Je ne sais ni lire, ni écrire
Dissertation : Je ne sais ni lire, ni écrire. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar danbau • 14 Août 2019 • Dissertation • 2 279 Mots (10 Pages) • 2 588 Vues
A la gloire du Grand Architecte de l’Univers,
Vénérable Maître, et vous tous mes Frères,
JE NE SAIS NI LIRE NI ECRIRE
Cette phrase nous rappelle quelque chose, je crois !
Mais n’est-elle pas surprenante ? Celui qui vient d’écrire son testament philosophique est-il devenu en quelques dizaines de minutes, analphabète ? L’initiation est-elle donc une régression ? Le tout nouveau Frère ne sait donc ni lire, ni écrire, mais on admet, et c’est gentil pour lui, qu’il ne repart pas entièrement de zéro. On lui concède qu’il sait épeler …. Mais il demande la première lettre, n’ayant pas encore compris qu’il peut la lire sur le Tableau de Loge. Belle affaire, le voilà au B, A, BA. Et je doute qu’il s’agisse pour la Franc-Maçonnerie de prendre position entre les méthodes de lecture syllabique ou globale, terreur des enfants et de certains parents …
Je ne sais ni lire, ni écrire …
Cette réflexion a-t-elle été soufflée par quelques Vénérables ayant commis l’erreur d’accepter dans leur Loge un médecin à l’écriture insupportable, sans avoir accueilli d’abord un pharmacien spécialiste en lecture de hiéroglyphes médicaux ?
Je ne sais ni lire ni écrire …
Mais nous vivons une époque merveilleuse où une dizaine d’heures d’avion nous amène en terre inconnue. Un guide qui parle français, qui manie notre humour, et nous voilà bien proche d’une civilisation si différente de la nôtre. Mais au premier panneau au bord de la route, mais à la première pancarte indiquant des lieux d’aisance si utiles, la réalité s’impose : je ne sais ni lire, ni écrire. La Maçonnerie est-elle une terre inconnue ?
Je ne sais ni lire ni écrire …
Mais je sais écouter ; mieux encore, on me demande d’écouter attentivement, sans avoir l’esprit parasité par une réponse que je devrais apporter et une intervention que je voudrais brillante.
Ce n’est pas par hasard si le Père du monachisme occidental, Saint Benoît, commence sa Règle en l’an 530 par ces mots : « Ecoute ... les préceptes du Maître …».
Je ne sais ni lire, ni écrire,
mais je vais écouter et essayer de retenir.
On en appelle à mon attention, à ma mémoire.
Une curieuse gravure sur pierre découverte dans la catacombe de Prétextat, dans la banlieue de Rome, datée du IVème siècle, montre le coude, l’avant-bras, la main et le deuxième doigt dirigé sur le lobe d’une oreille. Pour les Romains, et je partage cette pensée, l’immortalité était assurée par le souvenir du défunt entretenu dans la mémoire des vivants. L’oreille était alors considérée comme le siège de la mémoire.
La mémoire, voilà un mot qui va nous occuper quelques minutes …
Mais avant de parler de la mémoire, revenons à l’écriture.
Je ne sais ni lire, ni écrire, eux non plus !
Bouddha, Mohamed, Jésus et Socrate n’ont laissé aucun manuscrit, lettre ou message gravé, rien d’écrit de leur propre main.
Mohamed a dicté le Coran. Ses fidèles, après sa mort, ont trié et sélectionné ce qui, selon eux, devait rester par-delà le Prophète.
Jésus, dans le passage de la femme adultère (Jean, 8, 1-11) écrit sur le sable selon certains traducteurs, trace des bâtons ou dessine, selon d’autres. Savait-il écrire ? Une légende veut que Jésus ait écrit de sa main, une lettre à un certain Abgar. Mais ce n’est que légende.
Socrate serait tombé dans les oubliettes de l’histoire sans Platon.
Bart D. Ehrman, professeur émérite des religions à l’Université de Caroline du Nord, s’interroge sur la transmission des souvenirs entre un évènement et sa traduction écrite. Pour les Evangiles, cette période est de un siècle à un siècle et demi. Dans son ouvrage « Jésus avant les évangiles » il cite Kenneth BAILEY qui a été professeur pendant des décennies au Moyen-Orient. Celui-ci décrit le « haflat samar », rencontre villageoise qui perdure depuis des siècles en Orient. Au cours d’une veillée où toute personne qui a appris les traditions depuis longtemps peut prendre la parole, on raconte des histoires, des proverbes, des énigmes, des poèmes. Ceux qui écoutent exercent un contrôle sur le récit de l’orateur. Certains récits peuvent être déformés ; les proverbes et les poèmes doivent être formulés au mot près. Ils ont quelque chose de sacré. Si quelqu’un se trompe sur un mot ou le déplace, les autres le corrigent publiquement, à sa grande honte. Un texte reste donc inchangé, sans support écrit, par un travail de mémoire collectif. C’est un trésor commun à respecter.
Ils ne savent ni lire, ni écrire.
Et moi aussi, je ne sais ni lire, ni écrire. Et j’ai la nostalgie des planches que j’exposais sans notes.
Est-ce là le grand secret de la Franc Maçonnerie ? Ne pas laisser de traces. Peut-être pas, mais c’est une sage protection que de coder nos noms, en souvenir des années de persécution où les fiches précédaient les mises à l’écart, les emprisonnements. Précautions déjà de nos grands anciens qui effaçaient le Tableau de Loge, dessiné sur le sol des tavernes de Londres.
Je ne sais ni lire, ni écrire, mais j’exerce ma mémoire.
Devant ma télévision, j’ai participé bien volontiers à une expérience à partir d’un jeu, ou plutôt d’une escroquerie que nous connaissons tous : un meneur de jeu, derrière une table cache une boule sous un gobelet opaque, il va manipuler rapidement trois gobelets identiques, et il faudra dire sous quel gobelet se trouve la boule. L’escroquerie consiste à laisser gagner une ou deux fois le candidat, puis il perdra à tous les coups puisque la boule restera habilement dans la main de l’escroc. On se livre ce soir à la télévision à l’expérience, rien que pour moi, téléspectateur isolé. Premier jeu, première réussite. Je suis rassuré. Deuxième jeu, deuxième réussite. Je savais que j’étais fort. Troisième jeu, troisième réussite. Rien ne me résiste. Fin de l’expérience. L’animateur interroge : « n’avez-vous rien remarqué ? » Quoi, il fallait voir quelque chose ? Oui, à chaque jeu, on avait changé la couleur de la nappe sur la table. Tout occupé à surveiller la boule, je n’avais pas vu ce qui sautait aux yeux. On ne voit pas que ce que l’on veut, on voit ce que l’on peut …
Il faut que nos Frères Apprentis sachent qu’à chaque initiation, tous les Frères présents revivent leur propre initiation, avec quelquefois des surprises. Je ne me souviens plus de tel ou tel passage. Ce Frère symbolisant un cadavre, je n’en garde aucun souvenir…
Je disais il y a quelques temps, à un Frère initié en même temps que moi : « Je ne garde aucun souvenir de mon passage sous le bandeau. Bien sûr, c’est un peu lointain, mais pourtant … », « Si, ce n’est pas très précis, mais je m’en souviens, me répond-t-on ». Double erreur. Je recherche un souvenir d’un évènement qui n’a pas existé, et mon Frère a des souvenirs, lui aussi, d’un évènement inexistant : nous avons été tous les deux initiés dans un Rite où il n’y avait pas de passage sous le bandeau ! Contrairement à ce que l’on pense les souvenirs collectifs sont plus erronés et plus fragiles que les souvenirs individuels.
Un évènement émotionnel fort, et l’initiation en est un, crée une mémoire dite « flash » qui reste comme imprimée, permettant un flash-back. Les américains contemporains de la mort de KENNEDY se souviennent de l’endroit exact où ils se trouvaient quand ils ont appris l’assassinat de leur Président. Nous, nous savons où nous étions et ce que nous avons fait lorsque nous avons appris l’attaque des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001.
Si la mémoire nous joue quelquefois des tours, il existe une zone de notre cerveau bien utile. Nous avons tous connu des épisodes de notre vie peu reluisants qui nous ont faits rougir jusqu’au bout des oreilles. Nous ne pouvons pas vivre continuellement en tirant de tels boulets. Et bien, il existe dans notre cerveau, une zone-poubelle, un peu semblable à celle de nos ordinateurs, qui nous débarrasse de ces souvenirs peu flatteurs.
Je suis toujours un peu surpris que l’on remette à un apprenti le Rituel écrit après seulement quelques semaines en Loge. Et l’on se félicite alors de la célérité du secrétariat de l’Obédience. On triche sur le travail de mémoire
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