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Lecture analytique Le Melon de Saint-Amant (1634)

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autre fonction de ce parcours interrogatif est aussi de mettre en valeur l'apparition du melon: celui-ci n'en devient que plus précieux et se présente comme une épiphanie, c'est-à-dire une apparition magique, divine, que l'on va se mettre à adorer3. 2°) L'esthétique raffinée du melon Il y a aussi tout un travail d'esthétisation du melon. a) Les effets de valorisation Saint-Amant valorise son melon au moyen de procédés assez traditonnels. Par exemple, il associe le melon à des éléments précieux et rares: « musc...ambre... framboise... cristal... grains d’or... régal de prince ». Les adjectifs antéposés mettent en valeur la qualité de la chose désignée: « doux parfum... belles fleurs.... éternelle santé... admirable structure... plaisants chiffres d’amour... claire marque... ce beau fruit... les aimables vertus... un vrai régal ». Saint-Amant utilise aussi des superlatifs (« un si beau teint ») et surtout des tournures hyperboliques: « j’en tombe en extase... notre éternelle santé... une admirable structure.. Mille plaisants chiffres d’amour... une amitié sans seconde... l’éclat qu’il me lance... l’excellence... grains d’or... un vrai régal de prince ». Les périphrases « le cristal, que l’art humain / A fait pour couronner la main », « ce panier rempli de vert », « Pomone, qui préside aux fruits » donnent l'impression qu'on ne veut pas désigner directement la chose et donc, d'une certaine manière, la sacralisent. b) Le style héroï-comique De plus, Saint-Amant élève une chose ordinaire – un fruit, tout relativement rare qu'il soit au 17e siècle – au rang de dieu ou de demi-dieu, en développant un vocabulaire et un style souvent soutenu et littéraire, avec notamment des références mythologiques: c'est notamment la référence à Pomone, qui dans la mythologie est la nymphe protectrice des fruits, mais il y a aussi une personnification de la mère Nature qui aurait porté le melon et en aurait pris soin: « Elle [antécédent: « la nature » qu'on trouve un peu plus haut] chérit ce doux manger,/ Et que, d’un souci ménager, / Travaillant aux biens de la terre,/Dans ce beau fruit seul elle enserre/ Toutes les aimables vertus /Dont les autres sont revêtus. ». Tout cet arrière-plan mythologique est repris dans l'expression « Que j’en commette idolâtrie », qui renvoie à l'idée de sacrifices païens rendus aux dieux. Saint-Amant fait des emprunts plus ou moins dissimulés au registre noble ou littéraire pour faire l'éloge de choses qui n'y appartiennent pas.

Eléments pour une introduction Saint-Amant (1594-1661) fait partie de ces poètes baroques1 de la première moitié du 17e siècle, qui ont été un peu oubliés en raison du mépris qu'avaient pour eux les écrivains de la génération suivante, c'est-à-dire les Classiques. L'oeuvre de Saint-Amant est particulièrement originale, dans la mesure où il s'est intéressé à des sujets a priori peu poétiques: s'il a écrit un long poème épique (et donc « noble, élevé ») restituant l'épopée de Moïse ( Moïse sauvé des eaux), il a aussi célébré « Le fromage » (de Brie), le « Paresseux », « La Pipe », le « Poète crotté »... Ici, dans ce long poème de plus de 300 vers dont nous avons l'extrait, il fait l'éloge d'un fruit, le melon, qui est aussi une invitation à le déguster. Le poème commence avec des octosyllabes puis se poursuit avec des alexandrins. Après avoir raconté la découverte d'un melon dans son domicile, il donne, sur le mode héroï-comique, une origine mythologique à celui-ci et décrit la pamoison 2 des dieux Olympiens devant ce fruit. Nous étudierons tout d'abord comment Saint-Amant met en valeur et célèbre le melon (Ie partie) puis comment s'instaure une relation du poète avec ce melon et avec le lecteur (IIe partie). I La mise en valeur et la célébration du melon Plusieurs procédés permettent à Saint-Amant de mettre en valeur et de célébrer son melon.

1°) L'effet de suspens et de retardement Ce n'est qu'au terme de plusieurs phrases interrogatives qui créent un effet de retardement et de suspens, que le melon apparaît véritablement sous sa désignation directe, au vers 21 (« C’est un Melon »). Certaines de ces interrogatives sont particulièrement longues, se développent sur de plusieurs vers, comme lorsqu'est envisagée l'hypothèse d'un verre susceptible de dégager cette odeur, au moyen d'une très longue périphrase qui s'étend sur sur 6 octosyllabes: « le 3°) Une esthétique du caprice4 cristal, que l’art humain/ A fait pour couronner la main,/ Et d’où sort, quand on en veut boire,/ Un En même temps, ce qui donne une véritable originalité au texte, c'est que Saint-Amant crée air de framboise à la gloire/ Du bon terroir qui l’a porté/ Pour notre éternelle santé ? ». Ce l'impression d'une découverte improvisée, avec des ruptures de ton brusques et inattendues parcours interrogatif a deux fonctions essentielles. Tout d'abord, il éveille la curiosité des qui tranchent avec ces procédés de valorisation, ce qui fait qu'on pourrait parler d'un caprice (il

1 Baroque: à l'origine ce terme désigne en joaillerie une perle irrégulière. Mouvement littéraire et artistique qui naît à la fin du XVIe siècle, qui coïncide avec la Révolution copernicienne (fin du géocentrisme), et s'épanouit durant toute la première moitié du XVIIe. L'homme est comme saisi d'un vertige, n'est plus au centre de l'univers. Cela se traduit artistiquement par un goût pour la fantaisie, l'illusion, les trompe-l'oeil, les formes bizarres et fantaisistes, l'éphémère, le mouvement, la profusion des formes, etc. Ecrivains baroques: Saint-Amant, Tristan l'Hermite, Saint-Amant, etc. Le fait de se pâmer, s'évanouir de plaisir, s'extasier, être paralysé sous l'effet d'une sensation très agréable. 3 4 Epiphanie: en grec, epi (=au-devant) et phané (=apparition visuelle). C'est l'apparition de Jésus-Christ aux Rois Mages, qui vont le contempler. De l'italien « capriccio »: « capra »= la chèvre, l'animal qui se déplace selon sa fantaisie. Le caprice peut désigner une pièce musicale qui semble improvisée et non régulière, avec des ruptures de rythme. Ce terme est employé aussi dans les beaux-arts et correspond à des dessins représentant des paysages ou des personnages étranges et fantaisistes: ainsi le dessinateur Jacques Callot (1592-1635) , contemporain de Saint-Amant, est connu pour sa série de Caprices.

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faut savoir définir ce que c'est. Cf la note). Il y a de nombreux décrochages énonciatifs, avec les exclamatives parfois triviales, d'un niveau familier qui font qu'on a l'impression parfois d'entendre un bon bourgeois s'exclamer: « Ha ! bon Dieu ! j’en tombe en extase... Baillez-le moi, je vous en prie... Page, un couteau, que je l’entame... Ô ! quelle odeur ! qu’il est pesant !... C’en est fait, le voilà coupé ... Ô dieux !... J’en ferais pourtant un repas». Le poème mêle plusieurs impressions, plusieurs sensations, plusieurs registres de langue, part dans plusieurs directions et crée l'illusion qu'il s'agit d'un discours improvisé et que le poète est véritablement en train de faire la découverte de son melon. De plus, on voit tout un intérieur raffiné sortir du melon («Toutes les aimables vertus... odeur... Pomone, qui préside aux fruits... l’éclat qu’il me lance... un si beau teint... un jaune sanguin... Il a peu de grains dans le ventre... grains d’or... Son écorce est mince ») mais celui-ci est déconstruit et n'est jamais vu dans sa totalité, pris dans cette esthétique désinvolte du caprice. Il y a un pullulement du multiple et du tout, une juxtaposition du burlesque et du lyrique (j'adore cette phrase. Normal: elle est de moi). II La relation du poète avec l'objet et le lecteur 1°) L'éveil des sens. La mise en bouche: la fonction apéritive5 du poème Mais il ne s'agit pas seulement d'une célébration et d'une valorisation d'une chose. Il s'agit aussi d'introduire une relation de désir entre le poète et le melon et par ailleurs, de susciter la convoitise du lecteur. a) lexique de la perception: Pour cela, Saint-Amant développe toute une langue sensorielle, faisant appel aux sensations: • la sensation olfactive, qui domine les interrogations initiales: « Quelle odeur sens-je... doux parfum de musc et d’ambre.... fleurs... A-t-on brûlé de la pastille... Un air de framboise... Ô ! quelle odeur ! » • la sensation visuelle: « belles fleurs [qui] Parent6 le haut de ce buffet... Qui vit jamais un si beau teint....D’un jaune sanguin il se peint... grains d’or... » • la sensation gustative: « quand on en veut boire... afin qu’au goût il se rencontre...ce doux manger... » • la sensation tactile: « qu’il est pesant... en le baisant... le voilà coupé... couronner la main... A voulu graver » • et peut-être même la sensation auditive: « ce vin qui pétille ». De sorte que le melon vient comme éveiller et combler les sens. b) une langue gourmande: en même temps, cet éveil des sens se double d'une forme de jouissance linguistique. Saint-Amant désire le mot comme il désire le melon. Il utilise une langue gourmande destinée également à exciter la convoitise du lecteur. En effet, dès les premiers vers, Saint-Amant établit tout un jeu phonétique mêlant les sonorités sifflantes

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