L'Etat Est-Il L'Ami De Tous En Même Temps Que L'Ennemi De Chacun?
Mémoire : L'Etat Est-Il L'Ami De Tous En Même Temps Que L'Ennemi De Chacun?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresl’ennemi à la guerre, le peuple ou l’empire dont l’hostilité était politique et militaire et donc publique et collective, et non privée. Néanmoins, nous allons voir que cette dimension n’est pas absente de l’esprit des hommes vivants dans un Etat.
D’abord, les membres d’un Etat entretiennent des liens d’attachement avec lui. L’Etat est en effet aussi la « patrie », le pays des pères, c’est-à-dire le symbole d’appartenance à un territoire, à une culture, à une langue, à des traditions. En un sens, ce sentiment présente des aspects positifs puisqu’il permet de se repérer, de se reconnaitre dans une communauté, d’avoir un ancrage quelque part. Par opposition, on dit des exilés qu’ils sont apatrides, ce qui signifie aussi qu’ils n’ont pas d’Etat qui les reconnaisse et dans lequel ils se reconnaissent. Cependant ce type de lien présenté également de gros risques d’enfermement et d’exclusion. On passe assez facilement de l’estime pour sa patrie au chauvinisme, défense exclusive des qualités de son propre pays par rapport à celui des autres. De plus, les gouvernants utilisent très souvent le patriotisme pour manipuler le peuple : c’était particulièrement le cas lors de la Première Guerre Mondiale entre la France et L’Allemagne, comme ca l’a été plus récemment entre les Etats Unis et l’Irak. Il faut dire que le sentiment produit un attachement aveugle, non réfléchi et non distancié. Dès lors, il peut servir à tout et en particulier à réduire les hommes à la servitude. D’autant qu’ils semblent naturellement y être enclins, comme le faisait remarquer La Boétie dans Le Discours sur la servitude volontaire ; Il est en effet frappant de voir combien d’hommes se laissent facilement gouverner et entrainer par un Etat, jusque et y compris vers la guerre et la mort : « Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner !), c’est de voir des millions d’hommes misérablement asservis et soumis tête baissée à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeur, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire ensorcelés ». Néanmoins, il n’y a là aucune magie. Et c’est pourquoi il ne faut pas personnaliser l’Etat comme s’il était un être supérieur aux forces obscures et maléfiques. Le mal est à rechercher dans les hommes eux-mêmes. Dans leur désir d’appartenance et de reconnaissance, ils attachent à l’Etat qui les gouverne des sentiments qui les aveuglent et les amènent volontairement, quoique souvent inconsciemment, à se soumettre aux décisions des dirigeants.
Ceci pourrait conduire à l’inverse à un sentiment d’hostilité envers l’Etat. Source presque inévitable d’oppression à travers la manipulation du sentiment d’appartenance et de l’ »amitié », ne devrait-il pas plutôt être considéré comme l’ »ennemi » ? D’autant plus que, par ailleurs, il demande des sacrifices à l’individu, à la fois en limitant ses projets par des cadres juridiques, en lui imposant des impôts, une formation scolaire etc. Il s’agirait donc de limiter au maximum le pouvoir et le rôle de l’Etat, voire de le faire disparaitre complètement afin que chacun ne l’ait plus comme « ennemi ». C’est la thèse de penseurs anarchistes comme Stirner qui dénonce le rôle répressif et restrictif de l’Etat et prône sa disparition pure et simple. Dans L’unique et sa propriété, son analyse est sans nuances : « l’Etat ne poursuit jamais qu’un but : limiter, enchaîner, assujettir l’individu, le subordonner à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu’à condition que l’individu ne soit pas pour soi-même tout dans tout ; il implique de toute nécessité la limitation du moi, mam mutation et mon esclavage. » Néanmoins, de par ses excès, cette position dévoile elle-même un lien affectif envers l’Etat, sur le modèle de la révolte contre l’autorité du père à l’adolescence. Il y a quelque chose de réactif, presque d’immature ou du moins d’irresponsable dans cette visée. En effet, l’Etat peut garantir aussi la formation équitable des citoyens grâce à l’école publique et gratuite, assurer la protection sociale, la sécurité etc. Par ailleurs, aucun individu n’a à être « tout dans tout » : il doit à autrui une bonne part de ses connaissances, de son équilibre, de son enrichissement. Tout individu est lié aux autres par de multiples liens. Ainsi, ce serait méconnaitre la dimension politique et la nécessité de garantie d’un espace public et commun pour tout que de vouloir supprimer l’Eta t. Sans lui, les libertés d’expression, de conscience, de circulation ne pourraient être assurées. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il els respecte toujours.
Cela dit, comment expliquer la persistance de ces sentiments contraires et leur vivacité ? La réflexion psychanalytique de Freud sur l’Etat permet de trouver une explication pertinente à ce phénomène, qui aurait ses origines dans notre psychisme inconscient. Depuis l’enfance nous avons selon Freud la nostalgie du père protecteur sur lequel nous appuyer et qui nous protège. Ancré dans notre inconscient, cette figure paternelle peut ensuite se fixer sur le représentant de l’Etat, avec lequel nous entretenons alors des liens affectifs sur le modèle de la relation au père. Or ceci correspond bien à l’ambivalence du rapport de l’homme à l’Etat que nous évoquions précédemment : d’un côté l’attachement, de l’autre la haine et le rejet. La tendance au lien affectif trouverait alors sa source dans l’inconscient. « Nous savons qu’il existe dans la masse humaine le fort besoin d’une autorité que l’on puisse admirer, devant laquelle on s’incline, par laquelle on est dominé, et même éventuellement maltraité. La psychologie de l’individu nous a appris d’où vient ce besoin de la masse. C’est la nostalgie du père, qui habite en chacun depuis son enfance », écrit Freud dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste. Sans nous en rendre compte, puisqu’il s’agit de phénomènes inconscients, nous transposons le type de relation au père de la relation à l’Etat et son dirigeant, soit dans le sens de l’amour, soit dans celui de la haine.
Il importe donc de démonter ce mécanisme, de prendre de la distance par rapport à lui afin de nous affranchir d’un lien affectif obscur avec l’autorité de l’Etat.
Pour cela, il est avant tout nécessaire de souligner que le lien politique n’est pas de sentiment mais de raison. Un Etat n’est pas une famille et les liens qui unissent les citoyens ne doivent pas être conçus sur un modèle affectif. C’est pourquoi les termes « ami » et « ennemi » sont trompeurs, de même que de nombreuses métaphores concernant les liens politiques. Dans ses propos sur les pouvoirs, Alain souligne très fortement le danger qu’il y aurait à se laisser prendre par les métaphores et à confondre l’Etat et la famille ; « Les métaphores ne changent point les choses. On dit que les hommes sont frères, mais cela n’est point. Cette communauté de sang, cette vie d’abord par un double pouvoir reconnu et aimé, c’est justement ce qui n’est point entre deux hommes qui n’ont pas le même père et la même mère. On peut imiter le sentiment fraternel, et cet effort est beau, soit dans l’amitié, soit dans le voisinage, soit dans l’exercice de la charité universelle, mais il y manque la matière première, que la nature seule peut fournir, et que rien ne peut remplacer. » La « matière première », ce sont les sentiments vivants et charnels qui créent l’intimité familiale, la famille étant la seul communauté naturelle orientée d’abord par des finalités biologiques. L’Etat, en revanche, est une création artificielle. Les liens entre ses membres ainsi qu’entre citoyens et dirigeants ne sont pas des liens d’amour ni de bienveillance entre parents et enfants. Il s’agit d’une institution qui transcende les intérêts particuliers et donc les attachements immédiats et sentimentaux. Grâce à cela, il peut constituer un cadre commun, quelles que soient les sensibilités communautaires, religieuses, régionales, politiques, etc.
C’est pourquoi nous pouvons dire avec Hegel que l’Etat est une réalisation de la raison, une incarnation de son exigence d’universalité. Tant que les individus agissent dans le cadre de la famille, et même dans leur vie professionnelle, ils cherchent uniquement leur intérêt particulier, leur profit personnel. Or l’être humain n’existe pas uniquement pour lui-même, indépendamment des autres. La culture n’est possible que par les échanges avec les autres époques et les autres peuples. La connaissance ne se développe que grâce à la diffusion des découvertes au-delà des cercles restreints d’initiés. La solidarité sociale, facteur de progrès politique et moral, ne s’instaure que par la prise de conscience des interdépendances des hommes dans la société et leur appartenance à un tout. L’Etat moderne, dans ses fondements théoriques, représente le cadre qui rend possible ces développements grâce à ses institutions. Ceci ne signifie pas non plus que les appartenances communautaires et les identifications à des groupes restreints sont impossibles ou interdites. Mais elles s’intègrent dans un ensemble plus large dans lequel elles prennent sens et s’ouvrent à la différence. « Il en résulte que ni l’universel ne vaut et n’est accomplis sans intérêt particulier, la conscience et la volonté, ni les individus ne vivent comme des personnes privées, orientés uniquement vers leur intérêt sans vouloir l’universel ; elles ont une activité consciente
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