Eleves En Dificulté
Note de Recherches : Eleves En Dificulté. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresà la scolarisation des enfants des
fractions les plus démunies des classes populaires puis des dispositifs institutionnels de prise
en charge de ces difficultés.
1 « Ruptures scolaires » et « déscolarisation » des collégiens de milieux populaires : parcours et configurations
(avec D. Thin), rapport ronéoté, Université Lyon 2, GRS, juin 2003. Le rapport est consultable à l’adresse
Internet suivante : http://cisad.adc.education.fr/descolarisation
Mathias MILLET - Des élèves « en difficulté » aux élèves « difficiles » : l'exemple des collégiens de milieux populaires en « ruptures scolaires » 2
1. DE QUELQUES CONDITIONS SOCIALES DES « RUPTURES SCOLAIRES »
Les données recueillies lors de la recherche soulignent le caractère imbriqué des conditions
sociales de possibilité qui travaillent les parcours. Loin de pouvoir dégager un facteur
d’explication unique, la reconstruction des parcours des collégiens montre un enchevêtrement
de processus et d’événements familiaux, scolaires, juvéniles qui, dans leurs recoupements
mutuels, créent les conditions favorables aux parcours de « ruptures scolaires » des collégiens.
L’analyse met ainsi en évidence un ensemble de conditions sociales de possibilités
transversales aux différents parcours de « ruptures scolaires » qui, considérées de manière
isolée, ne sont jamais suffisantes.
1.1. Les dimensions familiales
L’étude des caractéristiques familiales montre que les collégiens concernés sont d’abord
massivement issus des fractions les plus démunies et dominées des classes populaires.
Nombre des familles sont dans des situations d’extrême précarité économique et sociale
(RMI, chômage longue durée, « petits boulots » par intérim ou au noir, logement dégradé,
foyer d’accueil). Les changements d’emplois réguliers, l’alternance de périodes chômées et de
périodes travaillées, l’occupation d’emplois non qualifiés, à forte pénibilité, aux horaires
contraignants et variables, imposant le retrait du domicile familial sont monnaie courante. La
faiblesse des revenus, l’incertitude de l’avenir, l’inconstance des rythmes familiaux trament
les expériences quotidiennes des familles, et affectent les conditions de socialisation des
enfants. Dans les familles les plus pauvres, particulièrement lorsque l’on a affaire à des
« mères insulaires2 », les conditions matérielles d’existence entrent directement en
contradiction avec les conditions d’une scolarité sinon « réussie » du moins « normale ». En
multipliant les contraintes matérielles négatives, les conditions d’existence des familles des
collégiens fonctionnent comme autant de rappels à la réalité des nécessités les plus
immédiates et contribuent à ancrer très tôt, chez certains collégiens des familles parmi les plus
dépourvues, des préoccupations matérielles et économiques (comme chez ceux qui expriment
leur souhait de travailler rapidement pour soutenir la famille) qui les éloignent des
dispositions au désintéressement et à la déréalisation scolastiques3. Comment dans ces
conditions entrer dans une scolarité qui demande d’avoir du temps devant soi et de prendre
son temps ? Comment se projeter dans une activité scolaire et faire face à ses difficultés
lorsqu’on doit vivre au gré des urgences matérielles ?
La faible dotation scolaire et culturelle des familles contribue également à désarmer ces
dernières face aux situations scolaires, et à faire qu’elles trouvent en celles-ci des sources
multiples de tensions et de malentendus4 (entre parents et enfants, parents et enseignants,
enseignants et enfants). Plusieurs parents évoquent leurs difficultés pour suivre la scolarité de
leurs enfants et se montrent démunis face au « simple » fonctionnement de l’école (emploi du
temps, obligations scolaires, devoirs à faire), contraints parfois de recourir à des tierces
personnes pour vérifier les devoirs faits à la maison. Ainsi en va-t-il de cette mère qui, ne
sachant vérifier le travail de son fils, demande à l’un de ses copains d’école (dont elle nous
dira qu’il n’y réussit pas bien) de contrôler pour elle les devoirs à faire. D’autres évoquent les
difficultés scolaires qui furent les leurs ou leur faible inclination pour l’école (« Je voulais pas
aller à l’école moi non plus, j’aimais pas l’école »). Dans ces conditions, les moments de
passage d’un cycle à l’autre (e.g. l’entrée au collège) s’avèrent des périodes à haut risque pour
2 MILLET M. et THIN D., « Remarques provisoires sur les “ruptures scolaires” de collégiens de familles
populaires », Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, vol. 36, 1/2003
3 BOURDIEU P., Méditations pascaliennes, Seuil, 1997
4 BEAUD S. et PIALOUX M., Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999
Mathias MILLET - Des élèves « en difficulté » aux élèves « difficiles » : l'exemple des collégiens de milieux populaires en « ruptures scolaires » 3
la scolarité des enfants car aux difficultés nouvelles pour le collégien se combine le
« décrochage » de ses parents.
Les histoires familiales des collégiens sont en outre souvent marquées par de multiples
malheurs sociaux (économiques, géographiques, résidentiels, affectifs) qui ébranlent un peu
plus les ressources dont disposent les familles et pèsent sur l’économie des relations
familiales. Séparations, décès, accidents du travail, maladie, invalidité, exil, déménagement,
prison, etc., trament les histoires sociales des familles et déclenchent ou aggravent des
épisodes difficiles de la vie familiale. L’amoindrissement des ressources familiales porte
d’autant plus à conséquences négatives sur les scolarités des enfants que celles-ci étaient
limitées au départ et que les ruptures sont multiples. C’est le cas d’une séparation ou d’un
décès qui, entraînant l’éloignement physique d’une mère principale détentrice du capital
culturel familial, affaiblit la surveillance exercée sur les enfants, spécialement au niveau de la
scolarité. C’est aussi le cas d’une mise au chômage ou d’une longue maladie qui vient affecter
durablement les rythmes et les horaires de vie, l’extension et l’intensité de la régulation
familiale5, et génère une série de conflits familiaux.
1.2. Les dimensions scolaires et institutionnelles
Réduire l’explication des parcours de « ruptures scolaires » à la seule dimension des
propriétés familiales serait omettre de dire ce qu’ils doivent aux processus proprement
scolaires, qu’il s’agisse des difficultés d’apprentissage rencontrées par les collégiens, des
effets liés à la sédimentation de conflits au cours des parcours ou qu’il s’agisse de
disqualification symbolique. Les processus de « ruptures scolaires », loin de consister en un
simple rejet de l’école par les collégiens, relève d’un processus de rejet réciproque, des
collégiens par l’institution scolaire (une mère nous déclare à propos de son fils : « l’école, elle
l’a pas aimé »), et de l’école par les
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