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Delacroix, La liberté guidant le peuple

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Par   •  12 Août 2016  •  Dissertation  •  2 712 Mots (11 Pages)  •  2 342 Vues

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Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830

Musée du Louvre, Paris

Huile sur toile, H : 260 cm, L : 325 cm

A. – Eugène Delacroix et la Révolution de Juillet

Les 27, 28 et 29 juillet 1830, le peuple de Paris se soulève, dresse des barricades et affronte les forces armées. Les combats font un millier de morts. C’est la « Révolution de Juillet », connue sous le nom des « Trois glorieuses ». Les Parisiens se révoltent pour défendre les acquis de 1789, remis en cause par Charles X qui veut rétablir la monarchie absolue. Le roi abdique le 2 août et part pour l’Angleterre. La société française est alors partagée entre des royalistes légitimistes[1], des nostalgiques de Napoléon et des républicains. L’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe, descendant des rois de France et partisan dans sa jeunesse de la Révolution, paraît garantir le meilleur équilibre. Il devient roi des Français et adopte le drapeau tricolore.

Eugène Delacroix assiste à l’insurrection sans y participer. « Nous avons été trois jours au milieu de la mitraille et les coups de fusil, écrit-il à son neveu[2], car on se battait partout. Le simple promeneur comme moi avait la chance d'attraper une balle ni plus ni moins que les héros improvisés qui marchaient à l'ennemi avec des morceaux de fer, emmanchés dans des manches à balai. Jusqu’ici tout va pour le mieux du monde. Tout ce qu’il y a de gens de bon sens espèrent que les faiseurs de République consentiront à se tenir en repos. » Fils d’un préfet de l’Empire, Delacroix a grandi dans le culte de Napoléon Bonaparte. En juillet 1830, il n’est ni du côté des royalistes ni du côté des républicains. Hostile aux émeutiers, « faiseurs de république », il accueille avec soulagement la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe qui s’appuie sur la bourgeoisie.

B. – Le sujet

En septembre 1830, Delacroix commence un tableau dans son atelier. Le 28 octobre, il écrit à son frère : « J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrais-je pour elle. [3] » Le sujet est complexe.

Le tableau doit montrer une « barricade ». Delacroix n’est pas le seul à traiter un tel sujet. En 1830-31, beaucoup d’artistes sont intéressés par le spectacle d’une bataille en plein Paris.

Delacroix affirme également vouloir peindre « pour la patrie ». Lisons à ce sujet le témoignage d’Alexandre Dumas : « Lorsque, le 27 juillet, je rencontrai Delacroix du côté du pont d'Arcole et qu'il me montra quelques-uns de ces hommes que l'on ne voit que les jours de révolution, et qui aiguisaient sur le pavé l'un un sabre, l'autre un fleuret, Delacroix [...] me témoigna sa peur de la façon la plus énergique. Mais, quand Delacroix eut vu flotter sur Notre-Dame le drapeau aux trois couleurs, quand il reconnut, lui fanatique de l'Empire, [...] l'étendard de l'Empire, ah ! ma foi, il n'y tint plus ; l'enthousiasme prit la place de la peur, et il glorifia ce peuple qui, d'abord, l'avait effrayé. » D’après Dumas, c’est donc le retour du drapeau tricolore, cher à Napoléon et interdit depuis son exil, qui inspire Delacroix. Comme beaucoup de gens de sa génération, Delacroix croit au mythe d’un Empereur glorieux, décidé à se battre pour la patrie et pour le bonheur de la nation[4]. L’engagement du peintre « pour la patrie » est une manifestation de son bonapartisme fervent. Il n’a jamais peint La liberté guidant le peuple pour la république.

C. – Les problèmes posés par le sujet

Delacroix définit la barricade comme un « sujet moderne », c’est-à-dire en rapport avec la réalité de 1830. Il doit donc trouver un moyen pour figurer cette réalité, compte tenu du fait qu’un événement réel, quel qu’il soit, est toujours unique, différent de sa reproduction. Le second problème est celui du message patriotique. Comment le peintre peut-il célébrer la patrie en peignant une barricade ?

D. – Les solutions aux problèmes posés par le sujet

 1. – Le traitement de la réalité

a. – Des échantillons et une allégorie

Renonçant aux faits bruts, le peintre condense les événements des Trois glorieuses dans une image qui réunit les forces en présence et montre l’idéal défendu par le peuple de Paris. Pour figurer les forces en présence, il emploie des échantillons[5]. L’ouvrier n’est pas un ouvrier en particulier mais un spécimen d’ouvrier, doté des caractéristiques propres à tous les ouvriers. Même chose pour le bourgeois, les gamins et les soldats. Pour figurer l’idéal des insurgés, c’est-à-dire la raison bien réelle de leur lutte, Delacroix utilise une allégorie. Il montre la Liberté sous les traits d’une femme qui exhorte les hommes au combat. Enfin pour mettre en évidence ces personnages-échantillons et l’allégorie de la Liberté, le peintre fait le choix très classique d’un système figure/fond. Il place les personnages au premier plan, la touche est nette et précise, et les détache sur un fond flou, qui situe la scène à Paris pendant les Trois glorieuses. On distingue Notre-Dame à droite, de la fumée et la foule des insurgés à gauche.

b. - Les hommes

A droite du bord inférieur, deux soldats gisent à terre, morts au combat. On identifie les régiments grâce aux uniformes. Couché sur le dos, un garde suisse[6], en tenue de campagne : capote gris-bleu, décoration rouge au col, guêtres blanches, chaussures basses et shako au sol[7]. Face contre terre, le deuxième soldat porte l’épaulette blanche des cuirassiers[8]. Delacroix nous invite à regarder son tableau comme un document sur la réalité.

A gauche, un homme s’avance, armé d’un sabre. Il porte un tablier de travailleur manuel. A ses côtés, un autre homme, genou à terre, s’apprête à tirer avec un tromblon, une arme de chasse qui indique que c’est un combattant occasionnel. La redingote, la cravate et le chapeau haut-de-forme le désignent comme un bourgeois. La disposition des deux personnages dans le décor[9] indique qu’en 1830 comme en 1789, la bourgeoisie a défendu ses intérêts aux côtés du peuple.

Le peintre n’oublie pas que des enfants et des adolescents ont combattu dès le 27 juillet. Sur le bord gauche, accroupi derrière la barricade, l’un d’entre eux fixe l’ennemi. Il porte un bonnet de voltigeur de la Garde, un régiment créé par Napoléon et dissout en 1814. Ce détail signale qu’en 1830, la jeunesse comme le peintre rêve à la grandeur de l’Empire. A côté de la Liberté, un deuxième garçon, bras levé, pistolets aux mains, incarne comme le précédent l'avenir de la nation.

c. – La Liberté

Le choix d’une allégorie pour figurer une idée est très courant mais ce que fait Delacroix ne l’est pas. Dans les catalogues d’allégories de l’époque destinés aux artistes, la Liberté est une jeune fille vêtue de blanc, tenant d’une main un sceptre et de l’autre un bonnet, voir la gravure de Gravelot et Cochin[10] ci-contre. Le sceptre exprime l’empire que, grâce à la Liberté, l’homme a sur lui-même. Le bonnet phrygien, porté par les esclaves affranchis de la Rome antique, est un signe de liberté. Delacroix change les attributs. Il transforme le sceptre en drapeau tricolore, emblème de l’unité nationale, coiffe la Liberté du bonnet phrygien et arme son bras gauche d’un fusil à baïonnette. Il fait ainsi entrer cette figure dans le feu du combat, tout en la dotant d’une force extraordinaire. Il place le bras de la Liberté sur la partie blanche du drapeau pour amplifier son geste. Il fait onduler l’étendard pour animer l’espace et rendre perceptible l’énergie de celle qui le brandit. Les bouts flottants de la ceinture, du bonnet et les cheveux ont le même effet. Cette force gagne les hommes. Ils sont peints tous en mouvement ou sur le point d’agir. Même l’ouvrier blessé, dont le sang coule sur la pierre sur laquelle il s’appuie, se redresse au passage de la Liberté. Il meurt avec comme dernière vision son idéal en pleine action.

[pic 1]

2. – Peindre pour la patrie

a. – L’implication du spectateur

Selon les lois de la perspective, une représentation combine deux opérations, la disposition et l’attaque. La disposition consiste à placer les figures dans le décor. L’attaque renvoie à tout ce qui concerne le point de vue optique, c’est-à-dire le point réel ou imaginaire depuis lequel un tableau figuratif est organisé.

Delacroix construit son tableau à partir d’un point situé à l’intersection de deux axes. Le premier est à 45° par rapport aux insurgés, qui regardent tous vers le hors-champ de droite. Le second est à 90° par rapport à la Liberté et à l’enfant aux pistolets, qui s’avancent résolument vers nous. La simultanéité du mouvement de ces deux figures est soulignée par des lignes parallèles, que forment la jambe et le bras gauches de la Liberté avec la jambe et le bras droit de l’enfant. En jouant sur la présence du hors-champs et sur les axes, le peintre ne se contente pas de nous montrer un combat de rue, il nous y implique. Nous ne sommes pas du côté des troupes de Charles X, qu’on imagine hors-champ à droite, ni du côté des insurgés. Nous occupons un point intermédiaire, où nous avons l’impression que l’enfant nous regarde droit dans les yeux, nous exhorte au combat. Nous avons aussi la sensation que la Liberté vient vers nous et qu’une fois à notre hauteur, elle nous entrainera à sa suite, comme elle le fait avec les insurgés.

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