Molloy - Commentaire linéaire
Dissertation : Molloy - Commentaire linéaire. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresprologue énigmatique : description des trajectoires croisées de deux promeneurs sur route déserte de campagne une nuit au lendemain de laquelle Molloy, donc, décide de se rendre chez sa mère. Or cette résolution piété filiale : juste avant notre passage en effet, Molloy explique qu’il n’allait voir sa mère qu’en cas d’urgence mais qu’au contraire l’idée lui est venu ce jour-là sans aucune raison et qu’il s’invente donc des raisons pressantes. Ainsi on s’attend à lire un texte où le besoin de mère est une besoin construit, un désir factice, soit passage curieusement psychologisant et qui a pour conséquence énonciative annoncée (« Malheureusement ») une narration redoutée par son propre narrateur, hésitant.
L’extrait prend la forme d’un témoignage, de style oral, aux points de contact multiples avec la psychanalyse. A travers une syntaxe simple, l’enfant Molloy cherche à comprendre sa mère et à se comprendre lui-même, en s’appuyant principalement sur des déductions onomastiques.
>lecture globale :
- une herméneutique par le dire : confère à l’extrait dim spontanée, texte en train de s’écrire
- et surtout une herméneutique du dire: confère au texte sa dim métalinguistique, centrale.
Première vue d’ensemble > texte transcende de beaucoup l’exposé trad des relations enfant/mère qu’on aurait pu attendre.
Mouvements du texte.
1. (l.1 à 8) : début de double portrait (mère/fils) relativement classique, remarques objectives : régularité des visites, cécité de la mère, précocité de l’accouchement >immense passé commun.
Malgré les prémices du jeu à venir sur le langage, on a surtout affaire à des phrases constatatives.
2. (l.9 à 20) : à partir du surnom donné au fils par la mère, « Dan », le narrateur interroge l’inconscient de la mère : conclut sur confusion probable du fils et de l’époux. La mère évoque alors des souvenirs non vécus par Molloy, mais qu’on peut supposer avoir été partagés avec le père.
Là, le style se fait nettement plus « psychanalytique » : modalisateurs et précautions oratoires, induction des faits (onomastique ou souvenir) à l’éclaircissement d’un psychisme.
3. (l.21 à 30) : cette fois, sens inverse, à partir du surnom qu’il donnait à sa mère (« Mag »), Molloy fait sa propre analyse : ce mot trahit un rejet de la mère.
Ici, si les outils psychanalytiques sont massivement convoqués, on sent simultanément une ironie latente portant précisément sur les conclusions que ces outils apportent. Dim supplémentaire d’un texte présentant à la fois démarche psychanalytique et sa potentielle critique..
4. (partie conclusive l.30 à 34) : donne toute son unité au texte par un retour abrupt (donc comique) au trivial, analogue à l’ouverture du passage : cécité surdité.
>du double portrait trad à trav peinture des relations mère/fils qu’on aurait pu escompter, on passe à l’exploration inattendue de deux inconscients à partir du langage
>MAIS en même temps, on constate que cette élévation « psychanalytique » reste encadrée (et donc potentiellement ironisée) par deux allusions prosaïques au corps, et, comme toujours chez Beckett, au corps souffrant.
(Problématique) Comment topique du rapport mère-fils se voit réinvestie au profit d’un double portrait fondé sur un décryptage du dire, convoquant les outils de la psychanalyse tout en intégrant leur critique ?
- double éthopée aux accents psychanalytiques
- (entraîne) réflexion métalinguistique
- Mais, loin de faire sa promotion, Beckett laisse planer sur la démarche psychanalytique la menace de l’ironie satirique
- et notamment par l’affirmation de l’irréductible dépendance au corps.
DEVELOPPEMENT
1) Lignes 1 à 8 :
- Première prop « Ma mère me voyait volontiers » : d’emblée la syntaxe relie les 2 pers dont il s’agit de présenter les relations deux portraits tressés simultanément (mère et fils), l’un étant placé sous la dépendance de l’autre (de même que COD « me » amené par S « mère »). Une synchronie et indissociabilité des portraits qui seront d’autant mieux justifiées ensuite par l’intervention de la psychanalyse (au centre de laquelle se trouve question de la figure maternelle).
En outre, dès cette phrase liminaire, Beckett amorce la propension métatextuelle de ce passage qui en effet n’aura de cesse de questionner le langage (son essence). « … » La loc conjonctive « càd » entraîne une correction de la ph précédente : épanorthose pointe un automatisme du langage concernant le verbe voir galvaudé au sens de « recevoir », d’où antanaclase avec la deuxième occurrence de « voyait » dans l’acception propre du verbe (voir avec les yeux) : la mère de Molloy est aveugle, soit un premier élément prosopographique du portrait maternel (la cécité) découlant d’une logique de la phrase qui, en s’auto-corrigeant, tend au trivial et par suite à un certain comique du rabaissement (conjoint à celui de l’hypercorrection digressive), rabaissement vers le corps toujours.
De sorte que cette première phrase, anodine de prime abord, sollicite déjà les lignes directrices de l’extrait : indices d’une relation « psychanalysable », réflexion du langage vers lui-même, retour inexorable et comique au corps altéré.
-l.4 « je m’efforcerai de parler avec calme » : rejoint ce que la situation du texte nous avait indiqué : le N (qui est aussi personnage) redoute la narration qu’il entreprend : aspect verbal conatif et futur de l’ind annonce une tentative de confrontation aux vieux démons en les nommant.
-l.5 C’est pourquoi cette confrontation est progressive « Nous étions si vieux, elle et moi, etc. », l’irruption de la psychanalyse n’intervient pas tout de suite : pour l’instant, ph informative, objective : accouchement précoce et vieillesse, pose le cadre général.
Mais en même temps, en cette phrase s cristallise déjà la contradiction du rapport du fils à la mère. En effet, à l’aversion (sens littéral) de Molloy pour « celle qui [lui] donna le jour, par le trou de son cul » (p.20) càd celle qui est condamnée dans sa fonction matricielle-même, sa fonction de génitrice en amont de toutes les autres, s’oppose une reconquête de l’unité originelle perceptible dans :
-jeu pronominal : « nous » hyperonyme qui englobe mère et fils mis en apposition « elle et moi » hyponymes. Syntaxe traduit fusion.
-lexique « un coupe » : réunion de deux entités.
-anaphore de l’adjectif (« les mêmes souvenirs, les mêmes rancunes, la même expectative », renforcée par asyndète.
> attachement (sens quasi littéral) à sa mère à son corps défendant, fusion refusée mais inéluctable.
2) Lignes 9 à 20 : déductions psychanalytiques à partir du surnom donné au fils par la mère (« Dan »), exploration du psychisme maternel caché derrière un signifié (l’exégèse d’un mot pour mieux comprendre celle qui l’emploie)
- « Elle ne m’appelait jamais fils, d’ailleurs je ne l’aurais pas supporté » : présupposé que le dire traduit l’être, par conséquent Molloy, puisqu’il n’aurait pas supporté d’être désigné sous le substantif « fils » par sa mère, ne veut pas reconnaître son essence filiale, comme si le signifiant « fils » se trompait de référent (Molloy). A ce titre, jeu d’homophonie possible entre « supporté » et « su porter » : il n’est pas capable d’endosser un nom qui ne le désigne pas. Par suite, Molloy rejette la condition de mère vis-à-vis de lui de celle qui pourtant est bel et bien sa mère.
En cela, dans cette volonté de déracinement, qui est à l’origine de l’existence erratique de Molloy, on peut voir le personnage éponyme comme une figure picaresque originale en ce que sa vie vagabonde et sans ancrage n’est pas un fardeau du destin mais, encore une fois, un détachement recherché « picaresque inversé », « ses progrès dépendent de la persistance de cet échec [à rencontrer les autres] », ce ne sont pas les autres qui se détachent de ce picaro moderne.
Et justement :
- « je la prenais pour ma mère » : formule paradoxale due à une sorte de contradiction dans les termes qui corrobore l’idée d’une mise à distance de la figure maternelle (référent), et ce par une mise à distance du mot « mère » (signifié) (puisque pour psychanalyse, le mot employé n’est jamais arbitraire mais traduit au contraire le sujet profond). En effet, par sa logique comparative, la phrase fonctionne comme si l’attribut du COD ne désignait pas le même référent que le COD, comme si, en quelque sorte, Molloy faisait semblant que cette femme soit sa mère, ne faisait que la considérer comme
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