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Faut-Il Respecter Toutes Les Opinions?

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t on comprend vite que ce bruissement puisse

tourner à la cacophonie, dans la mesure où la société s 'édifie dans la rencontre des opinions et des

représentations que la société se fait d'elle-même, et dans la mesure où si toute société se construit

dans le cadre de la liberté, elle exige en même temps de suivre un certain ordre. L'équilibre est2

fragile et l'on a vu que la « passion pour la vérité» pouvait donner lieu à d'irrépressibles terreurs, par

exemple aux pires moments de la Révolution française, en 1793.

Nous voyons ainsi s'élever devant nous un édifice intimidant, quoique pourtant familier : ces

opinions, qui semblent relever des croyances, et que Platon lui-même inclut dans la doxa (ensemble

de représentations auxquelles on adhère plus par habitude que par conviction et raisonnement), pour

autant qu'elles sont banales, quotidiennes, mélangées, reçues et mêmes souvent grossières ou

étonnantes, ne l'ont pas toujours été, et ne le seront pas toujours. L'histoire nous rappelle que ce que

nous croyons aller de soi aujourd'hui, était hier impensable. La variabilité de l'opinion, dans le temps

comme dans l'espace, nous renvoie à ce que Montaigne, dans son scepticisme extrême à l'égard de

l'humanité, considérait comme une situation inconfortable : « le monde est une branloire pérenne, et

rien n'y est assuré ». Dans les mouvements et changements perpétuels, l'opinion serait encore ainsi

le moins assuré : l'homme change d'avis et seuls les sots n'en changent pas, dit le dicton, ce

condensé d'opinion. Aussi, se demander s'il faut respecter toutes les opinions revient à se demander

s'il faut respecter cette inconstance humaine que l'on peut lire jusque dans les vétilles de la mode

toujours changeante qui, comme l'assurait au XVIII

e

siècle Castel, l'abbé de Saint-Pierre, a prouvé

sa constance.

Respecter ce qui est changeant et fuyant, labile comme l'eau qui glisse entre les doigts et

inconsistant, c'est se demander avec Platon, s'il faut respecter les ombres sur les parois de la

Caverne, sur lesquelles se penchent les experts, qui en l'occurrence ressemblent aux médecins de

Molière qui lâchent toujours la proie pour l'ombre ; de la banalité à la violence outrageante,

l'opinion prend tous les masques et toutes les figures et comme Dom Juan, se drape dans une dignité

qu'on aurait bien du mal parfois à lui accorder. Aussi, la question qui nous est posée conduit à

prendre en considération deux perspectives : nous ne saurions accorder véritablement de crédit à ce

qui ne semble pas vouloir soi-même se fonder sur autre chose que l'expression de la subjectivité.

Mais d'un autre côté, et si l'opinion est le vrai ferment de la vie politique, comment ne pas la prendre

au sérieux, y compris même dans son insouciance, dans ses extrémités et dans la banalité du mal

qu'elle peut véhiculer ?

Développement

1) L'opinion est généralement plébiscitée.

Qui ne tient à ses opinions ? Chacun dans l'existence a un avis, veut le faire partager et

généralement défend avec conviction ce qu'il considère comme un avis autorisé, sans pour autant

reconnaître que la détermination à défendre son avis est plus une tentative de persuader

l'interlocuteur, parfois en jouant sur ses craintes ou ses désirs, qu’un effort pour trouver des

arguments rationnels. Les opinions semblent émaner de notre personne, être attachées à elle, comme

si elle était notre bien propre. Nous n’avons pas d'opinion sur tout, mais sur presque tout. C'est la

raison pour laquelle nous discutons aussi bien des choses qui nous plaisent (les partisans de la

cuisine légère s’opposent aux amateurs de tête de veau), que de celles qui sont belles : l’opinion est

versatile mais grossière, sinon ambitieuse dans ses intentions. L’indignation par exemple, est le

passage obligé de toute exhortation morale par laquelle se déploie la liste de ce qu'il convient de

faire. Par l'opinion, nous ouvrons une fenêtre non seulement sur le régime de vie d'une population, à

un moment donné de son histoire, mais nous pouvons aussi avoir accès au tempérament de

l’individu, à son mode d'être, et à la qualité de son âme. Les opinions nous renvoient ainsi à un

modèle de la vie politique qui nous rappelle la formule de Platon au début de la République,

lorsqu'il indique à ses interlocuteurs, que pour voir l'âme humaine « en gros caractères », il fallait

pouvoir opérer cette lecture en regardant les institutions politiques : ce qu'est un individu, il le doit à

la manière dont il a été éduqué. Et l'éducation dépend elle aussi des institutions régies par la loi, qu'il

s'agisse de la famille ou de l'école.3

Aussi est-ce à bon droit que nous pouvons considérer les opinions comme le reflet plus ou

moins déformé qui prend sa source dans la polis. La société elle-même n'étant pas homogène, il est

naturel de voir une certaine hétérogénéité dans les opinions. C'est ce qui d'ailleurs occasionne les

tensions entre des intérêts souvent contradictoires, puisque la querelle sur « la vie bonne » est à

l'origine de la multiplication des opinions religieuses, économiques et ainsi de suite. Pour autant, les

opinions se veulent être un terreau légitime sur lequel doit croître l'arbre de la Callipolis (la belle

Cité) : chacun croit être pourvu d'un si bon sens que personne, comme le soulignera Descartes à la

première page du Discours de la Méthode, n'en désire davantage. C'est la raison pour laquelle

chacun se croit légitimé et conforté dans ses opinions, non pas seulement parce que c'est là son droit,

mais surtout parce que l'opinion se veut être la source de toute vérité sur la Cité. Or, il semble bien

que si l'opinion cherche par le droit à se faire respecter, il faudrait avant toute chose qu'elle fonde

cette prétention sur une légitimité ; en effet, nous ne saurions respecter rien qui n'oblige d'abord

notre esprit à se présenter chapeau bas. Et quelle est la puissance qui peut exercer une telle autorité ?

Celle qui est à même de nous convaincre et qui par l'exercice de la réflexion se présente comme une

puissance rationnelle : seul le Logos dispose de cette autorité naturelle sur nous, sauf justement

lorsque sa source, comme nous allons le voir, est obscurcie.

2) Illégitimité de l'opinion

L'opinion agit sur l'âme, cela n'est guère nouveau : il n'est qu'à se reporter aux rumeurs, aux

propos des arrière-cours qui tendent à discréditer autrui pour s'en convaincre, mais aussi aux actions

qui se développent, dès lors que nous pensons que notre bonheur, ou notre situation, est en passe de

changer sans bénéfice pour notre confort personnel. Il nous suffit aussi de méditer sur la colère, qui

peut avoir diverses origines, dont la plus remarquable n'est pas celle que nous nourrissons à l'égard

...

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