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La Bruyère : « la comédie sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se mettre en scène ».

Dissertation : La Bruyère : « la comédie sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se mettre en scène ».. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  18 Mars 2022  •  Dissertation  •  2 807 Mots (12 Pages)  •  10 040 Vues

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Sujet : Selon Xavier Marton auteur d’une étude sur La Bruyère « la comédie sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se mettre en scène ».

      « Dans cent ans, le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes acteurs[…] tous auront disparu de la scène. Il s’avance déjà sur le théâtre d’autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles. […] ils s’évanouiront à leur tour […] de nouveaux acteurs (auront) pris leur place [...] (Chaque homme est) un personnage de comédie». La Bruyère au XVIIème siècle dénonce le théâtre joué par les êtres humains et introduit l’idée du theatrum mundi dans ce passage du chapitre « De la cour » de son œuvre Les Caractères. La Bruyère va utiliser cette métaphore filée du théâtre jusqu’à désigner les Hommes de « personnages de comédie » . Ainsi, les Hommes sont les acteurs d’une comédie, de la comédie sociale qui met en scène ces personnages dans le décor de leur vie quotidienne avec leurs préoccupations, leurs faiblesses, leurs ridicules. Cette comédie sociale décrite par La Bruyère dans Les Caractères est-elle une dénonciation ? La Bruyère ne forcerait-il pas les traits de caractères de ses personnages en les mettant en scène : selon Xavier Marton « la comédie sociale que dévoilent et dénoncent Les Caractères contraint chacun à se mettre en scène ». Mais qu’est-ce-que cette mise en scène  et comment elle s’opère ? Une personne qui se met en scène a conscience d’un public, et elle adapte son comportement en fonction de ce public, elle joue la comédie pour plaire ou déplaire. Nous nous demanderons donc si dans Les Caractères, La Bruyère contraint tous ses personnages à cette mise en scène. Nous verrons dans un premier temps que les caractères ne se mettent pas tous en scène, puis nous étudierons dans un second temps la majorité d’entre eux qui adoptent des comportements d’acteurs du jeu social. Enfin, les procédés littéraires de théâtralisation seront analysés.

     Dans les caractères, le peuple est exclu de la comédie sociale qui se joue à la cour, il ne se met pas en scène et consacre tout son temps à nourrir la cour et essayer de subsister. Comme le peuple ne peut se consacrer qu’à sa survie, il n’est pas inclus dans les enjeux de réputation ou d’argent qui font que la cour se transforme en théâtre. Dans son texte « de l’homme », La Bruyère décrit les conditions des paysans : « L’on voit certains animaux farouches, des mâles, et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ». Cette animalisation des paysans les distingue de l’artificialité de la cour, nature contre artifice. Plusieurs passages du chapitre « Des Grands » : « ce dernier (le peuple) me paraît content du nécessaire », « L’un (le peuple) ne se forme et ne s’exerce que dans les choses qui sont utiles » ; « Là se montre ingénument la grossièreté et la franchise » nous décrivent le comportement du peuple et son caractère utile et franc, qui est opposé aux comportements des nobles. Dans le dernier passage du chapitre, les mots : « franchise », « ingénument » sont utilisés pour appuyer sur le fait que le peuple en aucun cas ne cherche à jouer un rôle, qu’il fait tout sans prendre en compte un potentiel public. Tous ces exemples montrent bien que le peuple ne se met pas en scène, parce qu’il est trop occupé à survivre et qu’il doit se montrer utile et franc pour survivre : le peuple est même hors de la comédie sociale. Vis-à-vis du peuple la position de La Bruyère est claire, même s’il les animalise, il est avec le peuple. Il fait au cours des Caractères, l’éloge de celui-ci, car La Bruyère, qui critique tant la comédie sociale de la cour, a mis le peuple hors de la comédie sociale, en contre-exemple.

Le peuple n’est cependant pas le seul à ne pas se mettre en scène. La Bruyère nous peint dans le caractère de Gnathon, un bourgeois égoïste égocentrique. Dans ce caractère, Gnathon fait bien partie de la société dominante contrairement au peuple, mais il est isolé, inapte, incapable de jouer un rôle. Il représente l’être humain de type égocentrique qui ne pense qu’à lui. Dès la première phrase, le moraliste nous fait comprendre le défaut principal de Gnathon : «  Gnathon ne vit que pour soi ». Durant tout le chapitre qui lui est consacré, il se comporte comme s’il était seul au monde, étant concentré sur lui. Il va jusqu’à en oublier les autres : « tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’il n’étaient point ». Le comportement asocial de Gnathon est pourtant paradoxal, en oubliant que les autres vivent, il va oublier tous les codes sociaux et devenir malpoli, notamment à table : « il manie les viandes, […] le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe, […] il écure ses dents ». Alors qu’on pourrait penser que cet égoïsme le ferait passer inaperçu, à l’inverse, il se fait remarquer en étant dégouttant et malpoli. Gnathon se met donc en scène, mais d’une manière différente des autres caractères, il se transforme en acteur qui oublie son public, il est inconscient de l’effet qu’il a sur les autres. On pourrait plutôt penser que ce sont les gens autour de lui qui lui font jouer une scène. S’il était seul, il aurait sûrement le même comportement et le fait qu’il soit entouré ne le fait pas évoluer, ce qui est contraire aux moeurs du XVIIème siècle qui valorise la prise en compte des autres. Nous avons donc montré à travers les exemples du peuple et du caractère de Gnathon que tous les caractères de La Bruyère ne se mettent pas tous en scène, mais Les Caractères sont principalement une critique de la société de cour du XVII dans laquelle la plupart des courtisans se mettent en scène, notamment pour plaire au roi.

Dans ses caractères, La Bruyère nous dévoile un monde aristocratique, inégalitaire, hostile au peuple, et rempli de codes sociaux. Dans ce monde aristocratique, la majorité des personnages se mettent en scène, en se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas. La comédie sociale jouée par les nobles, est une comédie qui n’est accessible qu’aux personnes qui ont les moyens de la jouer. En dénonçant la cour, le moraliste souligne les défauts de celle-ci, comme l’égoïsme de certaines personnes ou leur hypocrisie.  Si certains Caractères ne sont pas contraints à se mettre en scène comme celui de Gnathon, la plupart des caractères de l’œuvre de La Bruyère sont des personnages qui, pour plaire, se mettent en scène. Alors que la société du XVIIème siècle est dominée par la noblesse, et quand le prestige et la réputation sont fondamentaux pour réussir à se hisser dans les milieux les plus élevés, l’esprit et la culture sont deux des qualités les plus importantes pour réussir. La Bruyère dans ses caractères décrit le monde aristocratique en se moquant de l’hypocrisie et l’apparence des conversations mondaines du XVIIème siècle. Dans les salons décris par le moraliste, la comédie sociale est omniprésente, les personnages hypocrites mentent sur leur savoir pour impressionner. L’auteur dénonce l’artifice des salons et de la conversation mondaine, pour cela il met en scène les personnages qui agissent comme s’ils s’adressaient à un public et s’adaptent en fonction des personnes avec qui ils parlent. Le portrait d’Arrias illustre bien la comédie sociale jouée. La mise en scène du personnage par La Bruyère apparait dès la première phrase : « Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi » : le verbe persuader indique qu’Arrias prend en compte son public et qu’il n’agit que pour convaincre les gens autour de lui. De plus dans la suite de la phrase « c’est un homme universel, et il se donne pour tel », l’utilisation de la locution verbale, « il se donne pour tel », souligne la vanité du personnage qui n’est intéressé que par l’opinion des autres sur son savoir. Il veut impressionner et être admiré. Arrias continue à se mettre en scène en monopolisant la parole dans une longue logorrhée, toute l’attention est portée sur lui et La Bruyère va durant tout le chapitre, pour faire ressortir le caractère pédant du personnage, accentuer ses défauts. Le caractère d’Arrias est une dénonciation de la comédie sociale, car La Bruyère raconte comment en mentant sur sa culture, son savoir du monde, et en essayant de se faire passer pour quelqu’un qu’il n’est pas, Arrias ne fait que se ridiculiser. Ainsi, Arrias fait croire avoir vu un ambassadeur, ce qui est faux, or, l’ambassadeur est présent à l’endroit où il raconte ses exploits. Le lecteur peut donc supposer que la supercherie d’Arrias va être révélée à son public. Et Arrias va donc être ridiculisé devant tous. En plus de décrire et critiquer la comédie sociale, La Bruyère prouve que cette dernière se retourne comme ceux qui la jouent.

Le passage du chapitre « Des Grands » est une comparaison entre le peuple et la noblesse. Durant ce passage La Bruyère dénonce le milieu aristocratique et nous fait le portrait d’un monde superficiel. Si La Bruyère dévoile un ensemble de caractères qui se mettent en scène, c’est parce qu’il décrit son époque dans laquelle les personnes pour exister devaient jouer une comédie. La personnalité d’Arrias par exemple, un homme pédant et menteur, comme l’abbé de Villecourt dans le film Ridicule, est typique du XVIIème siècle et de la cour, en se faisant passer pour cultiver et intelligent les Arrias et Villecourt espéraient être mieux considérés et admirés.

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