Texte 3 du Malade Imaginaire (8/20) : III, 12
Commentaire de texte : Texte 3 du Malade Imaginaire (8/20) : III, 12. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Evabtrb • 7 Janvier 2023 • Commentaire de texte • 2 260 Mots (10 Pages) • 286 Vues
Texte 3 du Malade Imaginaire (8/20) : III, 12
Introduction :
Le Malade imaginaire est la dernière pièce écrite et jouée par Molière qui meurt la nuit de la quatrième représentation de celle-ci. Cette comédie-ballet d’abord écrite pour être drôle met en scène Argan, un hypocondriaque obsédé par les maladies et les médecins. Dans l’acte III, Argan, fâché avec son médecin monsieur Purgon, doit, à regrets, renoncer au mariage de sa fille Angélique avec le neveu de monsieur Purgon, Thomas Diafoirus qui lui aurait permis d’avoir un médecin à demeure. Béralde, son frère, pense alors pouvoir le convaincre d’envisager de la marier avec celui qu’elle aime et qui l’aime. Mais la partie n’est pas encore gagnée. Argan s’entête en effet à faire de sa fille une religieuse et Béralde reconnaît là les intrigues de Béline, la seconde épouse qui veut ainsi se débarrasser de ses belles filles pour hériter de toute la fortune de son mari. Mais Argan ne veut rien entendre de désagréable sur celle qui l’entoure de tous ses soins et le dorlote. On pourrait donc bien attendre encore un peu le dénouement, si Toinette, qui connaît bien son Argan et qui sait qu’il ne sert à rien de le contredire, n’avait pas l’idée lumineuse de lui proposer une petite comédie au prétexte de « confondre son frère ». Il lui faut en effet rentrer dans son jeu pour le convaincre de faire le mort afin d’éprouver les sentiments de sa femme et de prouver à son frère qu’il se trompe sur son compte. Et elle demande à Béralde de se cacher pour que la comédie soit plus convaincante. Molière revisite donc à la scène 12 du IIIe acte le ressort éprouvé du témoin caché permettant donc de révéler la vérité, en amplifiant le procédé en le « multipliant » : Béralde assiste, caché, à la scène comme l’indique la liste des personnages, de même qu’Argan, en « faux mort » : un dispositif théâtral nécessaire pour confondre Béline, ouvrir les yeux d’Argan et rendre possible enfin le dénouement heureux de la comédie.
Problématique :
Comment cette comédie, mise en scène et interprétée par Toinette, pourra-t-elle, par le rire, corriger les erreurs d’Argan ?
Plan :
1/ L’annonce de la mort d’Argan
2/ La réaction de sa femme
3/ Le coup de théâtre : la résurrection comique d’Argan
I. L’annonce
C’est Toinette qui va annoncer la mort d’Argan à Béline (puisque Béralde est caché et qu’Argan doit « faire le mort »). Et elle va donner le ton en surjouant l’effroi et la douleur dans une parodie de tragédie avec des interjections lyriques : « Ah mon Dieu ! Ah malheur ! », que complètent la ponctuation expressive (les exclamations) et le champ lexical du malheur. La didascalie le précise : elle « s’écrie », parce qu’il faut que Béline puisse y croire, il s’agit donc d’emporter son adhésion. Toinette joue donc la comédie pour Béline et les spectateurs vont pouvoir en rire puisque eux savent bien qu’Argan n’est pas mort. Molière joue ainsi sur la double énonciation. Les spectateurs et Béralde n’entendent pas les répliques de Toinette comme les entend Béline. Béline doit elle tomber dans le piège, alors qu’elle-même sait remarquablement jouer la comédie de l’épouse aimante auprès d’Argan, donc Toinette doit se surpasser. Ce rôle est en effet un rôle à contre emploi : elle est chargée ici de « faire pleurer » et d’annoncer la mort d’Argan. Le rôle est celui d’une tragédienne, ou pourrait l’être. Toinette annonce d’ailleurs la mort d’Argan en alexandrin (le vers noble de la tragédie) : « Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident ! » (1/2/1/2/6). Mais le naturel revient vite : le mot « accident » appartient davantage au registre de la comédie qu’à celui de la tragédie, et il faut qu’il soit associé au mot « malheur » pour que Béline envisage le pire. Toinette va d’ailleurs la faire attendre un peu pour être sûre d’avoir toute son attention, ce dont témoignent ses questions : « Qu’est-ce Toinette ? », « Qu’y a-t-il ? ». Un suspens qui pourrait aussi résulter de la difficulté qu’il y a à annoncer une terrible nouvelle. Une façon aussi de permettre aux spectateurs de rire davantage : elle ménage ses effets… D’autant que l’annonce, elle, est brutale : « Votre mari est mort ». Pas d’euphémisme. On pourrait entendre dans la répétition de la phrase par Béline sous forme interrogative une part d’incrédulité (c’est un malade imaginaire… ), mais c’est déjà pour le spectateur un comique de répétition, renforcé par le comique de mots dans la réplique de Toinette qui utilise un euphémisme avec retard et maladresse puisque cela aboutit à la tautologie : « Le pauvre défunt est trépassé ». Mais le ton se veut élégiaque : c’est une lamentation visant à susciter l’émotion : « Hélas », « Le pauvre ». Le registre est pathétique.
Il n’empêche que la scène tourne à la farce avec l’étonnante réaction de Béline : en témoignent l’adverbe « assurément » et la question qui demande confirmation. Et puisque Béline n’arrive pas à y croire, Toinette va le lui montrer : « Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise ». On n’est plus dans la tragédie, le corps est présent sur scène. À Argan de jouer, de bien faire le mort… Mais Toinette a pris soin de rendre la chose vraisemblable avec un passé proche « Il vient de passer entre mes bras », comme si elle avait jusque-là en quelque sorte préparé l’entrée en scène d’Argan et il faudra qu’il joue bien…La réplique de Toinette peut s’entendre d’ailleurs comme une didascalie interne à l’intention des comédiens « tout de son long dans cette chaise », c’est une indication de jeu donnée par Molière. Le présentatif « le voilà » est là pour guider tous les regards vers le faux cadavre. La mise en scène a été travaillée. Mais la réaction de Béline n’est pas celle que l’on pouvait attendre et la tragédie va basculer résolument dans la farce.
II. La veuve joyeuse
Béline, bien loin de pleurer, ou de se lamenter, remercie en effet le ciel : « Le ciel en soit loué » et ce qu’elle exprime n’est pas de la tristesse mais un profond soulagement. Elle se réjouit explicitement et quand Toinette feint de s’en étonner, cela souligne l’incongruité de sa réaction : « Je pensais, madame, qu’il fallût pleurer ». C’est ce qu’imposent la situation et les conventions sociales : une veuve ne peut pas être joyeuse, ce n’est pas convenable alors et le verbe « falloir » comme le subjonctif passé le rappellent. C’est ce qu’aurait fait Béline si Béralde était resté, mais pas devant une servante… qui assure d’ailleurs être la seule à connaître la nouvelle. Béline peut alors cesser de jouer la comédie de l’épouse aimante. Et on ne sait pas alors si elle prend la peine de se justifier, de donner ses raisons, ou si elle se libère effectivement d’un fardeau en s’autorisant à sortir du jeu, du rôle de l’épouse aimante, pour enlever son masque. Peut-être faut-il aussi convaincre Toinette de servir ses intérêts.
Elle s’évertue en tout cas à montrer le ridicule d’une douleur feinte : « Que tu es sotte Toinette », en le répétant et en argumentant. Elle va justifier sa joie en faisant un portrait à charge des plus virulents du défunt, prenant ainsi l’exact contrepied de l’éloge funèbre qu’on attend en ces circonstances. C’est un portrait d’Argan au vitriol ( description très corrosive, presque mordante ) qui nous le décrit tel que Béline le voit et que celui-ci est forcé d’entendre sans bouger ! Le comique est un comique de situation. Le réquisitoire est sans appel : elle accumule les charges et décrit « un incommode à tout le monde », le contraire donc de l’honnête homme qui est alors l’idéal, ce que traduit le préfixe privatif –in, répété dans « malpropre » et « dégoutant ». C’est le portrait d’un personnage insupportable dans tous les sens du terme qui ne peut inspirer que du dégoût et le rejet. Ce qui est d’ailleurs la vérité : Molière nous fait rire ici de cet hypocondriaque invivable, le registre est donc ici satirique. Le champ lexical de la maladie est associé de fait à un comportement détestable : « sans esprit », « ennuyeux », « de mauvaise humeur », l’accumulation des défauts en fait un « fâcheux », que condamnent les gradations : « mouchant, toussant, crachant toujours ». Les mots très crus, relevant du registre du corps, permettent aux spectateurs de se représenter la scène : c’est un portrait en action, animé. On a le son, l’image et le mouvement : on peut parler ici d’hypotypose. La mise en scène contraint Argan à entendre ses 4 vérités sans bouger… Aussi détaillé soit-il, ce portrait à charge ne le fait pas sortir de son rôle. Pourtant les reproches qui lui sont faits sont nombreux, ce dont Toinette feint encore de s’étonner en utilisant une antiphrase : « Voilà une belle oraison funèbre », ce qui résume le portrait. Mais comme Béline a besoin de Toinette, elle prend soin de rappeler qu’ il « grond(ait) jour et nuit servantes et valets ». Le portrait devient alors argumentatif : il s’agit de persuader Toinette, de se ranger de son côté et de se réjouir avec elle parce qu’elle a besoin d’elle pour voler l’argent de son mari sans passer par le notaire. Elle va ainsi chercher à la convaincre en lui promettant une récompense. « Tu peux croire qu’en me servant ta récompense est sûre ». Là encore, il faut y croire. Béline passe de fait avec Toinette une sorte de contrat qui ferait d’elle sa complice, ce dont témoignent les impératifs à la première personne du pluriel : « prenons, tenons », et qui va en fait la révéler elle, Béline. Béline est intéressée seulement par l’argent de son époux et elle est bien décidée à servir ses intérêts, ce dont témoigne le champ lexical récurrent de l’argent et des bénéfices. Elle définit d’ailleurs son mariage comme un investissement dont il est temps de retirer les « fruits ». Elle a vendu ses plus jeunes années pour hériter et elle est prête à acheter Toinette pour pouvoir s’accaparer le tout : « des papiers, de l’argent », ce qui donne tout son sens à la scène du notaire dans le premier acte. Elle a capitalisé et spéculé. Quant à sa détermination, elle se traduit par les verbes de volonté et par les impératifs : « portons-le dans son lit », « tenons cette mort cachée ». C’est une autre comédie qu’elle propose ici et qu’elle entend mettre en scène en dirigeant Toinette. Et elle exprime ici un autre point de vue : celui de l’épouse réduite pendant des années à un rôle de garde-malade et à faire bonne figure. C’est donc bien une hypocrite dans tous les sens du terme qu’on a jouée à son tour et qui sera piégée et démasquée par la résurrection d’Argan.
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