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Mme de Sévigné, « Lettre à M. de Pomponne », 1664

Fiche de lecture : Mme de Sévigné, « Lettre à M. de Pomponne », 1664. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoires

Par   •  19 Avril 2022  •  Fiche de lecture  •  1 441 Mots (6 Pages)  •  4 338 Vues

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Séance 10 : Lecteur linéaire 4

Mme de Sévigné, « Lettre à M. de Pomponne », 1664

I-Lignes 1 à 5 : Quand l’épistolière décrit ses contemporains

A) Le genre épistolière se signale clairement par :

 

-l'indication des noms de l'expéditrice et du destinataire via une adresse qui se détache en tête du texte : « De Madame de Sévigné à M. de Pomponne » ;

- les mentions de la date et du lieu de la rédaction « lundi 1er décembre 1664 » :

- la situation d'énonciation : une épistolière qui emploie la première personne du singulier et s'adresse à la deuxième personne du pluriel (« vous » de politesse et non destinataire multiple) ;

- l'utilisation du présent qui renvoie à l'ici et maintenant de la rédaction de la lettre : « Il faut que je vous conte »

B) Mme de Sévigné s’adresse à son destinataire d’un ton léger et badin, comme le souligne la connotation plaisante du verbe « conter » et l'utilisation du suffixe hypocoristique (= affectueux) « ette » dans « historiette », qui redouble sémantiquement l'effet de l'adjectif « petite ». Elle se propose de divertir M. de Pomponne, conformément à l'idéal classique « plaire et instruire » : il s'agira bien de délivrer un enseignement moral, mais par le prisme « plaisant du récit d'une anecdote de cour, d'une chose vue savoureuse et plaisante à rapporter.

C) la situation initiale est celle d’une journée ordinaire, à la cour du palais de Versailles, dans l'entourage immédiat du roi Louis XIV. On peut faire référence au genre des mémoires car ce récit repose sur une anecdote historique, survenue à la cour (comme l'attestent les indications temporelles « depuis peu », « l'autre jour », « un matin »; les références à Louis

XIV et à des courtisans nommément désignés « MM. de Saint-Aignan et Dangeau », « maréchal de Gramont » ; le sujet, à savoir les divertissements mondains couramment pratiqués à Versailles : « des vers », « petit madrigal »), mais qui ne comporte, de la part de

la rédactrice, aucun élément autobiographique.

II-Lignes 5 à 17 : Un dialogue digne d’une scène de comédie

A) Au lieu de rapporter, de manière indirecte et en l’intégrant à son récit, l'entretien qui a eu lieu entre le roi et son courtisan, l'épistolière le donne à lire à son destinateur tel quel, ou prétendu tel, à travers un bref dialogue direct. Ce choix du dialogue direct se signale par les guillemets, l'utilisation du présent (alors qu'il s'agit d'un événement révolu : « je suis ravi »), l'interpellation directe et l'injonction (« Monsieur le maréchal, je vous prie, lisez »), les exclamations (« Oh bien ! », « Ah ! Sire, quelle trahison ! »), les questions directes (« Ah ! Sire, quelle ! ») ... qui donnent à cette histoire un caractère très vivant.

B) Mme de Sévigné emprunte au théâtre :

  • Le comique de situation : le roi, en ne révélant pas le nom de l’auteur du madrigal, a joué un mauvais tour à son courtisan, qui s’est laissé duper, à la grande joie de tous ses complices (les courtisans qui assistent à la scène) et du lecteur ; - le comique de caractère il s'agit ici de montrer le ridicule d'un type fréquemment rencontré à la cour, le flatteur hypocrite dont le maréchal est la parfaite incarnation ;

  •  le comique de mots : les mots employés par le maréchal railleur, hyperboliques, font        rire lorsque l'on sait, comme c'est le cas du lecteur, qui ils visent en réalité, à l'insu de celui qui les profère : « il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu »; on peut rire aussi de la réaction du piégé, lorsqu'il réalise l'étendue de sa maladresse et qu'il essaie, en vain, de se rattraper : « Sire, quelle trahison I Que votre majesté me le rende; je l'ai lu brusquement. »

C) L’épistolière joue encore ici du dispositif théâtral puisqu’elle reprend le bon fonctionnement du quiproquo et de la double énonciation : le lecteur, qu’il s’agisse de M. de Pomponne ou du lecteur contemporain, est mis au courant d’emblée de la vérité : « il fit l’autre jour un petit madrigal », seul le personnage cible de la mauvaise farce ignore ce qui se joue en réalité. Le piège est parfaitement retors : outre le fait que le roi ne révèle pas à son courtisan l'auteur véritable de ce texte, qu'il désigne du pronom indéfini « on », ce qui s'apparente bel et bien à un mensonge de la part du souverain (« lisez ce petit madrigal, [.] on m'en apporte de toutes façons »), le roi laisse entendre que le poème est de fort mauvaise qualité (« un si impertinent », « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat ? ») à un courtisan forcément désireux de lui plaire, et qui, de fait, partage l'avis du roi (« que lui-même ne trouva pas trop joli ») : le maréchal n'a en réalité pas menti. Le roi ne laisse que très peu de marge de manœuvre à celui qui dépend entièrement de lui

III-Lignes 17 à 22 : La portée réflexive de ce court apologue

A) La situation finale montre le roi riant (« Le roi a fort ri de cette folie ») en complicité avec les témoins de cet échange et l’humiliation du maréchal de Gramont (« voilà la plus cruelle petite chose que l’on puisse faire à un vieux courtisan »). La narratrice ne précise pas si le roi, en toute honnêteté, ajouta que le madrigal en effet était bien mauvais et que lui-même n'en était pas fier ; sans doute n'en a-t-il rien fait. Aucune information n'est donnée non plus sur la suite : quel comportement le maréchal a-t-il adopté ensuite ? A-t-il fait les frais de ces moqueries longtemps à la cour ? Est-il tombé en disgrâce ? Derrière la plaisante anecdote, c'est toute la cruauté d'un système (en témoigne l'hyperbole « la plus cruelle petite chose » associée à la précision concernant la vieillesse du maréchal, cible facile) savamment orchestré par le roi Louis XIV qui transparaît : il est bel et bien souverain absolu, indépendamment de toute notion de morale.

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