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Notes Sur Une Mise En Scène De Textes De J. Swift

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1789 à une Fête de l’Humanité. En cette fin d’hiver 1976, j’avais participé cette fois-là au montage du chapiteau sous lequel allait se donner le spectacle. Renouant avec une grande tradition du théâtre populaire, Ariane Mnouchkine et ses acteurs allaient droit à l’essentiel ; ce théâtre-là disait sa conviction, son espérance d’un monde meilleur, dans une société dont nous ne voulions plus… le théâtre comme un entraînement au combat.

Avec DIABLES D’IRLANDAIS ! c’est un peu comme si je revenais à ces origines qui ont eu une grande influence sur mon théâtre. La dimension populaire, tout d’abord, ce sens du partage avec le public, renouant avec une démarche militante. La dimension expérimentale aussi, chère à la pratique d’Antoine Vitez, et dont m’inspire également depuis toujours la formulation qu’il fit du théâtre-récit, dans la lignée du travail de Brecht. Enfin, la dimension d’immédiateté et de théâtre brut que Peter Brook a développée, avec cette recherche permanente de confrontation entre les cultures pour retrouver l’essence du théâtre.

Yves BRULOIS

FRICTIONS DES LANGUES ET QUESTIONS DE FORME

Notes sur la mise en scène de ‘DIABLES D’IRLANDAIS !’

1. Une première expérimentale

Pour jouer Swift, j’ai choisi Christopher Craig, un acteur écossais, habitant en France depuis peu. C’est la première fois que j’aborde le théâtre avec un comédien étranger. C’est une expérience, au sens fort du terme, une friction entre nos cultures respectives, nos façons de faire le théâtre. Christopher Craig a reçu un enseignement très complet, et a une solide expérience d’interprète. Dans la formation qu’il a reçue, une grande place était faite aussi à l’improvisation. Dans ma manière de diriger des acteurs, j’ai pour principe d’essayer d’exploiter au mieux leur potentiel. Ainsi, j’ai voulu tenir compte de nos approches respectives, mêlant le français et sa langue natale dans le spectacle. Les méthodes d’approche du texte, du jeu, le travail sur l’énergie étant différentes entre nos deux pays, le spectacle résulte tout entier de ce croisement de cultures, et nul doute qu’un spectateur anglo-saxon appréciera cette forme tout à fait différemment qu’un spectateur français. Le travail avec Gérald Ryckeboer procède de la même démarche. La présence du musicien sur le plateau m’intéresse, tout autant que ce qu’il pourra jouer. Et surtout, que la musique ne soit pas réduite à une fonction d’accompagnement, qu’elle joue un rôle à part entière, tant dans le choix des morceaux que de l’instrumentarium. J’ai ainsi puisé dans le large répertoire des musiques traditionnelles que pratique Gérald pour composer le parcours musical de DIABLES D’IRLANDAIS !

2. Jouer Swift

L’approche du texte non-dramatique est un des traits majeurs de ma démarche théâtrale. Le jeu avec les petites formes, tels les textes courts, m’a toujours intéressé, parce qu’il interroge toujours l’esthétique théâtrale à mettre en œuvre. A chaque fois, c’est une nouvelle réflexion sur l’écriture théâtrale qui est mise en jeu, car chaque texte contient un espace que la scène doit pouvoir servir. Avec Swift, c’est à l’espace de la réflexion philosophique et morale, l’espace du pamphlet politique et économique que nous sommes renvoyés : en quelque sorte, un théâtre de la parole et du discours. Cependant, cet auteur n’a pas écrit pour le théâtre. Son humour – qualifié d’humour noir par André Breton – est caractéristique d’une tournure d’esprit irlandaise qui se manifestera chez bon nombre de ses successeurs (qu’on pense à Sean O’Casey ou Flann O’Brien par exemple). En France, nous n’en avons pas d’équivalent. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi Christopher Craig pour interpréter ses textes. En effet, ce comédien a une réelle parenté culturelle avec cet esprit irlandais. D’autre part, les textes de Swift sont tout sauf rassurants : la « Modeste proposition pour empêcher les enfants d’Irlande d’être à la charge de leurs parents et pour les rendre utiles au public » frôle l’horreur absolue. Pour contrebalancer la violence de cet humour, j’ai voulu m’appuyer sur la générosité de l’interprète, ajoutée à la saveur de l’accent, pour créer un décalage qui mettrait à distance tout en aiguisant l’écoute. L’accent devient ici un matériau pour la théâtralisation. J’ai ainsi exploité, durant tout le spectacle, le capital de sympathie que sait générer Christopher. Dans la représentation, tout est fait pour qu’on aime le comédien, sa générosité. Et cet homme, qui nous amuse, que nous aimons malgré (ou à cause) des ses maladresses, qui chante des chansons qui nous donnent envie de claquer dans les mains, qui nous raconte des histoires de whiskey, est celui-là même qui nous dira des horreurs quelques minutes plus tard.

Comme nous sommes au théâtre, nous savons bien dans le même temps qu’on se joue de nous, avec nous. Et par le biais de ce jeu de ricochets, nous nous retrouvons assemblés pour partager les mêmes valeurs, nos indignations, nos révoltes, notre impatience à en finir avec ce monde de violence et d’injustice. Non, ce n’est pas ici que nous changerons la société, mais le temps de cette rencontre, nous savons que nous sommes ensemble à croire que nous en finirons.

C’est en ce sens que ce spectacle a pour moi un lien très fort avec le théâtre engagé des années 1970, la grande époque militante, quand tous les espoirs étaient permis, cette époque où on faisait du théâtre comme on affûtait ses armes, ce théâtre festif où on se retrouvait pour se sentir plus forts. Monter ces textes de Swift, cela nous renvoie sans cesse à notre propre actualité : le spectacle se situe donc dans cette mouvance du théâtre engagé, dans son histoire aussi, avec toute la dimension esthétique qui est propre à cette forme de spectacle.

3. L’écriture et le style de la représentation

J’ai voulu replacer ces discours dans un contexte qui pourrait faire penser à une taverne. J’ai puisé dans le répertoire de chansons populaires de Gérald Ryckeboer et Christopher Craig, comme je le fis avec ses blagues écossaises. L’absence de continuité dans la construction de l’ensemble est assumée comme un élément du spectacle lui-même. Dans notre tradition théâtrale, nombre de pièces relèvent de cette forme, qui emprunte à la structure du spectacle de cabaret, où les numéros sont encadrés par des moments de chansons ou des blagues. Dans le même temps, je n’oubliais pas qu’il y a toujours eu chez Swift une dimension rabelaisienne. La fonction de ces passages purement récréatifs relève de l’envie de décaler le discours dans un contexte qui ne serait pas le sien, si on ne se souvenait que c’est dans des arrière-salles de taverne que se sont forgées nombre d’idées et d’opinions ; là, nombre d’orateurs, privés de tribune officielle, s’y sont aguerris dans l’art de diriger les masses. Le spectacle joue constamment sur cette ambiguïté de la dimension populaire. Ces moments ont le double objectif de distraire « le peuple », tout en mettant le spectateur dans une disposition d’écoute pour les discours de Swift. Au niveau de la ré-écriture opérée sur les textes, l’acteur Christopher Craig m’a incité à explorer les dimensions ludiques du bilinguisme sur la scène, exploitant cette particularité pour mettre en jeu des réactions divisées dans la salle – entre ceux qui comprennent l’anglais et ceux qui ne le comprennent pas – en veillant pourtant à ce que la barrière de la langue ne soit jamais vécue comme un handicap pour ceux qui ne la comprennent pas. Ainsi, tous les textes de Jonathan Swift ont subi un travail d’adaptation. Pour la « Modeste Proposition » j’ai travaillé à partir de plusieurs traductions improvisées par Christopher Craig et j’ai écrit une version qui reprend, pour l’essentiel, ses propres tournures de phrases. Ceci pour augmenter l’effet de distanciation que je souhaitais obtenir. Le spectateur est ainsi balancé entre différents rapports avec cette langue étrangère, et avec la sienne propre. N’hésitant pas à aller parfois jusqu’au sacrilège par rapport au respect du texte, car bien éloigné de la bienséance convenue et attendue à la profération du texte d’un classique. Allant plus loin dans l’irrévérence, si caractéristique de cette dimension populaire du théâtre – frisant même parfois le populisme - j’ai utilisé les techniques d’improvisation auxquelles Christopher a aussi été formé. Le spectacle alterne des passages qui ont été travaillés très précisément, avec d’autres où je laisse délibérément filer les choses au gré de l’inspiration de l’acteur. Cette absence de contrôle m’intéresse beaucoup, c’est également un matériau de la mise en scène. De même dans l’approche de la langue anglo-saxonne, nous avons joué à mélanger les accents, du british bien conventionnel aux tournures très populaires de l’accent dublinois ou écossais. A ce titre, la scène centrale du spectacle est celle sur « le projet de faire porter des insignes distinctifs par les mendiants des différentes paroisses ». J’ai demandé au musicien de faire l’acteur, ce qui n’est pas son métier. Cette scène comporte toujours une part d’improvisation. Cette scène est, dans sa forme, une citation directe

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