Conscience et existence
Cours : Conscience et existence. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Elias Berthet • 5 Novembre 2018 • Cours • 6 804 Mots (28 Pages) • 670 Vues
Conscience et existence
Du « Je pense » au « Je suis »
⎝ Penser, est-ce nécessairement exister ? La conscience est-elle fondatrice de l’existence ? La conscience fait-elle de moi un sujet ?
Auteur et œuvre : Descartes, Méditations métaphysiques, I & II
Thèmes abordés : la conscience - la matière et l’esprit – la vérité
Repères : Subjectivité universelle / Subjectivité singulière + Objectif / Subjectif
• Imaginez : Qu’à la place du Dieu bon et charitable hérité de la tradition Chrétienne, règne sur le monde un malin génie, qui n’aurait d’autre vocation que de vous tromper. Toutes vos perceptions, les sons, les couleurs, votre propre corps, ne seraient qu’illusions. Tout alors serait suspect, et vous ne pourriez plus avoir aucune certitude.
Lorsque vous mettez une paille dans un verre d’eau, celle-ci ne vous apparait-elle pas brisée ? Et pourtant, vous pouvez vérifier, en la retirant, qu’elle est encore entière. Vous êtes donc, quotidiennement, sujets à des illusions perceptives.
Donc, ce malin génie, une hypothèse plausible ? Et si tel est le cas : Comment pourriez-vous être certains de votre propre existence, puisque même nos sens, qui constituent le fondement même du sentiment d’exister, vous trompent ?
C’est l’expérience de pensée que formule Descartes dans ses Méditations métaphysiques :
Descartes, Méditations métaphysiques, I (1641) :
« Je supposerai donc, non pas que Dieu, qui est très bon et qui est la souveraine source de vérité, mais qu’un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, a employé toute son industrie à me tromper : je penserai que le ciel, l’air, la terre, les couleurs, les figures, les sons, et toutes les autres choses extérieures, ne sont rien que des illusions et rêveries dont il s’est servi pour tendre des pièges à ma crédulité ; je me considèrerai moi-même comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de sang, comme n’ayant aucun sens, mais pensant faussement avoir toutes ces choses ».
A l’instar de Descartes, nous nous sommes tous déjà demandés si ce que nous percevons, ressentons, vivons, était bien réel ; si tout cela ne relevait pas d’une vaste supercherie, à la manière du Truman Show.
Et dès que l’on s’ouvre à ce doute, dès qu’on y fait un tant soit peu droit, celui-ci nous entraine dans une régression à l’infinie, à laquelle plus aucune certitude ne résiste.
EX : Si mes yeux sont susceptibles de me tromper, lorsque je perçois la paille brisée alors qu’elle ne l’est pas ; comment puis-je être sûr que mes autres sens, eux, me sont fidèles ? N’ai-je jamais entendu, au fond d’un coquillage, le son de la mer ? En m’endormant, n’ai-je pas déjà fait l’expérience d’une chute brutale, si réelle, alors que j’étais bel et bien dans mon lit ?
⎝ Et si mes propres sens me trompent, ne puis-je donc pas légitimement penser qu’il s’agit en fait d’une illusion à plus grande échelle ? Que ce monde que je vois n’existe pas, ou du moins, puisse exister autrement que je ne le perçois ?
Vous faîtes là l’expérience du doute radical (dit aussi doute hyperbolique) : un doute remettant en question toutes les certitudes acquises par le passé, par l’habitude. Et par ce geste, vous remettez en cause non seulement le monde, mais aussi vous-même, la certitude de votre propre réalité.
Car finalement, comment pouvez-vous être certain de votre propre existence ?
Vous me direz : c’est une évidence, nous le sentons. Oui, mais vos sens vous trompent.
⎝ Quelle serait donc l’expérience fondamentale vous permettant d’assener, contre le doute radical, que vous êtes bien ici, maintenant, que vous existez ?
Rien de moins que votre conscience, et avec elle, l’évidence de votre propre pensée.
Descartes, Op.cit. II :
« J’ai déjà nié que j’eusse aucun sens, ni aucun corps. […] Que s’ensuit-il de là ? Suis-je réellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Puisque je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, aucun ciel, aucune terre, aucun esprits, ni aucun corps, ne me suis donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute si je me suis persuadé, ou seulement, si j’ai pensé quelque chose. »
Analyse :
• Postulat de départ de Descartes pour son expérience de pensée Tout ce que je perçois est potentiellement illusoire.
• En résulte la question : Puisque tout est illusoire, ne le suis-je pas moi-même ?
• Réponse : Non, car le fait même de douter de ma propre existence m’y ramène. Douter, c’est déjà penser, et penser, c’est affirmer qu’on existe. En d’autres termes : Même si je doute de tout, je ne peux pas douter que je doute. Paradoxalement, c’est le fait de douter qui m’exempte du doute.
Descartes, Op.cit. :
« Il n’y a donc pas de doute que je suis, s’il (le malin génie) me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce et que je la conçois en mon esprit. »
⎝ La citation « Je suis, j’existe » se résume souvent sous l’appellation de cogito, de la traduction latine cogito ergo sum. On parle ainsi du fameux «cogito de Descartes », en faisant référence à l’expérience du doute radical.
Dès lors, penser, c’est exister. En ayant conscience de ma propre pensée, j’accède en même temps à la certitude de ma propre existence : il y a simultanéité de la pensée et de l’existence (raison pour laquelle la sentence « Je pense donc je suis » n’est pas fidèle aux mots de Descartes, qui n’a pas formulé de rapport de conséquence. Ses mots sont : « Je pense, j’existe » ici, le fait de penser et d’exister s’identifient, ils sont une seule et même chose, l’existence ne vient pas après la pensée, elle la redouble.)
Synthèse et point d’éclaircissement sur Descartes :
⎝ La démarche de Descartes s’inscrit dans une entreprise de refondation des sciences. Son intention est d’identifier ce qui, au sein des sciences, est incertain, entrainant ainsi une succession de faux raisonnements nous éloignant de la vérité. C’est dans cette optique qu’il met en œuvre le doute hyperbolique : il espère ainsi remonter à la source même du vrai, puisqu’il faut bien établir une première vérité sur laquelle fonder les suivantes.
⎝ Or, cette première vérité n’est autre que le cogito, c’est-à-dire la conscience de sa propre existence devant l’évidence de notre pensée perpétuellement active. La vérité première est donc une vérité qui touche à notre entendement, et non à nos sens, puisque ceux-ci nous trompent régulièrement.
⎝ Le critère de la vérité, pour Descartes, est que celle-ci soit à la fois « claire et distincte », c’est-à-dire évidente (à ne pas confondre avec la certitude qui est l’adhésion à un contenu de pensée à tort ou à raison). L’évidence se donne par le biais d’une intuition rationnelle : ainsi en est-il de l’évidence de notre propre existence.
⎝ Attention : le doute de Descartes n’est pas un doute sceptique (doute remettant en cause toute vérité, doctrine selon laquelle toute quête de vérité est vaine et illusoire), puisque le doute sceptique renonce par lui-même à la vérité. A l’inverse, Descartes se sert du doute comme d’un outil : c’est sur ce dernier qu’il va fonder son entreprise de refondation des sciences. La vérité est amenée par le doute, et non évincée par lui.
Pour illustrer Descartes :
Sartre, La Nausée (1938) :
« Je me lève en sursaut : si seulement je pouvais m’arrêter de penser, ça irait déjà mieux. Les pensées, c’est ce qu’il y a de plus fade. Plus fade encore que la chair. Ca s’étire à n’en plus finir et ça laisse un drôle de goût. Et puis il y a les mots, au-dedans des pensées, les mots inachevés, les ébauches de phrase qui reviennent tout le temps. […] Ca ne finit jamais. C’est pire que le reste parce que je me sens responsable et complice. Par exemple, cette espèce de rumination douloureuse : j’existe, c’est moi qui l’entretient. Moi. Le corps, ça vit tout seul, une fois que ça a commencé. Mais la pensée, c’est moi qui la continue, qui la déroule. J’existe. Je pense que j’existe. Oh, le long serpentin, ce sentiment d’exister – et je le déroule, tout doucement… Si je pouvais m’empêcher de penser ! J’essaie, je réussis : il me semble que ma tête s’emplit de fumée… et voilà que ça recommence : ‘Fumée…
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