Compte rendu de l’exposition Broomberg & Chanarin « Divine Violence »
Commentaire d'oeuvre : Compte rendu de l’exposition Broomberg & Chanarin « Divine Violence ». Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Jean Baptiste Laigo • 5 Février 2019 • Commentaire d'oeuvre • 4 402 Mots (18 Pages) • 689 Vues
COMPTE RENDU DE L’EXPOSITION
BROOMBERG & CHANARIN
« DIVINE VIOLENCE »
21 février - 21 mai 2018, Galerie de photographie, Centre Pompidou, Paris.
Commissaire d’exposition : Florian Ebner, chef du Cabinet de la photographie, musée national d’art moderne en collaboration avec l’ Akademie der Künste, Berlin
« Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux : un temps pour naître, un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté ; un temps pour tuer, un temps pour guérir ; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ; un temps pour pleurer, et en temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser ; un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres ; un temps pour embrasser, et en temps pour s’éloigner des embrasements ; un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et en temps pour jeter ; un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler ; un temps pour aimer, et un temps pour haïr ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix ». C’est avec cette citation de l’Ecclésiaste que nous accueille une grande installation des artistes Adam Broomberg et Olivier Chanarin, intitulée Divine Violence. Présentée pour la première fois par le Centre Pompidou dans la Galerie des Photographies à l’occasion de son entrée récent dans la collection du Musée national d’art moderne, l’exposition témoigne d’une réflexion sur le rôle de la photographie face à la violence du monde.
Adam Broomberg (né en 1970 en Afrique du Sud) et Oliver Chanarin (né en 1971 au Royaume-Uni), d’origine sud-africaine, travaillent depuis vingts ans sur le pouvoir et la force des images dans l’esprit de la méthodologie brechtienne conférant un sens nouveau aux images qui transcendant leur caractère médico-légal, deviennent des sentinelles pour lutter contre les spectres et les crimes. En effet, c’est en 2011, en visitant les archives de Bertolt Brecht à Berlin, que Broomberg et Chanarin découvrent un exemplaire de la Bible personnelle de l’écrivain et dramaturge, qu'il a abondamment annoté et illustré de surprenantes photographies, comme des statuts d’Extreme-Orient ou encore d’une voiture de course. De cette découverte est né en 2013 l’oeuvre Divine Violence composée de 57 cadres correspondant chacun à un livre de la Bible et rassemblant les 724 feuillets de l’ouvrage, où des passages de l’histoire sacrée sont émaillés d’images évocatrices exhumées parmi les millions de documents disponibles dans l’Archive of Modern Conflict à Londres (annexe n°1). Cette oeuvre occupant presque la totalité de l’exposition met en avant la critique de la violence arbitraire à travers les conflits, les formes de pouvoir et les usages de temps.
Cette interrogation du médium photographique lui-même et du pouvoir sous toutes ses incarnations se retrouve dans une seconde oeuvre présentée lors de l’exposition, War Primer 2, crée en 2011 et dont le point de départ a également été l’oeuvre de Bertolt Brecht, Kriegsfibel ou l’ABC de la guerre (annexe n°2). Broomberg et Chanarin ont crée War Primer 2 et Divine Violence dans un même geste radical, qui consiste à coller des images journalistiques ou des photographies anonymes sur des pages de livres à forte autorité morale. Ainsi, l’exposition met en perspective deux techniques essentielles de l’art moderne depuis la fin de la Première Guerre mondiale : l’appropriation des images photographiques médiatisées par des artistes ou des intellectuels pour en faire une arme; et le montage qui dans l’esprit des visiteurs joue le rôle d’un film, en combinant, enchainant où superposant des réalités contrastées. Ces derniers immergés dans les textes et les images, se retrouvent dans l’impossibilité de tout lire ou tout voir, voient leurs repères se confondre.
Comment en tissant les liens entre la violence exercée par Dieu dans l’Ancien Testament et celle exercée par les sociétés modernes, Adam Broomberg et Olivier Chanarin mettent en avant le pouvoir et la force des images qui jouent un rôle de témoin, voyeur, voire oppresseur ?
L’exposition Divine Violence est marquée par des recherches critiques des artistes sur les façons d’imaginer le conflit et la violence. D’abord en interrogeant la place de la violence dans le texte biblique, quitte à s’installer dans le blasphème pour protester contre les idoles et les images. Puis, par le choix des artistes de recourir aux images d’archives, l’exposition démontre que les technologiques de l’image ne sont pas neutre et les usages de la photographie ne sont pas innocents. Finalement, Broomberg et Chanarin, à travers cette exposition expérimentale interrogent les spectateurs sur la conscience de ces derniers de la prédominance visuelle de la violence dans notre société du spectacle.
La partie d’exposition consacrée à l’oeuvre Divine Violence s’ouvre par la citation profondément sarcastique du philosophe israélien Adi Ophir : « Dès le début presque toutes se créations furent catastrophiques (…). La catastrophe est son mode opératoire, son outil principal de direction ». Cette phrase illustre parfaitement l’idée radicale et provocante de l’oeuvre, qui met en relations deux systèmes d’ordres analogues, la violence se manifestant à travers le texte de la Bible ; illustrée par superposition de photographies contemporaines. Pour cette confrontation, les artistes ont puisé dans les profondeurs des collections de l’Archive of Modern Conflict en s’appropriant toutes sortes de genres : photographies de presse, scientifiques, documentaires, privées. Sur chaque page de la Bible, livre par livre, ces photos sans aucune mention de l’auteur ou de contexte, sont associés à des passages soulignés en rouge par les artistes, confrontant le texte saint aux photographies anonymes et mettant ainsi en évidence les icônes et les stéréotypes visuels de la violence. Le regard du spectateur est immédiatement attiré par l’image, que son oeil lit plus vite que le texte, d’une explosion puissante, dévastatrice, présentant une effroyable beauté plastique de formes et de couleurs, d’autant plus que l’explosion présentée est hors contexte, résultant de l’absence de légende (annexe n°3). Puis l’oeil voit un texte adjacent à la photographie, tiré de l’Exode « Mais s'il y a un accident, tu donneras vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure ».
L’exposition oblige à se demander pourquoi, après un siècle ou la violence humaine a atteint des sommets inédits dans l’histoire, à une époque où la violence ne cesse d’être exhibée par les médias, pourquoi la violence présente dans les livres saints comme la Bible choque-t-elle tellement le spectateur ? Le spectateur ne peut sérieusement croire qu’un livre vieux de plus de deux millénaires soit en lui-même porteur d’une violence inouïe qui sans lui n’existerait pas. Pourquoi une telle violence dans la Bible ? La violence naît précisément au coeur de l’humanité. De sorte que la bible plus qu’être un texte fondateur de la violence est un réceptacle, une image, des pulsions destructrices de l’Homme. Ainsi, la Bible preuve de l’alliance entre Dieu et l’homme ne peut faire l’impasse sur cette donnée constante de l’histoire de l’humanité qu’est la violence. Le texte lui agit comme un catalyseur de ces pulsions il les légitiment ou les condamnent il est donc un texte législatif dans la mesure ou il définie ce qui est acceptable ou non dans cette violence comme la citation au dessus l’illustre.
La violence des humains et de Dieu est l’un des thèmes majeurs de la Bible hébraïque. C’est dans cette optique que dès le IIème siècle de notre ère Marcion rejetait les textes de l’Ancien Testament, car « le Dieu qu’ont annoncé la Loi et les Prophètes est un malfaisant, aimant la guerre, inconstant aussi dans ses jugements et en contradiction avec lui-même », rejoignent ceux d’Adi Ophir. Broomberg et Chanarin illustrent d’ailleurs cette intensité de la violence en soulignant sur les deux pages de Lévitique en rouge le terme « unclean », utilisé pas moins de 52 fois (annexe n°4).
La violence divine est double elle cherche à mettre fin à la méchanceté humaine, dans le but de restaurer la justice, face aux oppresseurs des pauvres, parfois dans une tentative d’éduquer son peuple, et d’un autre côté cette Loi décrète la peine de mort et prescrit des sacrifices dont les victimes s’avèrent être des enfants. Dieu frappa de grandes plaies Pharaon et sa maison après que le roi égyptien ait pris Saraï dans son harem (Gènese 12,17), détruit Sodome et Gomorrthe dans un déluge de feu (Genèse 20,18) ou encore demande à Abraham d’offrir son fils en holocauste (Genèse 22,2). C’est cette violence divine qui s’exerce contre des innocents, qui scandalise le lecteur confronté à l’ordre d’éliminer des populations entières, « and to destroy all the inhabitants of the land before you » (annexe n°5).
En avançant à travers l’exposition le spectateur s’aperçoit que les pages de la Bible sont recouvertes non seulement de photographies de guerres, de génocides,
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