Rabelais, Gargantua, chapitre 6
Commentaire de texte : Rabelais, Gargantua, chapitre 6. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar villardani • 28 Juin 2023 • Commentaire de texte • 2 112 Mots (9 Pages) • 2 292 Vues
- Lecture linéaire n°2 : Rabelais, Gargantua, chapitre 6
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 | [Peu de temps après, elle commença à soupirer, à se lamenter et à crier. Soudain, une foule de sages-femmes vinrent de tous côtés. Et la tâtant par le bas, trouvèrent[1] quelques morceaux de peau, d’assez mauvais goût, et elles pensaient que c’était l’enfant, mais c’était le fondement[2] qui lui échappait à cause du ramollissement de l’intestin de droite que vous appelez le boyau culier[3], parce qu’elle avait mangé trop de tripes, comme nous l’avons expliqué ci-dessus. [Donc une repoussante vieille de la compagnie, qui avait la réputation d’être une grande guérisseuse, et qui était venue là soixante ans auparavant de Brisepaille près de Saint Genoust[4], lui fit un restrictif[5] si horrible, que tous ses trous en furent si étranglés et resserrés que vous les auriez à grand peine élargis avec les dents - ce qui est une chose bien horrible à penser –, à la façon dont le diable écrivant le caquet de deux commères à la messe de la Saint Martin, allongea son parchemin[6].] [Par cet inconvénient, furent au-dessus relâchés les côtés de la matrice[7], par lesquels l’enfant sursauta ; il entra dans la veine creuse[8], et grimpant par le diaphragme[9] jusqu’au dessus des épaules (où ladite veine cave se partage en deux) prit son chemin à gauche et sortit par l’oreille gauche. Dès qu’il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants « Mies, mies », mais à voix haute s’écriait « à boire, à boire, à boire », comme s’il invitait tout le monde à boire, si bien qu’il fut entendu dans tout le pays de Beauce[10] et de Vivarais[11].] [Je me doute que vous ne croyez absolument pas cette étrange naissance. Si vous ne la croyez pas, je m’en fiche, mais un homme de bien, un homme de bon sens, croit toujours ce qu’on lui dit et qu’il trouve par écrit.] |
L1 à 10 : Les premières douleurs de l’accouchement
L11 à 17 : La naissance atypique de Gargantua
L18 à la fin : l’intervention ironique de Rabelais
L’enjeu du texte : comme à son habitude, Rabelais nous fait osciller entre le burlesque de cette naissance et la leçon sur le dogmatisme.
Comment le récit de cette naissance burlesque livre-t-il un message très sérieux ?
1er mouvement L1 à L10 : Les premières douleurs de l’accouchement
[Peu de temps après, elle commença à soupirer, à se lamenter et à crier. Soudain, une foule de sages-femmes vinrent de tous côtés. Et la tâtant par le bas, trouvèrent[12] quelques morceaux de peau, d’assez mauvais goût, et elles pensaient que c’était l’enfant, mais c’était le fondement[13] qui lui échappait à cause du ramollissement de l’intestin de droite que vous appelez le boyau culier[14], parce qu’elle avait mangé trop de tripes, comme nous l’avons expliqué ci-dessus.
L’extrait s’ouvre sur une gradation montrant les souffrances de la mère L1 et l’arrivée de nombreuses sages-femmes L2
Le récit respecte donc les étapes habituelles de l’accouchement. On a un registre réaliste : nombreux détails anatomiques = CL du corps « le bas »L2, « fondement »« L3 l’intestin de droite »,L4 « culier »L4, « boyau »L4. Rappelle que Rabelais était médecin.
Pourtant, ce registre réalisme se teinte de grotesque, comme le montre le recours au terme argotique : «culier ». Le comique est lié aux références scatologiques. Ce qui s’annonçait comme un accouchement est en fait une diarrhée dont le dévoilement est progressif : il est question de « quelques morceaux de peau d’assez mauvais goût ».
« d’assez mauvais goût » peut se référer aux sages-femmes qui ont confondu deux orifices du corps humain.
L’énorme diarrhée : « le fondement lui échappait » L4. Le verbe « échapper » donne une image évocatrice. Explication médicale : Gargamelle a mangé « trop de tripes » L5. Cette explication permet de placer le lecteur dans une situation de réflexion avec la possibilité de placer cette scène grotesque comme une conséquence logique. « Comme nous l’avons expliqué » L5 : insiste sur la dimension explicative.
2ème mouvement L11 à L18 : intervention de la vieille et naissance de Gargantua
« Donc une repoussante vieille de la compagnie, qui avait la réputation d’être une grande guérisseuse, et qui était venue là soixante ans auparavant de Brisepaille près de Saint-Genoust, lui fit un restrictif si horrible, que tous ses trous en furent si étranglés et resserrés que vous les auriez à grand peine élargis avec les dents - ce qui est une chose bien horrible à penser –, à la façon dont le diable écrivant le caquet de deux commères à la messe de la Saint-Martin, allongea son parchemin.»
intervention d’une sage-femme que le narrateur décrit
. physique : « une repoussante vieille » L6 . laideur et vieillesse sont soulignés. Puis éloge de ses compétences professionnelles : « grande guérisseuse » L5/6, du moins de « réputation » ; rappelle de ne pas s’en tenir à la rumeur. Le passé de débauchée : « de Brisepaille près de Saint-Genoust » : débauche : elle est celle qui a longtemps brisé la paille avec ses genoux = s’adonner à l’acte sexuel… nouveau va-et-vient entre sérieux et grotesque. Elle prescrit un remède inattendu à Gargamelle. l’adjectif qualificatif « horrible » L8 renforcé par l’adverbe d’intensité « si » L8. La réputation donnée par rumeur est fausse puisqu’au lieu de comprendre que Gargamelle accouche, elle soigne sa diarrhée. Nécessité d’être critique vis-à-vis des rumeurs. Ainsi, derrière la fantaisie, il y a la satire : la plus renommée des sages-femmes est aussi incompétente que les autres…
Les effets du remède : encore dimension scatologique. Gargamelle devient constipée : « ses trous en furent si étranglés et resserrés que vous les auriez à grand-peine élargis avec les dents – ce qui est une chose bien horrible à penser » L9. L’image frappante qui place le lecteur en spectateur. Le pronom « vous » L8 le place en situation inconfortable… d’autant + que insistance avec une proposition en incise (-….-) qui souligne cette situation inconfortable
fin de phrase : référence à une légende (le diable entreprend, durant une messe célébrée en l’honneur de Saint Martin, de prendre en note tous les bavardages de deux femmes et n’ayant pas assez de papier pour le faire, il doit étirer son parchemin avec les dents pour faire de la place sans cesser d’écrire pour ne rien perdre des commérages). De nouveau, le comique et la fantaisie s’imposent mais il y a un glissement : il s’agit tout autant d’un comique basé sur le scatologique que d’un comique de connivence, culture commune entre Rabelais et le lecteur. Satire de la femme.
« Par cet inconvénient, furent au-dessus relâchés les côtés de la matrice, par lesquels l’enfant sursauta ; il entra dans la veine creuse, et grimpant par le diaphragme jusqu’au-dessus des épaules (où ladite veine cave se partage en deux) prit son chemin à gauche et sortit par l’oreille gauche »
Gargamelle a les effets du médicament .L12/13/14/15 euphémisme « inconvénient» L12. L’accouchement empêché et le trajet de l’enfant difficile.
Le registre est réaliste. CL du corps humain permet l’évocation du parcours de Gargantua à l’intérieur du corps de sa mère : allures de traité d’anatomie paradoxe entre le comique lié à la constipation et le savoir médical, même si l’accumulation de termes savants est fantaisiste.
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