Correction commentaire composé Phèdre, Acte V scène 6
Commentaire de texte : Correction commentaire composé Phèdre, Acte V scène 6. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Doggo • 17 Avril 2020 • Commentaire de texte • 3 360 Mots (14 Pages) • 2 889 Vues
Correction commentaire composé Phèdre, Acte V scène 6
[Introduction]
1677 marque un tournant dans la carrière de Jean Racine, il laisse, pour un temps du moins, l’écriture dramatique pour devenir historiographe de Louis XIV. Phèdre est sa dernière pièce profane. Cette tragédie reprend le mythe de Phèdre, épouse de Thésée, et sujette à une passion dévorante pour son beau-fils Hippolyte. « Ni tout à fait innocente, ni tout à fait coupable » écrit Racine à propos de Phèdre, celle-ci est en effet victime de la malédiction de Vénus, se vengeant ainsi du trop indiscret Hélios. Le passage que nous allons étudier est proche du dénouement, il s’agit d’une tirade extraite de la scène 6 de l’acte V, les personnages sombrent dans leur destin tragique. Théramène rapporte à Thésée les circonstances de la mort du Prince. L'attaque et le meurtre d'Hippolyte par un monstre marin envoyé par le dieu Neptune ne peuvent, de toute évidence, être représentés sur la scène. Le souci de l'unité de lieu, mais aussi la nécessité d'observer les bienséances conduisent l'auteur à recourir au récit. Pour autant, et comme l'écrit Aristote dans la Poétique « la fable doit être composée de telle sorte que, même sans les voir, celui qui entend raconter les faits frémisse et soit pris de pitié. » Aussi le récit doit, selon le principe de la double énonciation, informer d’une part le personnage de Thésée du sort réservé à son fils, et d’autre part le spectateur, chez qui il doit susciter terreur et pitié. Nous pouvons donc nous demander : comment le récit de Théramène parvient-il à toucher le spectateur, davantage même que s'il était représenté ? Pour ce faire, nous nous proposons de suivre trois axes d'étude. Tout d'abord, nous verrons en quoi cet extrait est un récit captivant qui suscite l'attention du spectateur et le captive par son pouvoir de suggestion. Puis, nous nous attacherons à montrer en quoi cet épisode constitue une véritable scène héroïque. Enfin, nous mettrons en évidence en quoi la mort d'Hippolyte est une mort tragique qui constitue le premier mouvement du dénouement, ainsi que le premier mouvement cathartique réel de la pièce.
[I- Un récit captivant]
Le public du XVIIe siècle est turbulent. La tirade force son écoute et le maintient en respect. Plus encore lorsqu'il s'agit de personnages secondaires, dont D'Aubignac précise « qu'on ne les écoute point » : « c'est le temps que les spectateurs prennent pour s'entretenir de ce qui s'est passé, pour reposer leur attention ou pour manger leurs confitures ». Si le récit de Théramène a partie liée avec le dénouement, il lui faut tout de même susciter l'intérêt et captiver l'attention.
[A- Un récit structuré ]
La tirade de Théramène est un récit dont la composition répond au schéma narratif traditionnel, lequel, présentant les événements de façon progressive et méthodique, assoit la cohérence de l'ensemble et favorise l'attention du spectateur. Dans cette perspective, le « monstre furieux » apparaît comme l'élément perturbateur qui modifie la situation initiale (« Un effroyable cri sorti du fond des flots / Des airs en ce moment a troublé le repos » v. 1507-1508). Cet élément perturbateur est mis en exergue par le recours au passé composé, qui rompt avec l'imparfait duratif des premiers vers de la tirade. Tandis que les compagnons d'Hippolyte vont trouver refuge dans un temple, ce dernier prend à charge de combattre le monstre. Cette étape constitue l'étape des péripéties, où dominent le présent de narration et l'emploi de verbes d'action. La première péripétie voit le monstre touché au flanc par Hippolyte (« Il lui fait dans le flanc une large blessure » v. 1530). La deuxième péripétie, elle, introduit un renversement. Le monstre s'attaque aux « coursiers » du héros, « leur [présentant] une gueule enflammée, / Qui les couvre de feu, de sang, et de fumée » (v. 1533-1534). Ceux-ci, effrayés, s'enfuient au galop. Cette course effrénée génère la troisième et ultime péripétie, qui voit le héros tomber de son char (« Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé » v. 1544). L'élément de résolution tient dans la course interminable des chevaux, qui traînent Hippolyte vers une fin tragique (« Traîné par les chevaux que sa main a nourris » v. 1548). La situation finale, en effet, présente Hippolyte blessé à mort (« Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie » v. 1550) et ses compagnons le pleurer douloureusement (« De nos cris douloureux la plaine retentit » v. 1551). Outre le canonique schéma narratif, qui structure à la fois le récit et l'attention porté à celui-ci, c'est l'art qu'exerce l'auteur du suspens qui captive le spectateur.
[B- Un récit qui ménage le suspens]
Si le récit est structuré de telle manière que les événements s'enchaînent les uns aux autres et concourent en même un point tragique, il n'en faut pas moins tenir en haleine le spectateur pendant les soixante-douze vers qui constituent la tirade. Aussi l'auteur a-t-il recours à l'art du suspens, par un jeu de retardements qui créent l'attente et suscitent la curiosité. En ce sens, dix vers sont nécessaires avant que le monstre ne soit présenté comme tel au spectateur. Celui-ci n'est d'abord qu'un cri, dont l'allitération en [f] du vers inaugural « effroyable », « fond », « flots » traduit la percée. La structure en chiasme, « un effroyable cri » (v. 1507) / « ce cri redoutable » (v. 1510), enferme le récit dans un univers sonore qui en retarde l'actualisation. L'adverbe « cependant » (v. 1513), qui constitue le point de relais d'un sens – l'ouïe – à un autre – la vue –, n'introduit d'abord qu'une vision incertaine : l'oxymoron « montagne humide » (v. 1514) exprime à la fois la stature et la puissance du monstre à venir en même temps que son caractère évanescent. Enfin, l'éloignement du complément d'objet direct (« un monstre furieux » v. 1516) du verbe dont il dépend (« vomit » v. 1515), diffère autant qu'il est possible l'évocation explicite de la créature. Dans cette perspective, l'on peut également évoquer, dans le récit du combat livré par Hippolyte, l'interruption des vers 1545-1546, dans lesquels Théramène exprime sa douleur. Ce dernier s'interrompt en effet après avoir évoqué la chute du héros. La rupture syntaxique opérée à la césure (« Excusez ma douleur. Cette image cruelle » v. 1545) coupe le fil de la narration et ménage ainsi le suspens : on ne sait si le héros est mort ou vif. Au delà de la structure narrative et des effets de retardement, c'est la volonté de l'écrivain de matérialiser visuellement la scène qui rend présent aux yeux du spectateur le drame rapporté, et achève ainsi de capter son attention.
[C- Un récit pour les sens]
Le récit de Théramène, en effet, parvient à rendre visible ce qui est absent sur la scène. En ce sens, le recours à la focalisation interne engage déjà le spectateur sur la voie de la subjectivité : il reçoit les événements tels que le narrateur-témoin les perçoit. Mais c'est au moyen d'une hypotypose que l'auteur parvient à accomplir une véritable recréation des événements, conduisant le spectateur à devenir le double sensoriel du narrateur. L'hypotypose est ainsi définie par Cicéron dans sa Rhétorique à Herennius : « L'affaire semble se dérouler et la chose se passer sous nos yeux ». Les verbes de perception constituent les balises principales de cette figure : la réduplication à l'œuvre au vers 1547 (« J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils ») montre la volonté de Théramène, au moment où il s'apprête à décrire la mort d'Hippolyte, d'actualiser son récit. De même, l'emploi du présent de narration (par exemple : « Hippolyte lui seul digne fils d'un héros, / Arrête ses coursiers, saisit ses javelots » v. 1527-1528 ; ou encore : « À travers des rochers la peur les précipite. / L'essieu crie, et se rompt » v. 1541-1542), qui abolit la distance temporelle et rend les événements contemporains de l'énonciation, invite le spectateur à revivre la scène. L'attention portée aux détails est également importante, et participe pleinement de l'hypotypose. Le spectateur ne peut bien se figurer une scène que si on lui en donne les précisions nécessaires. Dans cette perspective, la description du monstre marin (v. 1517-1521) ne laisse, ou presque, aucun sens à l'abandon. Le vers 1520, qui appelle essentiellement la vue (« recourbe », « replis tortueux »), appelle également, par une allitération en [r], l'ouïe, préparant déjà « [les] longs mugissements » évoqués au vers suivant. Les notations auditives sont donc elles aussi très présentes : elles achèvent de saturer l'univers perceptif du spectateur.
Le récit de Théramène est un récit qui captive le spectateur en même temps qu'il parvient à lui faire vivre, par son fort pouvoir de suggestion, la scène absente. Or ce pouvoir de suggestion est un élément déterminant dans l'objectif de la tragédie de susciter terreur et pitié.
[II. Une scène héroïque]
Le récit du combat d'Hippolyte avec le monstre marin révèle la tonalité épique et pathétique du passage. Le recours au merveilleux inaugure la terreur du spectateur, qui se confirme dans la bataille que mène le héros contre lui. La chute d'Hippolyte, elle, introduit le sentiment de pitié dans le cœur du spectateur.
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