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Gorgias De Platon

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pre échange, qui risquait de tourner court (lignes 11 à 17) avant de rassurer Gorgias sur ses intentions, constructives, à son égard, tout en lui laissant le choix de poursuivre ou non leur entretien (l. 17 à 26).

Le texte commence par un renvoi de Gorgias à sa propre expérience : "J'imagine, Gorgias, dit-il, que tu as eu, comme moi, l'expérience d'un grand nombre d'entretiens." Et il lui suggère ce que cette expérience aurait du lui faire découvrir : " Au cours de ces entretiens, sans doute auras-tu remarqué la chose suivante : les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter et à conclure leur discussion après s'être l'un et l'autre mutuellement instruits. Au contraire, s'il arrive qu'ils soient en désaccord sur quelque chose, si l'un déclare que l'autre se trompe ou parle d'une façon confuse, ils s'irritent l'un contre l'autre, et chacun d'eux estime que son interlocuteur s'exprime avec mauvaise foi, pour avoir le dernier mot, sans chercher à savoir ce qui est au fond de la discussion. Il arrive même parfois qu'on se sépare de façon lamentable : on s'injurie, on lance les mêmes insultes que l'on reçoit, tant et si bien que les auditeurs s'en veulent d'être venus écouter pareils individus." Le point de départ de la réflexion à laquelle Socrate va soumettre Gorgias, pour l'amener à accepter d'être lui-même bientôt réfuté, est l'évocation de deux cas de figure de dialogues qui tournent mal et ont, ainsi, valeur de contre exemples. Premier cas de figure: celui d'un dialogue qui n'aboutit pas: " les interlocuteurs ont du mal à définir les sujets dont ils ont commencé de discuter et à conclure leur discussion après s'être l'un et l'autre mutuellement instruits".

Deuxième cas de figure, celui d'un dialogue qui tourne mal : " Au contraire, s'il arrive qu'ils soient en désaccord sur quelque chose, si l'un déclare que l'autre se trompe ou parle d'une façon confuse, ils s'irritent l'un contre l'autre, et chacun d'eux estime que son interlocuteur s'exprime avec mauvaise foi, pour avoir le dernier mot, sans chercher à savoir ce qui est au fond de la discussion. Il arrive même parfois qu'on se sépare de façon lamentable : on s'injurie, on lance les mêmes insultes que l'on reçoit, tant et si bien que les auditeurs s'en veulent d'être venus écouter pareils individus." Revenons sur chacun de ces dialogues ratés. Quelle est la raison de l'échec du premier, échec patent, puisque les interlocuteurs en ressortent sans rien avoir appris l'un de l'autre ? Il tient, dit Socrate, au fait que les interlocuteurs ont mal défini leur sujet. Nous pouvons évoquer ici un dialogue de Platon de la même époque que le Gorgias, le Lachès. Le dialogue commence par la demande de deux pères de famille qui viennent interroger Lachès et Nicias, qui est un autre stratège athénien, mais lui beaucoup plus jeune, et qui est en même temps un personnage politique, ce que n'est pas du tout Lachès. Les deux pères de famille viennent interroger ces deux spécialistes pour savoir s'il faut faire donner des leçons d'art militaire et d'escrime à leurs enfants. Et ils ont demandé à Socrate de bien vouloir se joindre à cette assemblée pour tenter de répondre à cette question. Les deux spécialistes, Lachès et Nicias, interviennent, Lachès disant que c'est complètement inutile de faire donner de faire donner des leçons de cet ordre et que l'art militaire s'apprend sur le terrain, Nicias disant au contraire que c'est tout à fait utile et que lui s'est trouvé très bien des leçons qu'il a reçues. Comme il y a une voix pour, une voix contre, et que ces pères de famille sont habitués à la démocratie, ils se tournent vers le troisième larron, qui est Socrate, en disant "bon, et bien tu vas départager, tu vas dire pour qui tu votes, et nous saurons s'il faut ou non donner des leçons aux enfants". Socrate dit: "ah non, je suis désolé, je ne procède pas comme cela. Je ne peux pas répondre à la question qui vient d'être posée, aussi directement, car je ne ferais que donner mon avis. Or mon avis, en tant que subjectivité, ça n'a aucune espèce d'importance. Non, je voudrais essayer de comprendre ce qu'on dit Lachès et Nicias". Et ils leur demande la permission de les interroger : pourquoi as-tu dit ceci, pourquoi as-tu pris tel exemple, pourquoi à ce moment-là as-tu changé de ton?" Il commence une enquête très subtile et il apparaît au bout d'un certain temps, pour tous les interlocuteurs, et par conséquent pour nous lecteurs, qui sommes en quelque sorte un interlocuteur supérieur, que Lachès et Nicias se savaient pas ce qu'ils disaient, qu'il parlaient par pur mécanisme, qu'ils avaient une idée préconçue et qu'à partir de-là ils ont fabriqué leur argumentation, mais que cette argumentation n'est absolument pas probante. Alors les deux pères de famille se retournent vers Socrate et demandent comment alors il faut faire. Il dit: " Voilà, se poser la question "faut-il faire donner des leçons d'art militaire à des enfants?", ce n'est pas une bonne question. Il faut d'abord savoir à quoi ça sert de faire donner les leçons à des enfants, et des leçons d'art militaire en particulier. Qu'est-ce que l'on veut cultiver?" Et voilà seulement enfin bien engagé le dialogue sur le sujet ! Et s'il l'est bien c'est qu'il passe par une définition claire de ce qui est en jeu, en quoi consiste, notons-le au passage, le travail philosophique. Venons-en à présent à notre second cas de figure, celui d'un dialogue qui finit en foire d'empoigne. Pourquoi au lieu de chercher ici encore " ce qui est au fond de la discussion " en vient-on aux injures et aux insultes ? Parce que, étant au départ en désaccord sur le sujet abordé, "on veut avoir le dernier mot" et l'on accuse l'autre de se tromper ou de parler confusément ! Qu'aurait-on du faire ici qui eût évité que les choses ne s'enveniment ? Il eût fallu accepter d'être soi-même réfuté pour le cas où l'on se serait trompé ou de réfuter l'autre s'il était lui-même dans l'erreur ou la confusion !

Accepter d'être réfuté: voilà bien ce que Socrate attend de Gorgias et à quoi il voulait le conduire, ce que Gorgias peut ne pas avoir compris. Aussi lui met-il, pour ainsi dire, les points sur les "i": conscient que Gorgias ne saisit pas sa motivation, Socrate interroge celui-ci afin de savoir s'il se demande "pourquoi il lui parle de cela". Socrate annonce ainsi la raison de son détour par les écueils du dialogue. Ce détour avait en effet pour but de préparer Gorgias en lui fairsant comprendre qu'il est capital d'accepter les critiques de son interlocuteur dans la mesure où elles se veulent constructives. C'est alors que l'on apprend que Socrate à l'impression que ce que Gorgias "vient de dire n'est pas tout à fait cohérent, ni parfaitement accordé avec ce qu'il disait initialement, au niveau de la rhétorique". On apprend ainsi que le sujet de leur entretien était la rhétorique elle-même - ce qui, notons-le au passage, confère une importance encore plus grande au thème abordé par Platon, car comment prétendre parler de la rhétorique si on n'applique pas les règles élémentaires de tout discours constructif ? On se trouve ici dons un " mobilis in mobile", où l'on discours de la façon de discourir... On vient de reconnaître que se renfrogner à la première critique est dommageable pour la qualité de la discussion, et Gorgias n'a élevé aucune contestation. Socrate ne lui laisse pour autre alternative que d'accepter s'être critiqué, mais il le fait avec un grand tact en précisant à Gorgias qu'il a "peur de le réfuter" du fait que ce dernier puisse penser que "l'ardeur qui anime Socrate vise non à rendre parfaitement clair le sujet de leur discussion mais bien à le critiquer". On notera ici le parallélisme avec la démonstration du début du texte, puisqu'il avait été remarqué que "les interlocuteurs ont souvent du mal à définir les sujets dont ils ont commencé à discuter et à conclure leur discussion". Socrate, en affirmant vouloir "rendre clair" la question de la rhétorique veut donc d'un dialogue avec Gorgias qui soit dépourvu des défauts énoncés plus haut. On voit bien, par ce rapprochement, que la démarche de Socrate visait bel et bien à proposer à Gorgias de le réfuter sans qu'il ne prenne la mouche, ce qui aurait eu pour effet de placer leur dialogue dans le second cas de figure imaginé antérieurement, celui de la dispute.

Ce qui vient d'être dit aurait pu suffire à amener Gorgias à accepter d'être réfuté. Mais, sans doute parce qu'il estime que la fierté d'un sophiste doit encore être davantage ménagée, Socrate va rassurer Gorgias sur ses intentions en évoquant sa propre sensibilité. Il va dire à Gorgias que s'il est comme lui, il aura plaisir à lui poser des questions, et que, dans le cas contraire, il renoncera à le faire. Il ne provoque ainsi à se comporter en gentleman ! Socrate n'en oublie pas moins de

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