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Commentaire d'une citation de Joë Bousquet

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opose doit être entendue comme celle qu’il a le plus réfléchit. Elle est le fruit le plus mure de sa pensée sur la poésie. Il écrit influencé et influençant ses amis littéraires R. Char, P. Eluard, A. Gide, ou encore L. Aragon. Il semble donc que cette définition soit en phase avec l’acceptation de nombre des plus grands auteurs français du XXème siècle. Elle pose des problématiques qui sont éminemment liées au surréalisme et aux autres courants (secondaires sans doute) de ce temps.

Il s’agit alors pour nous, lecteurs de J. Bousquet, de nous interroger sur la spécificité de cette approche de la poésie qui semble nous dire que la parole poétique est le salut de l’humanité, que le vers est l’éminent lieu d’un échange salvateur et obligé. Il faut donc dans un premier temps aborder cette question de la poésie qui sauve : comment et pourquoi elle est le chant universel de ceux que Villon appelle les « frères humains ». Toutefois, et cette citation de Villon nous y encourage, il est également nécessaire dans un second temps de souligner et de mettre en valeur les « racines » de la parole de J. Bousquet, car bien qu’elle s’inscrive dans un mouvement apparemment novateur (le surréalisme qu’a initié Apollinaire), elle est, par bien des aspects, l’écho d’une longue Histoire de la poésie. Elle nous renverra donc à la place traditionnelle de la parole versifiée et du poète, et à son rôle dans les diverses civilisations qui ont engendré celle de Bousquet et la nôtre. Face à cette très profonde perspective temporelle et au sens de la citation de notre poète, nous en viendrons alors à nous demander en quelle mesure peut-on parler de la poésie comme d’un miroir « universel » de la condition humaine et si ceci ne serait pas une utopie que de penser cet art comme un salut. Nous tenterons d’expliquer ceci.

Mais tout d’abord, il faut revenir sur cette définition assez complète et pourtant abstraite de Joë Bousquet. En effet, notre auteur est loin de parler de style ou de modes d’écritures purement techniques comme le fait Boileau dans son Art Poétique en 1674 :

« Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,

Fit sentir dans les vers une juste cadence,

D’un mot mis en place enseigna le pouvoir,

Et réduisit la muse aux règles du devoir. »

Joë Bousquet lui parle de la poésie comme de « l’essence vocalisée de l’homme ». Il considère donc que l’homme, et le poète en premier sans doute, se traduit en mots via la poésie. La parole poétique transcenderait donc le réel, le physique, la matière et sans doute, un ordre strict ou des règles préétablies. De plus, l’usage du verbe « vocaliser » est très intéressant : il évoque la « musique » de la poésie et ici encore, il est aisé d’opposer Bousquet à Boileau qui acène, toujours dans son Art Poétique :

« En vain vous me frapper d’un son mélodieux,

Si le terme est impropre ou le tour vicieux »

Hérésie pour Bousquet qui voit la musicalité comme l’une des principales caractéristique de la poésie. La sonorité a donc selon lui, une place de choix, « j’insiste surtout sur le fait que dans tout poème le mot est premier à l’idée ». En effet, Bousquet fait partie du mouvement surréaliste dont le manifeste a été rédigé par Apollinaire. Ce dernier y valorise la déstructuration, mais aussi et surtout, la musicalité de l’écriture. Le manifeste propose d’ailleurs une portée musicale (sol, mi, ré, ré, sol, fa, mi, mi, mi, ré, mi, ré, mi, ré) que certains ont entendu comme sa « petite musique », celle qu’il a en tête quand il écrit. On comprend donc bien la place du son dans cette poésie surréaliste. Pour Joë Bousquet, la valeur de la mélodie est d’autant plus importante que c’est du fait de la primauté du mot sur l’idée que l’on doit considérer la poésie comme une espèce de chant universel : c’est par la primauté du mot sur l’idée que la poésie « s’adresse à l’humanité ». Le son est compris par tous, il donne plus de vérité et donc d’unité que le sens qui sous-tend une imparable interprétation. Alors, il est possible de lire notre citation à la lumière des découvertes qui sont faites à l’époque de Bousquet, en matière de langage et de linguistique. L’œuvre de F. Saussure par exemple, avec son Cours de linguistique générale publié en 1916, où sont définis certains concepts fondamentaux (distinction entre langage, langue et parole, entre synchronie et diachronie, caractère arbitraire du signe linguistique, etc.), a sans nul doute pesé sur la réflexion de notre poète. Le signifiant, c’est-à-dire l'image acoustique d'un mot prime sur le signifié qui désigne lui, un concept, c'est-à-dire la représentation mentale d'une chose. Or il semblerait que ceci fasse de la poésie, l’art littéraire le plus complet : elle peut être entendue, lue, vue, et même ressentie. C’est en cela qu’elle « s’adresse à l’humanité plus qu’à l’homme » individuellement.

Mais qui dit poésie dit avant tout poète car cette adresse à l’humanité découle d’un individu qui a - a priori- travaillé. En effet, même si des auteurs tels qu’Apollinaire ont laissé entendre que l’écriture est pour eux avant tout un exercice de spontanéité, les brouillons et autres esquisse ne trompent pas. J. Bousquet parle d’ailleurs d’un « travail de dingo » en 1938, pour qualifier la mise au point de trois de ses ouvrages (Le passeur s'est endormi, Le mal d'enfance dédié à Paul Eluard, et Iris et Petite-Fumée) dont il parle dans une lettre à son ami Jean Ballard, directeur des Cahiers du Sud.

Toutefois, il est étrange que jamais dans notre citation, il ne fasse de références directes au poète. Il nous dit simplement que « le mot (…) est dans celui qui parle ou écrit ». Il est donc sous-entendu que le mot poétique est « l’essence » du poète. A ce titre, notre auteur écrit qu’ « il ne s’agit pas pour lui d’écrire, mais de rendre à sa vie sa hauteur inévaluable ». En ce sens, il affirme que la poésie est le salut de l’humanité alors que « ce siècle est foutu », mais elle est aussi celui du poète. C’est la poésie qui permet la VRAIE vie, car la fiction a quelque chose de supérieur au réel. Cette acceptation de la part de Joë Bousquet est évidemment à relier à sa condition physique. Le corps de l’auteur a souvent – pour ne pas dire toujours – un pendant dans son écriture. Ici, Bousquet pose la poésie comme le monde des possibles. Lui qui est handicapé physique peut malgré tout danser avec les mots et avec les sons ; il peut se livrer mais, en même temps, la richesse de la langue lui autorise une certaine pudeur. Le mot est donc un voile plus ou moins épais, il est le vêtement du poète, de ses pensées, de ses rêves : « le surréalisme est un moyen de libération totale de l’esprit » affirme-t-il. Bousquet est dans ce qu'il appelle « l’outre-voir », il va au-delà du simple entendement des mots : son regard est « éclairé » par cette compréhension qui dépasse la raison pure. Il y a pour lui un « sentir » la poésie, la vivre en quelque sorte. Ceci n’est pas sans évoquer La Lettre du Voyant de Rimbaud par ailleurs : «Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant! » Il est certain qu’en matière de sens affolés et d’ineffables tortures, J. Bousquet – qui n’a cependant publié qu’un seul recueil : La Connaissance du Soir - correspond à ce voyant. Mais lui souhaite également que nos regards de lecteurs s’éclairent pareillement et qu’ils aillent aussi au-delà du sens strict.

En effet, il y a là l’idée de transmission du poète au lecteur chez Joë Bousquet. Quand Proust parle d’un passage du « moi qui vit » au « moi qui écrit » chez l’auteur, Bousquet ajouterait sans doute que la conséquence chez le lecteur est un passage du « moi qui vit » au « moi qui lit » car « le mot (…) est dans celui qui parle ou écrit », dans le poète donc, et passe « dans l’esprit de qui le lira et l’entendra ». Ecrire permet à l’auteur de se livrer, il se donne en même temps qu’il nous donne à lire. De plus, jusqu’à présent nous n’avons pas commenté la provenance de notre citation. Or, elle n’est pas d’une importance moindre quand il s’agit d’expliquer la thématique de la transmission qui traverse la parole de Joë Bousquet. En effet, cette définition est d’abord publiée dans la revue Poésie 41 de Pierre Seghers avant d’apparaitre dans la postface des Yeux d’Elsa. Or, P. Seghers comme Bousquet se veut transmetteur et la Maison Seghers voit le jour en 1944. Il est avant-gardiste, il invente par exemple le petit format, (un livre de poche avant l’heure) car il veut faire de la poésie un art accessible à tous. Mieux encore, « le passeur de culture » comme il est surnommé dans un article de l’Express, n'hésite pas à affirmer que la chanson est la sœur de la poésie. Les chanteurs sont donc des auteurs à part entière, une opinion qui, à l'époque, fait grincer des dents. Il publie même Ferré, Brassens,

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