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Compte-rendu critique: le ciel de bay city de Catherine Mavrikakis

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oyait capable par ses litanies rhétoriques d’empêcher la catastrophe, toutes les catastrophes, ou à tout le moins de les circonscrire dans la foi du dialogue. Amy hurle « dans la nuit cinabre, sanglante, de Bay City » cette parole perdue, en invectivant parents, cousin, amis, Jésus, amours éphémères…. et cauchemars : en mettant le feu à cet insupportable mutisme, le lecteur découvrira comment. Dans l’amnésie d’une impossible transmission, sa mère horrifiée, lui interdit de raconter ses rêves : douleur et ignorance occultées par ces paroles-serves qui servent (comme le ciel scandaleusement indifférent ?) aussi bien l’amour que la haine, (l’enfer?). C’est ce qu’en déduit Amy. Aussi, elle préfère les considérer plutôt comme ces ustensiles plastifiés et jetables à l’image de l’Amérique matérialiste qu’elle habite et qu’elle caricature sarcastiquement. C’est par ces jeux ambivalents et paradoxaux qu’elle réussit ainsi à conserver des traces d’un passé énigmatique qui la structurent à son insu. « Et c’est bien en ce sens que les traces du passé appartiennent aux jeux du langage du présent car, sinon, elles seraient impensables ». Babette et Denise, respectivement la tante et la mère d’Amy, avaient appris de leur éducation européenne tout le contraire, une parole mythifiée de la mesure, mesure toujours du côté de la justice et du droit, du côté de l’humain : bonne éducation, élégance et culture françaises, souvenirs de la rue de Naples, dans le VIII ième arrondissement cossu du Paris d’avant-guerre. Mais il y a eu Auschwitz et l’éradication de cette clarté idyllique que devait maintenir au cœur de l’humain la raison maîtrisée : la mesure des classiques si admirée s’est métamorphosée en hybris. La Parole qui s’essayait à l’humanisme, dont un décret nazi en 1941 bannissait des imprimeries la forme scripturale, gothique, la « fraktur » la « schwabacher » prétendant qu’elle était d’origine juive, était contrainte aux fers, remplacée par ces écritures mécaniques, construites et monosémiques, sans odeur ni couleur, comme un instrument idéal de publicité […] destinées à former une pensée unique mondialiste, aseptisée. » Tout est parti en fumée, en millions de morts, dont l’odeur de moisi pourrit la vie des vivants, jusque dans le « basement » de la maison de tôle bleue de Bay City, où Amy découvre ses grands –parents Rosenberg-Rosenweig, vivant leur vie de mort honteuse puisqu’elle est survenue autrefois « dans une pénombre qui disloque la conscience » . Née d’eux, la mort hideuse du désir humain de comprendre est métaphorisée par tous les blancs de mémoire qui occultent la frayeur qui nous talonne obscurément et dont parle Jouve dans l’avant-propos à Sueurs de sang, publié en 1933 : « La catastrophe la pire de la civilisation est à cette heure possible parce qu’elle se tient dans l’homme, mystérieusement agissante, rationalisée, enfin d’autant plus menaçante que l’homme sait qu’elle répond à une pulsion de mort déposée en lui. » C’est là tout l’intérêt de ce roman que de replacer cette problématique dans une perspective élargie, universelle. Le monde entier est concerné, sous tous les ciels, toutes époques confondues, par les guerres de toutes natures. On ne peut faire mourir la mort, elle fait partie de la vie, mots honteuses ou fausses morts, morts ignorées, morts niées sous les discours imbéciles, la mort est vivante. Regarder en face les morts ignobles provoquées par la bêtise et l’illusion « des solutions finales » pour obtenir la paix face à l’insupportable de nos violences est un des devoirs de l’homme contemporain. Les « prothèses » à nos manquements, qu’elles soient du catholicisme ou du consumérisme, de l’idéologie marchande ou de quelque rêve du détachement ne servent à rien dans la résolution de notre brutalité, et des tourments de sa hantise en nous. « Ces gens ne sont pas des rescapés. […] Ce sont des morts qu’une fin atroce, inimaginable a gobés. Les deux corps guenilles […] ces chiffons d’âme […] ont dépassé la faim […] », constate Amy, atterrée. Paralysées du cœur et de l’intellect, les deux parentes d’Amy symbolisent, à différents degrés dans le roman, ce blanc de mémoire, elles qui s’appliquent à devenir de bonnes américaines, dames Duchesnay identité de surface, collaboration des victimes à leur disparition depuis l’apocalypse de 1940. Idem l’oncle Gustavo, « le negro » sud-américain, naturalisé par la taxidermie colonialiste ne parvient pas à surmonter le silence dans lequel il agonise, mais au moins il ne le justifie pas. Abasourdie, Amy observe, malade de ce silence terrible qui déshumanise : qui sont les morts? Il semblerait aussi que ce soit ceux qui se taisent, colonisés par le mensonge et la lâcheté d’une parole malade, et acceptée comme allant de soi. Le refuge dans les valeurs plastifiées du KMart, où Amy travaille est ironique, désespéré et illusoire et elle le sait : « Dans le magasin, tout est à sa place, le monde a un ordre, un sens ».

2- Les pouvoirs de la filiation et le détachement

Elle apprend à accepter... son incompréhension et pratique le détachement féroce… par amour. Sur l’ordre de son grand-père –qui s’adresse à elle en français-, (la langue de toutes les ambiguïtés?) elle rend à la mort son pouvoir souverain le jour de ses dix-huit ans, c’est du moins ce qu’elle croit, « arrêter la mort et son errance ». « Oui, il a raison, il me faut incendier le ciel violet et foutre le feu à ce qu’il reste d’Auschwitz. » La duplication de la violence n’aurait-elle pas de fin? Ici le roman hésite… et nous laisse réfléchir sur les pouvoirs de la filiation, du lien paradoxal du souvenir qui n’est plus, afin de restituer le passé; qu’est-ce que le pouvoir d’une filiation s’il ne sert que le leurre d’une possible vengeance, qui conduit à plus d’étouffement encore: « Je me retrouve prisonnière de moi-même. », visible dans le rythme précipité de ses aveux et de son profond désarroi. Amy se veut coupable, elle aussi, elle ne veut pas se taire. Les raisonnements simplistes cependant, d’un côté les mauvais de l’autre les bons ne satisfont pas Amy, dont la révolte est profonde, radicale, mais pas aveugle. C’est peut-être ce qu’elle comprend en écoutant les râles de la jeune fille qui appelle la mort dans la chambre d’à côté et dont « la voix est semblable à celle d’une sirène qui veut séduire le néant et le forcer à lui obéir. » Face au néant, opposer une « sirène » et ses effets-miroirs dont les lignes de fuite sont infinies peut-il être pertinent? Après l’hôpital, Amy devient pilote d’avion, cherchant des réponses dans le ciel « traître, il faut l’assassiner ».Ces tentatives de détachement se matérialisent dans le roman par le récit parallèle d’Amy adulte qui s’est réfugiée dans le bouddhisme, philosophie plus que religion née sur les rives du Gange, à Vârânasî, même les cadavres de bébés flottant sur les eaux ne doivent plus émouvoir Amy, elle s’y efforce. Elle y apprend à calmer sa fureur sans l’oublier, par la prise de conscience de la complexité du monde et des hommes. Oui, les eaux peuvent être toxiques ou signifier la vie, Bay City ou Vârânasî, qu’importe. Cette contradiction signale un mystère qui ne peut être résolu dans les oppositions trop simples (le vrai /le faux; le juste/l’injuste; Le beau/le laid; etc.) que fait le cœur révolté devant l’oubli des horreurs et des cruautés humaines. Où qu’elle aille désormais, Amy sait que la terre est un immense tombeau… Oui, le récit s’érige alors sur des ruines, ruines de la mort des vieilles croyances, de la mort

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