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Boris Vian

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uvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s'en rapprocha pour vérifier l'état de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la serviette qui lui ceignait les reins et passa l'un des coins entre ses doigts de pied pour absorber les dernières traces d'humidité. Dans la glace, on pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen. Sa tête était ronde, ses oreilles petites, son nez droit, son teint doré. Il souriait souvent d'un sourire de bébé, et, à force, cela lui avait fait venir une fossette au menton. Il était assez grand, mince avec de longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles et joyeusement aux garçons. Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait.

Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de grès cérame jaune clair, était en pente et orientait l'eau vers un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de l'étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, celui-ci avait changé son bureau de place. Maintenant, l'eau tombait sur son garde-manger.

Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de roussette et revêtit un élégant costume d'intérieur, pantalon de velours à côtes vert d'eau très profonde et veston de calmande noisette. Il accrocha la serviette au séchoir, posa le tapis de bain sur le bord de la baignoire et le saupoudra de gros sel afin qu'il dégorgeât toute l'eau contenue. Le tapis se mit à baver en faisant des grappes de petites bulles savonneuses.

Il sortit de la salle de bains et se dirigea vers la cuisine, afin de surveiller les derniers préparatifs du repas."

analyse de l'extrait:

Plan :

1. Un univers apparemment familier

2. la parodie

3. un monde régi par des lois étranges

1. Un univers apparemment familier

de nombreux objets de notre univers quotidien

des actes de la vie quotidienne

une écriture apparemment classique : un jeune héros blond : l'âge d'or !

système d'énonciation traditionnel

2. La parodie

La parodie de l'incipit : commencer par "terminer" ; présenter le héros faisant sa toilette !

La parodie de la description : description physique seulement ; description par les ressemblances

3. Un monde régi par d'étranges lois

les liens de causalité (histoire de la fossette)

l'histoire de la baignoire

les rapports filles / garçons

la vie des objets (les comédons) ; confusion entre les objets et les légumes (concombre / tapis de bain)

Conclusion

Un début de roman très gai, en accord avec le caractère du personnage ; rien d'inquiétant ; le lecteur est tout au plus dérouté par les lois étranges qui semblent régir cet univers. C'est beaucoup plus tard que ce monde de conte de fée basculera dans un univers cauchemardesque. Pour le moment, le narrateur peut se livrer tout comme son personnage au plaisir de la fantaisie.

bonus: pour aller plus loins....

le monde du travail:

Un des principaux thèmes de l'écume des jours reste le monde du travail. Bien que peu de chapitres abordent ce sujet, l'idée de Colin sur le monde du travail, son comportement, celui de Chloé vis à vis des travailleurs ne laissent aucun doute. Boris Vian critique la hiérarchie des entreprises, les patrons, le système du monde du travail en général. Les quelques exemples en dessous, nous montrent comment Vian voit le monde du travail. Des personnages complètement caricaturés, bêtes, méchants entre eux.

Colin et le travailleur: Colin se rend à la patinoire et découvre un personnage qui a pour rôle de distribuer les casiers aux clients. Vian rabaisse au maximum la tâche de cet homme, il ne note pas les clients mais il "trace des initiales du client sur un rectangle noirci à cet effet". Vian montre à travers les yeux de Colin le monde des travailleurs. Cet homme à la patinoire est méprisé par Colin, puisque c'est un travailleur. "Un homme à chandail blanc lui ouvrit une cabine, encaissa le pourboire qui lui servirait pour manger, car il avait l'air d'un menteur". Ce que Vian veut dire, c'est que cet homme, "est un menteur" car il va se servir du pourboire pour manger. Il travaille sans salaire, et c'est ses pourboires qui lui servent à manger.

Les personnages secondaires et le travail: Nicolas, le serviteur de Colin, est un homme très respectable, qui abuse de superlatifs pour qualifier Colin, car il travaille pour lui. Il ne montre pas la sa vraie personnalité, l'appât de l'argent le force à changer son comportement pour pouvoir avoir son salaire. Lorsque dans le premier chapitre, lorsqu'il travaille encore pour Colin, il parle de la manière suivante: "Je n'ai pas l'avantage de connaître Monsieur Chick, (...) cela me permettra de situer avec une quasi-certitude l'ordre spatial de ses goûts et dégoûts" ou encore "Une jolie jeune fille, d’ailleurs, si j'ose introduire ce commentaire". Mais sur la fin du livre, lorsque Nicolas ne travaille plus pour Colin, son langage change totalement, il est lui-même, l'argent ne lui fait plus envie et ne le force donc pas à faire des efforts de langage pour en avoir: "C'est dégueulasse de ta part, dit Nicolas. J'ai l'air de foutre le camp comme un rat". Mais Nicolas n'est pas le seul à changer de personnalité lorsqu'il a affaire à l'argent. Les hommes d'Eglise, au mariage de Colin et Chloé, offrent une grande cérémonie, ils sont nombreux, font durer le mariage car ils savent qu'ils vont être payés. Au contraire, à l'enterrement de Chloé, lorsqu'ils savent que Colin est ruiné, ils bâclent la cérémonie, balancent le corps de Chloé, arrivent dans une voiture de pompiers, et repartent aussitôt.

Colin, Chloé, et les travailleurs: Après leur mariage dans la grande église, Colin et Chloé partent en voyage de noces. Leur mariage se faisait dans une grande église, avec beaucoup de jaune (couleur qui porte bonheur à Colin), avec beaucoup de monde, etc. représentait un endroit très gai. Puis, lorsqu'ils prennent la route pour le voyage de noces, Nicolas qui conduit la voiture passe par un chemin sombre, avec des trous dans la route, un paysage très "glauque". Quand tout à coup, Chloé aperçoit une "bête écailleuse près d'un poteau télégraphique". La bête en question se révèle être en fait un travailleur, qui travaille dans l'entretient des lignes à hautes tensions. Chloé dit alors "C'était... c'était laid". Puis, après un virage, la voiture se retrouve à côté des mines de cuivre, là où des centaines d'hommes travaillent. "On ne voyait dans leurs yeux qu'une pitié un peu narquoise". Chloé dit "Ils ne nous aiment pas, allons nous-en d'ici, ils travaillent, mais ce n'est pas une raison. (...) Pourquoi sont-ils si méprisants ?". S'engage alors une grande conversation entre Colin et Chloé sur le monde du travail: "Ce n'est pas tellement bien de travailler", "en général, on trouve ça bien. En fait personne ne le pense, on le fait par habitude", "en tous cas, c'est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire". Chloé se lance dans une grande théorie lorsque Colin lui dit qu'il faut quelqu'un pour fabriquer ces machines: "Oh, évidemment, pour faire un oeuf, il faut une poule, mais une fois qu'on a la poule ou peut faire des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule". Puis Colin conclut : "Ils sont bêtes. C'est pour ça qu'ils sont d'accord avec ceux qui leur font croire que le travail, c'est ce qu'il y a de mieux. Ca leur évite de réfléchir, et de chercher à progresser et à ne plus travailler". Colin et Chloé n'aiment donc vraiment pas le travail, et pensent que ceux qui travaillent sont simplement "bêtes". Cette ici une inversion, volontaire bien sûr de la part de Boris Vian, puisque normalement, dans les romans, les héros sont les pauvres qui combattent les inégalités et les riches, alors qu'ici, les héros sont les riches... qui méprisent les pauvres.

Colin

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