Essai De Commentaire De Fiche De Lecture

édecins les considèrent étrangères à leur exercice… essentiellement parce que la médecine ne les traite pas avec succès. L’ethnocentrisme de la pratique et de la formation médicales, qui dénie aux patients une cohérence de leur rapport à la santé, est donc mise à rude épreuve, notamment lorsque Jean Peneff étudie les catégories particulièrement consommatrices d’urgences que sont les jeunes, les pauvres et les étrangers.

Pour autant, contrairement à la situation en Angleterre ou aux États-Unis, le brassage social persiste dans ces services, leurs usages par les classes moyennes et supérieures révélant un ensemble de valeurs qu’elles diffusent en matière de santé. Dans ces passages qui tiennent parfois de l’essai, avec les limites de ce registre, l’auteur est incisif à propos de cette tendance à l’incitation à prendre soin de soi, lorsque « la fréquentation médicale devient une obligation morale », la représentation de la maladie devenant la norme alors que la bonne santé incarne la déviance. C’est là que le concept d’offre est utile : « Ces attitudes consuméristes sont les conséquences d’une offre multiforme concurrentielle qui s’est diffusée sur plusieurs générations » (p.162). Cependant, il semble rapide d’imputer la consommation en urgence à un modèle culturel issu des classes moyennes, car elle relève aussi d’une évolution hospitalocentriste des liens entre l’hôpital et la pratique de ville, peu discutée dans cette partie, les services d’urgences jouant de plus en plus un rôle de filtre au détriment d’hospitalisations directes par exemple.

17En sociologue qui ne rechigne pas à introduire les inégalités sociales au cœur du problème qu’il étudie, Jean Peneff n’élude pas les questions politiques posées par cette consommation médicale en urgence. Il rappelle que les besoins de santé sont d’origine sociale, ils sont donc infinis et illimités, relatifs à la position de chacun dans la société. D’où l’utile discussion dans sa conclusion sur les dépenses de santé qui deviennent un nouvel instrument de création d’inégalités. Le système de soins et de la Sécurité sociale constitue en fait pour l’auteur un transfert des charges collectives au profit des classes aisées (principales bénéficiaires de l’offre de soins). Parce qu’une partie des classes populaires profite de la manne, cet immense impôt semble indolore. Ce n’est pas le moindre des atouts de ce livre que de montrer que la « santé » peut permettre de renforcer en douceur les formes de domination. •