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Commentaire du discours de Michel Debré devant le conseil d'etat le 27 aout 1958

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du projet soumis pour avis au Conseil d’État, le Conseil constitutionnel fait figure d’innovation de première importance. Véritable contrôleur de l’organe parlementaire (B), celui dont on a pu dire qu’il était « le chien de garde de l’exécutif » fait figure de rouage central dans le projet de rationalisation du régime parlementaire (A).

A. Le Conseil constitutionnel, organe de la rationalisation du parlementarisme.

Alors que la Constitution de 1946, qui projetait d’assurer la stabilité du gouvernement et l’efficacité parlementaire, a échoué à réaliser ses ambitions, les rédacteurs du texte de 1958 entendent bien concrétiser le projet de « rationalisation du parlementarisme ». C’est là le fil d’Ariane qui soude toutes les dispositions de la Constitution de la Ve République : abaisser le rôle du Parlement, mettre fin à l’hégémonie des Assemblées et restaurer l’autorité de l’État. Or cette dynamique de restauration de l’État par le renforcement des organes exécutifs et l’attribution au Président d’un rôle central a besoin d’instruments nouveaux.

De ce point de vue, il n’est pas anodin que la Constitution ait été rédigée non par des parlementaires mais par de jeunes énarques et professeurs de droit plus enclin à créer de nouveaux instruments pour redistribuer les compétences et rééquilibrer les pouvoirs.

Ainsi lorsqu’il s’agit de déterminer comment rééquilibrer le régime parlementaire, l’une des voies retenues et ici présentée par M. Debré, l’instauration d’un Conseil constitutionnel, est une originalité.

Si l’entreprise de rationalisation du parlementarisme n’est pas réductible à la seule création du Conseil constitutionnel – les règles de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement ainsi que la répartition constitutionnelle des compétences normatives font figure de véritables symboles à cet égard – ce dernier est un élément central.

L’auteur, qui affirme que « L’existence de ce Conseil représent(e) une grande et nécessaire innovation », exprime là une idée forte, au fondement du nouveau régime : les excès du parlementarisme ne peuvent être régulés par la pratique politique, seules les ressources de la technique juridique sont susceptibles d’y mettre un terme. Convaincus qu’en France, « la stabilité gouvernementale ne peut résulter d’abord de la loi électorale mais au moins en partie de la réglementation constitutionnelle », c’est en parvenant à soumettre effectivement le Parlement au cadre constitutionnel que M. Debré et les rédacteurs du projet de Constitution pensent mettre un terme à l’absolutisme parlementaire.

Mais l’existence ne suffit pas, encore faut-il, pour empêcher le Parlement d’excéder ses compétences, que le nouvel organe soit doté d’une authentique autorité. Regrettons que l’auteur en reste à une simple allusion lorsqu’il fait état de « l’autorité qui doit être » celle du Conseil constitutionnel. Était-ce faire là une référence implicite au futur article 62 al. 2 de la Constitution qui prévoit que les décisions du Conseil ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics ainsi qu’à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ? La question est délicate : l’absence de recours fait référence à la nature juridictionnelle de la décision et donc de l’organe qui la prend. Nous verrons que ce n’est pas le sens des propos de l’auteur qui considère le Conseil comme un organe de surveillance du Parlement.

B. Le Conseil constitutionnel, contrôleur de l’organe parlementaire.

Ainsi élevé au rang d’une « grande et nécessaire » innovation, le Conseil constitutionnel est doté d’attributions qui font l’objet d’inégaux développements dans l’extrait sélectionné. Sans doute faut-il voir là l’expression de contraintes liées à l’exercice auquel se livre l’auteur : selon toute vraisemblance, la vérification du règlement des assemblées ainsi que le contrôle des élections contestées ne constituent pas des points susceptibles de rencontrer une farouche opposition de la part des magistrats.

« L’examen du règlement des assemblées » par le Conseil constitutionnel, dont on sait désormais qu’il a obligatoirement lieu avant qu’ils n’entrent en application, n’était prévu qu’à titre facultatif dans l’avant-projet. En toute hypothèse, cet examen remet radicalement en cause la souveraineté parlementaire qui excluait par principe toute intervention extérieure dans l’établissement de ce type de règles.

En première analyse, le règlement intérieur des assemblées parlementaires est une résolution adoptée par l’Assemblée nationale ou le Sénat pour fixer les modalités de son organisation et de son fonctionnement. En réalité, il dépasse le cadre de la simple mesure d’ordre intérieure relative à l’organisation des débats et a pu constituer « un instrument redoutable aux mains des partis qui a souvent plus d’influence que la Constitution elle-même sur la marche des affaires publiques » (E. Pierre). Ces résolutions qui naguère symbolisaient l’autonomie de chaque Assemblée doivent désormais impérativement relever du contrôle du Conseil constitutionnel selon M. Debré. Une telle attribution doit être appréciée au prisme des autres mesures destinées à limiter le Parlement. Les rédacteurs du projet craignant que, par le biais de ces règlements, les Assemblées cherchent à s’octroyer des pouvoirs qui ne leur étaient pas dévolus par le texte constitutionnel, le contrôle du Conseil fait figure d’instrument de protection des prérogatives de l’exécutif dans la procédure législative.

Signalons que, sur ce terrain, le texte défendu par M. Debré a atteint ses objectifs puisque dès ses premières décisions en la matière (n° 59-1 DC du 14 mai 1959, Rec. p. 57 ; 17, 18 et 24 juin 1959, Rec. p. 58 ; 59-3 DC des 24-25 juin 1959, Rec. p. 61), le Conseil constitutionnel censure les dispositions des règlements de l’Assemblée nationale ou du Sénat qui prétendaient limiter les temps de parole du gouvernement ou autorisaient le vote de propositions de résolutions destinées à contrôler l’action gouvernementale hors du cadre prévu par les articles 49 et 50 de la Constitution.

Les parlementaires ne pourront donc plus, par le jeu de leur règlement intérieur, recouvrer des compétences ou développer des moyens d’action que le texte constitutionnel n’aura pas prévu.

En outre, toujours dans cette perspective de surveillance de l’organe parlementaire, M. Debré défend une autre innovation du texte soumis pour avis aux magistrats administratifs : le contrôle de l’élection des parlementaires.

Cette attribution, discutée au moment de la rédaction de l’avant-projet, s’explique par les abus auxquels avait donné lieu la vérification des pouvoirs par les Assemblées elles-mêmes. On veut retirer au Parlement la compétence pour vérifier lui-même la régularité des élections de ses propres membres. L’auteur le souligne explicitement : il s’agit là « de faire disparaître le scandale des invalidations partisanes ». Au titre de ses invalidations partisanes, citons l’épisode de 1956 lorsque de nombreux élus poujadistes furent invalidés sans raison juridiques solides. De même, l’Assemblée de l’Union Française invalida deux élus d’une même liste sous le prétexte que le premier était un ancien gouverneur qui avait pu faire pression sur ses électeurs et proclama élus les deux candidats suivants de la même liste alors qu’il s’agissait d’un système proportionnel avec liste bloquée. C’est donc toujours le même projet de rationalisation qui est servi : lutter conte affres de la « Républiques des députés », contre les carences de la Constitution de 1946 incapable de contenir les manœuvres politiciennes et finalement revitaliser la démocratie représentative.

Même si l’orateur n’en fait pas état, on peut imaginer que ce sont essentiellement deux éléments qui ont donné lieu à discussion. Le premier relève du partage des compétences entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État le second a trait à la nature spécifiquement juridictionnelle de la mission confiée au nouvel organe. Puisqu’il ne s’agit que du « jugement des élections contestées », le Conseil n’est censé intervenir qu’après l’opération électorale et qu’en cas de contestation, c’est-à-dire en cas de litige et lorsqu’une réclamation lui serait adressée par ce que l’on doit alors considérer comme une partie. Or, les propos de M. Debré se font univoques sur ce point : le nouvel organe n’a pas été conçu comme une nouvelle juridiction.

II. Le refus d’un juge censeur de la loi.

Même si il ne lui est pas totalement inconnu, le contrôle de la constitutionnalité de la loi demeure globalement étranger à la culture juridique et politique française. C’est en se fondant sur des arguments de pure logique juridique que l’auteur justifie la compétence du CC en la matière (A.) tout en prenant soin de préciser que l’introduction d’une telle technique se veut respectueuse de la tradition française (B).

A. La hiérarchie entre les normes au fondement du contrôle de la loi.

Au moment où M. Debré prend la parole devant le Conseil d’État, les excès du parlementarisme sont unanimement dénoncés tant par les auteurs que par les acteurs institutionnels.

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