La Bruyère, Les Caractères, texte n°7
Commentaire de texte : La Bruyère, Les Caractères, texte n°7. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar laf2908 • 20 Novembre 2024 • Commentaire de texte • 3 284 Mots (14 Pages) • 7 Vues
La Bruyère, Les Caractères, texte n°7 Remarque 74 – Livre VIII « De la Cour » |
Introduction : La Bruyère, auteur du XVIIe siècle, est connu pour son œuvre Les Caractères (publiée de 1688 à 1696), qu’il présente au départ comme la traduction d’un ouvrage de l’Antiquité - Les Caractères de Théophraste - mais qui lui permet surtout de livrer des réflexions morales sur la société, les mœurs, et les travers de sa propre époque. Ces réflexions prennent la forme d’observations, de maximes et surtout de portraits au ton souvent ironique et satirique. Le passage ici étudié se situe dans le chapitre VIII, intitulé « De la Cour », et porte sur le petit monde des courtisans et du Roi. LECTURE A VOIX HAUTE DE LA FABLE On peut distinguer quatre mouvements dans ce texte : un 1er (de la l. 1 à 6) présentant les jeunes gens de la Cour ; un 2ème (de la l. 6 à 13) traitant de la question des apparences chez les hommes comme les femmes ; un 3ème (de la l. 13 à 19) parlant du rapport à la religion et enfin un dernier (l. 19 à 20) insistant sur la fausse mise à distance de ce monde représenté. Tout au long de cette étude, il s’agira de se demander comment La Bruyère dénonce la vanité et la superficialité des courtisans tout en faisant semblant de présenter la cour comme un monde nouveau et étranger.
Progression du texte / citations | Procédés littéraires | Interprétations |
1er mouvement : (l. 1-6) la débauche des jeunes gens de la Cour | ||
« L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse » « : ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir ; » « ils préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. » "Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin : « L’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide ; « ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes ; il ne manque à leur débauche que de boire de l’eau forte. » | Utilisation du pronom impersonnel « On » et d’un déterminant indéfini « Une région » + verbe de parole « parle ». Proposition subordonnée relative permettant de préciser le lieu « où les vieillards... » + présent de vérité générale Jeu d’opposition entre les vieillards et les jeunes gens, à travers la locution adversative (« au contraire ») et l’utilisation de deux accumulations au rythme ternaire, l’une méliorative (« galants, polis, civils », l’autre péjorative « durs, féroces, sans mœurs ni politesse »). L’énumération s’achève par deux points à valeur explicative, suivis du pronom personnel « ils » qui reprend l’expression « les jeunes gens » de la phrase précédente. Portrait caractérisé par la mise en place d’une antithèse paradoxale dans la chronologie des relations amoureuses. Nouvelle énumération au rythme ternaire « repas, viandes, amours » + utilisation d’un adjectif dépréciatif, « ridicules », pour qualifier les habitudes (repas, viandes) et les mœurs (amours). Ironie présente dans l’antithèse entre les attributs « sobre et modéré » et le verbe « s’enivre », ainsi que dans la tournure restrictive en « ne...que » Opposition entre le pluriel du pronom personnel « ils » et le singulier du pronom démonstratif « celui-là » qu’on trouvait juste avant ; Hyperbole comique : « le leur a rendu insipide »
Gradation dans le champ lexical de la boisson : « vin » < « eaux de vie » < « liqueurs les plus violentes » < « eau forte » et hyperbole, marquée par la tournure superlative absolue : « toutes les liqueurs les plus violentes » Tournure restrictive « il ne manque à leur débauche que.... » |
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⇨ La Bruyère nous a donc, dans ce 1er mouvement, fait le portrait des jeunes gens de la Cour, peu recommandables à ses yeux. Les adjectifs employés au début du texte pour les décrire sont justifiés par leurs défauts (le désintérêt pour les femmes, les excès de chair et de boisson), qui ne font pas d’eux les honnêtes hommes prônés par le Classicisme. | ||
2ème mouvement : Critique de la vanité, de la superficialité et des artifices des femmes, et hommes de la Cour. | ||
« Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de ...» « ...est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. » « Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête : il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage. » | « Les femmes du pays » « coutumes » Champ lexical de la superficialité et de l’apparence qui devient omniprésent (« beauté » « artifices » « belles » ...) + antithèse et registre satirique dans les actions des femmes : ce qu’elles utilisent pour les embellir les enlaidit en réalité. Champ lexical du corps qui se déploie grâce à deux énumérations (« leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules » + « leur gorge, leurs bras et leurs oreilles ») couplé à celui du maquillage (« artifices », « peindre ») et de l’impudeur (« étalent », « craignaient de cacher », « ne pas se montrer assez ») « ceux qui habitent cette contrée » : périphrase désignant les courtisans. « physiognomie » : terme qui renvoie à l’apparence + champ lexical de l’opacité, du brouillage (« pas nette », « confuse », « embarrassée », « épaisseur », « long tissu », « couvrir », « change les traits », « empêche qu’on connaisse ») périphrase (« épaisseur de cheveux étrangers ») pour désigner la perruque + antithèse pour caractériser cet accessoire « épaisseur de cheveux étrangers » vs « qu’ils préfèrent aux naturels » |
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⇨ Le portrait physique des deux groupes d’individus témoigne une fois de plus de critiques aussi subtiles qu’acerbes sur la population du « pays » décrit. Qu’il s’agisse de femmes ou d’hommes, toutes et tous ont des points communs : le culte de l’apparence et la superficialité. | ||
3ème mouvement (l. 13-19) : le rapport des Courtisans à la religion et au roi | ||
« Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi : les grands de la nation s’assemblent... » « s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu’ils nomment église ; il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables ; » « les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers le roi, que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse pas de voit dans cet usage une espèce de subordination ; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. » | Usage de deux périphrases « ces peuples d’ailleurs » « les grands de la nation » + le pronom personnel pluriel « ils » utilisé dans la suite du texte. Verbe « avoir » dans « ont leur Dieu et leur roi » + déterminant possessif « leur » répété x2 : expriment la possession. Champ lexical de la religion omniprésent dans tout ce 3ème mouvement : « Dieu », « temple qu’ils nomment église », « autel », « mystères », « saints, sacrés, redoutables », « prêtres », « saints mystères », « à genoux », entremêlé à celui du pouvoir : « grands de la nation », « les grands », « le roi », « tribune », « subordination », « prince » x2 Indications de temps « s’assemblent tous les jours, à une certaine heure » et de lieu « dans un temple » + plusieurs propositions subordonnées : « un temple qu’ils nomment église », « un autel où un prêtre célèbre des mystères qu’ils nomment saints, sacrés et redoutables » - antithèse « dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères » VS « les faces élevées vers le roi » Deux hyperboles « tout l’esprit et tout le cœur appliqué » Parallélisme avec répétition du verbe « adorer » : « ce peuple paraît adorer le prince » // « et le prince adorer Dieu » Champ lexical de l’apparence, avec la présence de deux verbes modalisateurs : « semblent », « paraît ». |
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⇨ Le dernier aspect du « pays » décrit, le rapport des habitants à la religion, montre encore une fois l’absence de sincérité des individus, qui adoptent une posture bien éloignée des préceptes religieux. | ||
4ème mouvement (l. 19-20) : la fausse mise à distance du « pays » évoqué | ||
« Les gens du pays le nomment *** ; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons. » | Absence de nom propre : mot masqué par des astérisques Indications géographiques (« mer », « pôle ») Chiffres + unités de mesure de distance (« onze cent lieues de mer ») « Iroquois », « Hurons » : noms propres de tribus amérindiennes |
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Conclusion : La Bruyère fait donc une satire du monde de la Cour, en soulignant l’amoralité et l’absurdité qui la caractérisent, tout en faisant mine de rapporter, à la façon d’un ethnologue, les coutumes d’une société inconnue. La progression du texte va des travers des jeunes libertins aux postures face à la religion. L’auteur nous montre le Theatrum mundi qu’est la cour de Versailles, faite de faux-semblants, d’artifice et de paraître, il agit en moraliste, c’est-à-dire un écrivain qui réfléchit et porte un regard intellectuel sur les mœurs de ses contemporains. La critique est incisive, mais elle est sans aucun doute le reflet des excès de ses compatriotes.Ce procédé du détour par le regard de l’autre en littérature sera exploité par plusieurs philosophes des Lumières au siècle suivant : Voltaire dans L’Ingénu met en scène un Huron qui découvre la France sous Louis XV, et Montesquieu critique le fonctionnement des institutions françaises par l’intermédiaire de deux Perses dans Les Lettres Persanes.
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