DissertationsEnLigne.com - Dissertations gratuites, mémoires, discours et notes de recherche
Recherche

Le Personnage De Roman

Documents Gratuits : Le Personnage De Roman. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires
Page 1 sur 4

et le lecteur fictif, c'est que, naturellement, le premier existe dans la réalité, alors que le lecteur idéal, par définition, n'existe que dans la psyché de l'écrivain. Pour emprunter encore une formule à Pingaud, « le destinataire de l'oeuvre (...) n'est pas un véritable allocutaire » (p. 154). D'autre part, la grande ressemblance, la ressemblance fondamentale entre l'analyste et le lecteur imaginaire — comme l'a montré Michel M'Uzan. Je ne commence à fantasmer d'une façon active et, pour ainsi dire, sensible et tangible que lorsque je suis assis, une plume à la main, dans mon fauteuil ou à ma table de travail. Est-ce parce que je laisse alors, jusqu'à un certain point, « l'initiative aux mots » et que, pour m'activer, pour concréter mon fantasme, je feuillette souvent mon dictionnaire analogique ou parcours une liste de mots que je me suis fabriquée? — Peut-être. Mais cela n'est vrai qu'en partie. Lorsque je ne suis plus en train de feuilleter un dictionnaire ou de contempler une constellation de mots-tremplins, mais bien en train d'écrire véritablement, j'ai beaucoup moins l'impression de laisser l'initiative aux mots. En effet, je sens alors (et il s'agit, bien sûr, d'un sentiment purement subjectif), je sens alors que j'ai « quelque chose à dire » : un quelque chose d'indissociable peut-être de sa forme, mais qui néanmoins n'est pas à la remorque des mots. Quoi qu'il en soit, chez moi la mise en branle fantasmatique puis scripturale dépend et découle de la situation d'écriture. J'hésite à donner des précisions, de peur qu'elles ne paraissent insignifiantes ou dénuées d'intérêt : comme si je vous apprenais que j'ai une voiture bleue ou un complet marron. Pourtant, vu les hypothèses que ce phénomène m'a permis d'élaborer, je crois utile d'indiquer que, si je veux travailler à un roman (ou plus généralement à une oeuvre d'imagination) la situation d'écriture ne tolère guère de variantes. Elle devient inopérante si, au lieu d'avoir une plume à la main, je me place devant ma machine à écrire ou mon dictaphone (comme j'en ai maintes fois tenté d'expérience). Et cette incapacité de rédiger ne découle pas d'une maladresse dactylographique ni d'une inhibition ordinaire de la parole. D'où provient-elle donc ? Je l'attribue à deux causes principales (qui sont d'ailleurs hypothétiques) :

(1) Les Deux Sources de la moral* t t de U religion, Paris, Librairie Félix Alcan, 1952, p. 3.

64

GÉRARD BESSETTE

1 — La première, c'est que ni la machine à écrire ni le magnétophone ne me reportent, sur le plan affectif et fantasmatique, à l'époque où, âgé de cinq ou six ans, je faisais l'apprentissage de l'écriture et de la lecture : deux opérations qui revêtaient pour moi un caractère en quelque sorte magique et me rapprochaient de mon allocutaire parental (ou magistral). (Il va sans dire que j'ai appris la dactylo beaucoup plus tard : — vers la vingtaine. Quant au magnétophone, j'étais déjà adulte quand son usage s'est répandu.) 2 — La deuxième cause de ma stérilité spécifique, c'est que ni le clavigraphe (comme on l'appelait ici autrefois) ni le magnétophone ne me permettent de me corriger tout de suite facilement — ni même de marquer d'un signe (visuel ou sonore) les passages boiteux et culpabilisants. Cette exigence d'une possibilité de correction et donc de disculpation immédiates témoigne chez moi, comme chez la plupart de mes confrères canadiens-français, d'un surmoi linguistique sévère. On ne saurait s'en étonner : car, derrière ce surmoi, en plus de

...

Télécharger au format  txt (5.7 Kb)   pdf (72.7 Kb)   docx (7.5 Kb)  
Voir 3 pages de plus »
Uniquement disponible sur DissertationsEnLigne.com