Paul Eluard, La Poésie Doit Avoir Pour But La Vérité Pratique

ire adoptée vise à créer un effet d’attente d’opposition entre les deux images convoquées.

b) Le travail sur l’énonciation

Le poème est ancré dans sa situation d’énonciation par la présence de l’émetteur « je » et du récepteur « vous », ces récepteurs étant un cercle d’intimes comme le souligne la dédicace « à mes amis exigeants », mais aussi le lecteur en général. Paul Eluard fait le choix d’intégrer ses récepteurs à sa démonstration par ce semblant de dialogue. Le poète met en scène le dialogue mais passé le dernier tercet il n’y a plus de communication verbale, seul le poète parle encore. Le choix des temps verbeux accentue cette idée d’une conversation en train de se dérouler : présent de l’indicatif, futur de l’indicatif qui évoque une réalité par rapport au moment présent. Le travail sur l’énonciation contribue à la clarté du texte.

On voit donc un travail réel sur l’énonciation qui accentue la force de persuasion mais aussi sur un plan plus poétique contribue à la musicalité du texte.

2) Les thèmes d’inspiration

a) Les thèmes traditionnels d’une poésie lyrique

Le premier tercet développe l’image d’un poète plutôt romantique. La thématique amoureuse est dominante avec des connotations sensuelles voire charnelles. La thématique sentimentale se développe à travers une série de métaphores renvoyant à la nature. En donnant des exemples de poésie lyrique le poète la pratique lui-même, de fait le registre lyrique domine par le « je », les sentiments et la présence de figures de style délivrant la vision personnelle de l’auteur. Ces métaphores sont assez complexes, dans celle des vers 10-11 « Si je vous dis que dans le golfe d’une source / Tourne la clé d’un fleuve entr’ouvrant la verdure » le comparé disparait totalement au profit du comparant. Les quatre premiers tercets renvoient à des thèmes de réflexion traditionnels de la poésie lyrique.

b) Les thèmes d’inspiration nouveaux

L’opposition entre les thèmes anciens et les thèmes nouveaux est soulignée par le « mais ». Le thème est plus concret dans la deuxième partie, renvoyant au monde moderne. Ces thèmes ne renvoient plus à ses sentiments mais à son observation du monde, le lyrisme s’atténue fortement, la plupart des métaphores disparaissent au profit d’un registre plus réaliste dans lequel dominent les références à la société humaine. L’expression est beaucoup plus modelée par la progression du raisonnement, ainsi domine dans cette deuxième partie un thème central : l’humanité, vue plus sur un plan social, politique et non sur un plan sentimental comme dans la première partie. Cette évolution des thèmes est soulignée par la prédominance des deux discours différents : descriptif puis argumentatif.

A travers les deux parties de son poème, Eluard revendique une inspiration universelle, le droit pour la poésie d’exploiter des thèmes plus modernes, actuels, de réflexion politique.

3) Fonctions du poète et relation à ses lecteurs

a) La relation traditionnelle

Les premiers tercets décrivent une relation de compréhension entre le poète et ses lecteurs : on peut relever le champ lexical de la compréhension, l’adhésion : « vous me croyez » vers 3, 6, 9 et 12, « vous approuvez » vers 3, « vous partagez mon inquiétude » vers 9, « vous comprenez » vers 12. Des connotations positives sont présentes dans l’exposé de cette relation, le poète et ses récepteurs sont comme en communion, la réussite de cette relation se fait dans une perspective traditionnelle. Le verbe « croire » ne renvoie pas à la raison mais davantage à la confiance du lecteur envers le poète. Le poète prend un statut supérieur, il est presque un guide comme en témoignent les anaphores aux vers 3, 6, 9 et 12, il devient un être aux fonctions presque sacrées, décryptant le réel. Il est créateur d’un univers poétique qui lui est personnel et dans lequel il fait entrer le lecteur. Il est même détenteur d’une connaissance guidant la vie des hommes. Par ces aspects le poète se définit comme un être à part, supérieur.

b) Fonctions et relations actuelles

Le premier tercet de la deuxième partie marque une rupture du poète avec le lecteur. Les causes de cette rupture sont exposées dans le sixième tercet, introduites par la conjonction de coordination « car ». Le poète met en évidence l’ignorance de ses semblables, leur inconscience. Ainsi l’univers poétique n’est plus commun au poète et au lecteur. Le poète demeure celui qui possède un savoir supérieur visible à travers le polyptote (répétition d’un même terme sous des formes grammaticales différentes) vers 20 « j’ai vécu je vis encore ». Il devient un initiateur « je vous entraînerai » vers 19, et revendique même un changement de fonction vers 21 « Mais je m’étonne de parler pour vous ravir », par le verbe « ravir » il rappelle sa capacité à séduire, charmer, et il souhaite avoir moins de force de persuasion et davantage de force de conviction. Il s’engage dans le domaine politique et proclame sa volonté pour le futur d’être plus investi de cette fonction de pédagogue, faire réfléchir pour faire agir. Ainsi