir soumis |
| Portrait en filigrane : Des Grieux assume l’éloge paradoxal de la traîtresse qu’il pose en maîtresse de son destin. La posture de soumission, d’assujettissement est assumée par le fait même qu’elle est rendue avec lyrisme et emphase. Esquisse d’une relation qui emprunte à l’amour courtois et dont l’enjeu consiste exclusivement à plaire et obéir. |
Un cœur [...] qui mettait toute sa félicité à vous plaire et vous obéir |
| Des Grieux se définit par son cœur, c’est-à-dire par son amour. D’ailleurs, il associe au siège des sentiments l’expression de sa félicité : la quête amoureuse le résume tout entier |
Dites-moi maintenant si … (Puis : dites-moi, du moins…) |
| Mode de l’injonction : l’ordre le dispute à la supplication. On revient au temps de l’échange. Des Grieux procède à un examen dont il prétend connaître les conclusions. Le temps de la réponse n’est pas accordé. Le propos prend un tour rhétorique. Des Grieux fait les questions et les réponses |
Non, non |
| La réponse qu’il profère sans nuance (Non, non) dit l’émotion du héros |
La Nature n’en fait guère de la même trempe que le mien |
| Les paroles rapportées au discours direct nourrissent le portrait/autoportrait du héros. Là aussi, une mise en abîme est observable : nous écoutons Des Grieux le narrateur rendre compte d’un dialogue dans lequel il procède à son propre éloge tant devant Manon que devant renoncour et que devant les lecteurs. Le portrait évolue, des nuances et des contrastes jaillissent sous l’impulsion de l’amour : Des Grieux qui vient d’assumer sa naïveté passée déclare, non sans orgueil, sa singularité. La puissance de ses sentiments le pousse à se poser comme l’amant absolu. Si l’ego en sort renforcé c’est toujours en revendiquant un attachement quasi fanatique à Manon |
Dites-moi, du moins, si vous l’avez quelquefois regretté… |
| … davantage suppliant qui adoucit le propos et crée un contraste avec ce qui précède. Tour à tour Des Grieux révèle sa force et sa vulnérabilité. (voir l’antithèse de tendre vs trempe). L’expression de l’hypothèse apparaît comme un élan désespéré. |
du moins - quelquefois |
| Des Grieux affirme une vérité minimale. Il apparaît à nouveau comme soumis, précautionneux et craintif, mais cherche pourtant une validation |
Quel fond dois-je faire sur ce retour de bonté qui… ? |
| L’enchaînement des hypothèses, des questions, des suppliques révèlent un propos décousu sous l’effet de l’émotion et qui s’éparpille : espoir d’un regret passé pour Manon, d’un retour de sentiment fondé sur la visite qu’elle lui rend, évocation de sa beauté…. Des Grieux glisse progressivement et en quelques phrases monologuées du reproche de la trahison vers l’espoir des retrouvailles. La question même implique la validité de l’espoir |
Je ne vois que trop que vous êtes plus charmante que jamais |
| Le propos prend un tour séducteur, badin. |
plus charmante vs plus fidèle |
| Effet de rupture dans le discours amoureux : Des Grieux fait la cour mais revient finalement sur la trahison |
mais |
| L’espoir d’un avenir à deux est soumis à la condition prosaïque et morale de la fidélité |
Bilan mouvement n°1 = la scène transporte le rituel religieux de la confession (le face à face, la reconnaissance de la faute, la perspective du pardon) dans le champ amoureux, pour permettre le repentir de la pécheresse et les retrouvailles des deux amants. Or, le confesseur avoue à son tour sa faiblesse vis-à-vis de son idole.
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