Faute Lourde
Commentaires Composés : Faute Lourde. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresstances du retard ou de la perte de leur colis ; seul le transporteur peut les connaître et, le cas échéant, il peut d’ailleurs se permettre de ne pas les révéler dès lors qu’il n’encourt aucune sanction de ce chef[8].
C’est surtout par la jurisprudence Chronopost que les juges du fond se sont penchés sur la notion de faute lourde.
On se souvient que, dans son arrêt du 22 octobre 1996[9] , la chambre commerciale de la Cour de cassation avait, au visa de l’article 1131 du Code civil, déclaré non écrite une clause limitant l’indemnisation d’un client en cas de retard dans la délivrance d’un pli. Elle avait considéré qu’un tel retard traduisait un manquement à l’obligation essentielle souscrite par Chronopost, de livrer les plis dans un délai déterminé. Dans un arrêt du 09 juillet 2002[10], la même chambre avait précisé qu’en cas d’inapplicabilité d’une telle clause, le droit commun du transport trouvait à s’appliquer. Or, la loi du 30 décembre 1982 et le contrat-type de messagerie établi par décret du 4 mai 1988, prévoient un plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur peut tenir en échec.
C’est sur cette notion de faute lourde que s’est prononcée la Cour de cassation par deux arrêts rendus en chambre mixte le 22 avril 2005[11], qui concernaient également un retard d’acheminement de plis. Dans la première espèce, elle souligne que la faute lourde ne saurait résulter du seul fait, pour le transporteur, d’être incapable de fournir des éclaircissements sur la cause du retard. Dans la deuxième espèce, elle refuse de considérer qu’une telle faute résulte du seul retard de livraison, rappelant que la faute lourde doit être caractérisée par une négligence, « un comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée »[12].
Le seul fait, pour le transporteur, de ne pas pouvoir donner d’explication sur les circonstances entourant la perte d’un colis n’est pas suffisant pour caractériser cette faute lourde, qui ne peut résulter de la simple origine indéterminée de la faute du transporteur[13].
Pour tenir en échec le plafond légal d’indemnisation, il appartient à l’expéditeur d’établir l’existence d’un ensemble de faits précis révélant la négligence ou l’incurie ; c’est à lui qu’incombe la charge de cette preuve et non au transporteur de prouver qu’il n’a pas commis de faute.
Cette preuve avait été établie, par exemple, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 30 juin 1998, où la faute lourde a été retenue parce que le colis à livrer, avant d’être expédié, avait été conservé 12 jours sans raison par un transporteur aérien, ce qui démontrait la désorganisation du service[14].
Pour la notion de faute lourde, une définition plus sévère a été donnée par les juges du fond. La préférence à la subjectivité permet de s’attacher au comportement du débiteur et à la gravité de sa défaillance. A l’inverse, une objectivation consiste à prendre en compte le caractère essentiel ou fondamental de l’obligation. Et, comme le précise Grégoire Loiseau « mise au service de la police des clauses limitatives de responsabilité, cette objectivation (de la responsabilité) pouvait, dans cet esprit, conduire à donner un rôle plus actif à la faute lourde, qui permet de neutraliser de telles clauses »[15] et permet aussi d’éviter, comme dans les arrêts précités, d’avoir une indemnisation plafonnée. L’objectivation privilégie la situation de victime.
Cependant, le problème découle aussi de la disposition réglementaire litigieuse du contrat type.
En effet, le professeur Denis Mazeaud[16] considère que lorsqu’une clause est réputée non écrite, le droit commun, en l’occurrence le droit des transports, est appelé à combler cette lacune du contrat. Or, en vertu de l’article 8-2 de la loi du 30 décembre 1982, les transports sont régis, à défaut de convention écrite définissant les rapports entre les parties, par des contrats types applicables à l’opération en cause.
Ainsi, si l’on suit la logique du deuxième arrêt « Chronopost », on doit admettre que, quelques soient les réserves que peut susciter la clause limitative d’indemnisation inscrite dans l’article 15 du contrat type, le juge judiciaire n’a pas compétence pour en contester lui-même la légalité, dans la mesure où il s’agit d’une clause de nature réglementaire, validée par un décret pris en application de la loi. La règle de la séparation des pouvoirs posée par la loi des 16 et 24 août 1790 s’oppose à ce que le juge judiciaire puisse écarter l’application d’un tel contrat type pour contrariété à la loi[17] . Si l’illégalité était invoquée devant lui, il ne pourrait que renvoyer cette question préjudicielle au juge administratif et surseoir à statuer dans l’attente de la décision de ce dernier[18].
Ainsi, le Conseil d’Etat, dans un arrêt en date du 06 juillet 2005 a validé le décret n° 99-269 du 6 avril 1999, qui remplace, en des termes identiques, celui du 4 mai 1998. En conséquence, l’origine légale de la clause interdisant au juge d’en apprécier la validité réside dans les conditions de sa mise en œuvre et plus précisément dans l’existence de la faute lourde du débiteur, que devrait être recherché le moyen de la neutraliser.
Cependant, la volonté des parties porte sur la souscription par écrit au contrat spécifique de Chronopost, propre au transport rapide de plis urgents comportant l’obligation particulière de délai et non pas au contrat type visant de façon générale tous les transports terrestres de marchandises de moins de trois tonnes.
L’article 8-II de la loi « Loti » du 30 décembre 1982 précise lui-même que ce n’est qu’à défaut de convention écrite définissant les rapports entre les parties au contrat que les « clauses-types » s’appliquent à titre subsidiaire. Or, il existait bien un contrat écrit dans les deux affaires en cause.
Selon cette thèse, c’est donc la clause limitative de réparation figurant dans le contrat Chronopost, tel qu’il a été signé par les parties, qui a vocation à s’appliquer dans les relations entre les contractants. Il convient d’apprécier la validité de cette clause.
Cette analyse conduit à un retour à la position de la chambre commerciale lors du premier arrêt Chronopost[19]. Dans la mesure où la clause limitative d’indemnisation n’aurait plus qu’un caractère contractuel, elle pourrait être combattue sur le terrain de l’article 1131 du Code civil. Par conséquent, elle sera réputée non écrite ce qui permettra à l’expéditeur d’obtenir réparation du préjudice effectif qu’il a subi, sans avoir à se référer au contrat type concernant les transports routiers ordinaires de marchandises ni à démontrer nécessairement l’existence d’une faute lourde de Chronopost[20].
Cependant, il ne faut pas croire que la notion de « cause » et l’application de l’article 1131 du Code civil puisse aujourd’hui prêter à controverse.
Certes, une clause limitative d’indemnisation réduit la réparation au seul montant du prix du transport en cas de retard d’acheminement. Or, la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, échapperait à son obligation essentielle de rapidité et percevrait, de la sorte, un prix sans fournir la contrepartie attendue par le cocontractant. La cause même de l’obligation s’en trouverait affectée.
C’est ce qu’exprime le professeur Grégoire Loiseau[21] : « la théorie de la cause permet de condamner, non une conduite fautive dans l’exécution du contrat, mais la clause elle-même dans son
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