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Cours sur les lettres persanes

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Par   •  22 Avril 2021  •  Cours  •  7 079 Mots (29 Pages)  •  495 Vues

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Explication de la lettre 24 jusqu'à « et mille autres choses de cette espèce »

        INTRO

        Genre très à la mode au XVIIIe siècle, le roman par lettres fascine, aujourd'hui encore, le lecteur contemporain par l'étonnante vitalité qui l'habite. La lettre fait progresser l'intrigue et met à jour la subjectivité des épistoliers. L'alternance des points de vue de différents personnages fait du roman épistolaire une œuvre polyphonique qui peut parfois nous proposer une vision complexe du réel, presque kaléidéoscopique, qui invite à la réflexion et à l'exercice de son esprit critique.

 C'est le cas du roman de Montesquieu, Les Lettres persanes paru en 1721 sous l'anonymat, qui fait entendre la correspondance de deux Persans, Rica et Usbeck venus découvrir la capitale avec leurs amis restés en Perse. A l’adresse d’une société ethnocentriste, Montesquieu conçoit en effet une approche différente et caractéristique des Lumières, se fondant sur l'utilisation d'un regard neuf, objectif, étranger et naïf, en profitant de l’intérêt renouvelé par les cultures exotiques, existant du fait des nouvelles découvertes. Le début du siècle a effet vu la publication volume après volume des Mille et une nuits, traduits à l’origine de l’arabe par Antoine Galland et en 1721, se déroule en France l’ambassade de Mehmet Effendi, envoyé de l’empereur ottoman, ce qui a pu l'inspirer. Montesquieu prend comme base un roman épistolaire, la correspondance entre deux Persans, Rica et Usbek. Dans l'oeuvre, Rica et Usbek se rendent à Paris avec la volonté d’apprendre. Les moeurs françaises les laissent stupéfaits : ils racontent leurs expériences à leurs amis restés en Perse.  Mais derrière le regard soi -disant naïf des deux Persans, c’est bien sûr Montesquieu qui entreprend une critique en règle de la société française.

Cette lettre 24 nous donne à lire leurs premières impressions en s'installant à Paris et en découvrant la ville.

        Comment Montesquieu détourne-t-il cette lettre d'échange amical et intime entre deux Persans en véritable réquisitoire contre les incivilités Parisiennes, et contre la monarchie absolue de droit divin et ses liens avec la Papauté?

En quoi l'ironie de Montesquieu invite-t-elle à plus de discernement sur la société française et aussi sur le pouvoir en place?

1er mouvement : 1er et 2ème paragraphes : Une lettre orientale qui permet la confrontation et la rencontre de deux cultures

2ème mouvement : Satire de la vie parisienne : rapidité, encombrements et incivilité

3ème mouvement : Satire indirecte très polémique du Roi et du Pape

1er mouvement : Le 1er et le 2ème paragraphes mettent en place une situation d'énonciation particulière pour le lecteur qui reçoit une lettre de voyageur oriental à Paris et ils décrivent l’installation en France comme une petite épopée

- le choix de la lettre orientale et d'un point de vue extérieur ou regard étranger

  • Le choix de la lettre orientale permet à Montesquieu d’évoquer scripteur et destinataire, ce qui renvoie bien sûr au contexte oriental: les noms propres sont envisagés au début du texte: Rica, le scripteur et Ibben, le destinataire. La précision du lieu: Smyrne, c’est-à dire l’ancien nom de la ville d’Izmir, en Turquie, va dans le même sens. (A la fin de la lettre, la date « le 4 de la lune de Rebiab » ( équivalent du 4 juin 1712) continuera dans la veine orientale. L’évocation de la lune pourrait même suggérer le conte magique, à la manière des Mille et une nuits.)
  • Tout au long de la lettre, l’emploi des première et deuxième personnes vise à rappeler ce contexte romanesque oriental: la première personne du pluriel ouvre le texte: « Nous sommes à Paris depuis un mois  », ce qui renvoie aux deux personnages d’Usbek et de Rica. Mais la lettre fait davantage de place à la première personne du singulier: il s’agit bien de relater les expériences et les impressions personnelles de Rica: ainsi dans le troisième paragraphe qui envisage les déplacements personnels de Riva (18 occurrences de pronoms personnels de la première personne). L’emploi de la seconde personne qui s'adresse au destinataire, relance son attention sera d'ailleurs fréquent en début de paragraphe: « Tu ne le croirais pas peut-être », « Ne crois pas que je puisse », « Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t’étonner ».

(A chaque fois, il s’agit de prévenir les réactions de doute que le destinataire pourrait avoir, et rappeler ainsi au lecteur le point de vue exotique qui ordonne le passage.)

  • La deuxième  phrase insiste bien sur les difficultés de l’installation par une énumération, fait de cette installation en France une petite épopée avec des vraies obstacles à surmonter pour obtenir des choses simples : « Il faut bien des affaires avant qu’on soit logé , qu’on ait trouvé des gens à qui on est adressé, qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois. On observe aussi une opposition entre le manque exprimé et les choses nécessaires donc indispensables à la vie quotidienne. Elle aide à comprendre la première où le mouvement continuel s’oppose à l’idée de repos, de tranquillité nécessaire à la découverte pour un voyageur.

-  Ce choix de point de vue permet une série de comparaisons entre les découvertes occidentales  et les réalités orientales

        Au cours de la lettre elle-même, Montesquieu renvoie à des réalités orientales, et désarçonne son lecteur en les prenant justement comme référence et comme modèle:

« Paris est aussi grand qu’Ispahan  » : le fait de prendre Ispahan comme point de comparaison, et d’affirmer l’égalité des deux villes est sans doute assez surprenant pour un lecteur assez égocentré de l’époque, habitué à toujours considérer le monde occidental comme supérieur. (Ispahan est située en Iran).

« les maisons y sont si hautes, qu'on jurerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues  » : la référence naïve (surtout au sens de neuve) à la géographie parisienne se teinte de fantaisie car l’astrologue, comme spécialiste de l’étude des astres se doit de pouvoir les observer au plus près. L’évocation d’un tel personnage renvoie à un contexte plutôt magique et mystérieux pour un lecteur occidental, elle a un côté Mille et une nuit, donne une touche de merveilleux ; on peut même aller jusqu'à songer à un paysage futuriste.

2ème mouvement : A partir de la fin du 2ème paragraphe jusqu'à la fin du 3ème, la satire de la vie parisienne porte également sur la rapidité et encombrements conjugués à l'incivilité :

(Ce n'est pas un thème nouveau : dans ses Satires, notamment dans le poème « Les embarras de Paris », le poète Boileau en a déjà parlé.)

  • Le « mouvement continuel » dont parlait Rica et l'expression «le bel embarras » traduisent la même agitation stérile que chez Boileau. La négation malicieuse de Rica « Je n'y ai vu marcher personne » montre la rapidité des Parisiens, de même que la gradation « Ils courent, ils volent » qui pourrait rappeler le merveilleux des contes. Dans la phrase : « les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux les feraient tomber en syncope » on note une hyperbole ironique à propos des Parisiens.
  • Le récit d'un exemple de petite scène de rue au présent d'actualisation insiste par un  jeu de réciprocité sur l'inefficacité du mouvement des passants pour avancer : « Un homme qui vient après moi et qui me passe me fait faire un demi-tour; et un autre qui me croise de l'autre côté me remet soudain où le premier m'avait pris » .
  • Le registre devient alors épique voire héroï-comiquecar avec la succession de V d'action, circuler dans les rues devient une véritable épopée héroï-comique car le cocasse de la situation est que le personnage se retrouve condamné à avancer péniblement pour revenir au même point. La chute avec la comparaison « et je n'ai pas fait cent pas que je suis plus brisé que si j'avais fait dix lieues » sonne d'ailleurs comme une défaite physique.
  • Nous assistons aussi à une critique du comportement quotidien des Français, de leur mentalité et l'emploi du pronom « on » dans « on m'éclabousse », par exemple, interpelle les Français sur leur manque de courtoisie. C'est une agressivité manifeste qui apparaît dans la mention des « coups de coude » par exemple.
  • La comparaison « comme un chrétien »» renverse et détourne l'expression « comme un païen » que les Français emploient fréquemment pour disqualifier une personne n'ayant pas un comportement convenable, ce qui souligne l'importance de la question de la relativité importante chez les Lumières : Montesquieu montre bien avec un point de vue extérieur que c'est plus l'agressivité qui fait qu'on identifie un chrétien, que son amabilité, sa douceur, son respect, qualités qui seraient pourtant plus conformes au message des évangiles.
  • Enfin, les Français apparaissent comme un peuple assez fermé, peu enclin au dialogue : Rica ne mentionne aucun échange qu'il aurait eu avec un Parisien à son arrivée. Rica les présente d'ailleurs comme dotés d'une insondable 'vanité', défaut que Montesquieu cible et dont on verra ensuite que le roi profite « parce qu'il tire (ses richesses) de la vanité de ses sujets ». Leur soumission paraît proche de celle des enfants privés d'esprit critique dans « il les fait penser comme il veut » ou à travers la répétition de « il n'a qu'à » qui souligne à quel point ils sont faciles à manipuler, passifs, dans « il n'a qu'à les persuader », « il n'a qu'à leur mettre dans la tête ».

3ème mouvement : Enfin, le 5ème paragraphe permet à Montesquieu, philosophe des Lumières une satire indirecte très polémique du roi et du Pape

  • L'image du « magicien » que Rica emploie aussi bien pour le roi que pour le Pape est très dépréciative. Elle insiste sur l'habileté des deux hommes à manier l'illusion, à hypnotiser les gens, à profiter de leur crédulité. Ainsi, les verbes « persuader », « faire croire », l'expression « exercer son empire sur l'esprit de » dénoncent cette absence d'honnêteté du Pape et du Roi, même s'il existe une hiérarchie entre eux puisque la « magie » du Pape est supérieure à celle du roi qui est lui-même présenté comme sa victime en une sorte d'effet d'emboîtement : le peuple manipulé par le roi qui est lui-même manipulé par le Pape : leurs rapports sont donc fondés sur l'instrumentalisation, la domination et non le respect de la justice ou le souci du bien commun.
  • Dans sa lettre, Rica ne dépeint pas en effet le roi comme un monarque qui dirige mais comme un profiteur qui s'enrichit et qui est politiquement trop dépendant du bon vouloir du Pape. Montesquieu critique la monarchie absolue de Louis XIV à travers un relevé d'observations faussement naïves de Rica sur la monarchie : son goût immodéré pour la guerre, la vénalité des charges : « les titres d'honneur à vendre », la malhonnêteté de ses discours lorsqu'il a besoin d'argent, en s'appuyant sur des équations grotesques : « un écu en vaut deux », et enfin ce prétendu pouvoir de guérison des écrouelles qu'on prêtait au monarque absolu : «  « il guérit toutes sortes de maux ». Ainsi, en même temps qu'il dénonce le Roi, Montesquieu dénonce aussi la crédulité de ceux qui se soumettent à lui.
  • Enfin, on note une gradation du roi au Pape puisque la comparaison « plus fort que lui » laisse entendre que son influence est d'autant plus importante. À travers la critique du Pape, Montesquieu adresse une critique irrévérencieuse à l'encontre des croyances chrétiennes : la sainte Trinité « tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu'un »; , le dogme de l'Eucharistie dans le parallélisme avec négation « que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin » et l'hyperbole « mille choses de cette espèce » qui montre que ce que les pratiques du Pape peuvent avoir d'aberrant pour un regard extérieur.  
  • La périphrase « certains articles de croyance » fait clairement référence aux bulles pontificales du Pape qui constituaient de vrais textes juridiques imposés à tous les Chrétiens de la Papauté, ce qui pour Montesquieu représente un pouvoir tyrannique et abusif.  Notons que la précision lexicale « ce magicien s'appelle le Pape » qui nous rappelle que cette lettre est adressé à un Persan ne souligne que trop à quel point toutes ces  remarques sont faussement naïves pour le philosophe des Lumières qui se cache derrière les personnages, et qui se livre plus à un acte d'accusation qu'à une tentative de définition.

Explication de la lettre 30 en entier

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