Faut-Il Interdire Le Cumul Des Mandats?
Dissertations Gratuits : Faut-Il Interdire Le Cumul Des Mandats?. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoiresde suite à la même fonction. Bien que nombreux soient ceux qui cumulent des mandats électifs au niveau local, la forme de cumul la plus visible concerne celle qui articule mandats nationaux et locaux. Comme le titre de son article l’indique, Gunilla Björner se prononce clairement en faveur de l’interdiction du cumul des mandats pour les députés, arguant du fait qu’une telle pratique a des effets néfastes pour la démocratie en contribuant à centraliser le pouvoir, et empêchant le renouvellement du personnel politique et en éloignant les parlementaires de la tâche pour laquelle ils ont été élus. L’auteur note également que ce phénomène est spécifique à la France et qu’il met en danger l’avenir de notre démocratie, se joignant ainsi aux nombreuses voix qui, à l’image du député René Dosière qui ponctue toutes ses interventions à l’Assemblée Nationale par l’expression « Delenda est cumulatio », se prononcent en faveur de l’interdiction du cumul des mandats. Pourtant, la pratique du cumul n’est pas interdite par la loi (sauf dans certaines situations) et les élus « cumulards » sont choisis démocratiquement par les électeurs, le plus souvent en connaissance de cause. Ainsi, la figure du député-maire est socialement parlante et souvent appréciée des électeurs qui y voient un moyen de rapprocher leurs intérêts locaux du pouvoir de décision central. En quoi la France, « championne du monde du cumul », pâtit-elle véritablement du cumul des mandats ? L’interdiction du cumul, souhaitée par G. Björner et nombre d’observateurs de la vie politique, est-elle souhaitable et réalisable ?
Nous analyserons d’abord la nature et les effets du cumul des mandats, avant d’étudier la faisabilité d’une telle réforme.
I) Le cumul : une exception française utilisée comme un outil stratégique par les élus
Comme le montre Gunilla Björner, le cumul des mandats est un phénomène en constante expansion particulièrement répandu dans notre pays. La pratique de ces professionnels de la politique ne semble pas favoriser le fonctionnement de notre démocratie et les raisons le plus souvent évoquées par les « cumulards » ne sont guère convaincantes. Il apparaît qu’en l’absence de législation la matière, le cumul est devenu un véritable outil de stratégie politique que les élus n’hésitent pas à utiliser.
1) Un phénomène en expansion aux effets manifestement néfastes.
Si le cumul des mandats est une exception française, il n’est pas une fatalité hexagonale. Alors même qu’il semblait que la démocratisation du personnel politique augmentait depuis la fin du XIXème siècle, les quarante dernières années montrent que les élus monopolisant plusieurs mandats simultanément sont de plus en plus nombreux. Les chiffres avancés par l’auteur montrent bien l’ampleur du phénomène : 81 % des sénateurs et 85% des députés français cumulent leur état de parlementaire avec un autre mandat électif. Cette situation est effectivement remarquable en comparaison avec les autres grandes démocraties européennes qui, généralement, ne comptent pas plus de 15% de députés cumulant plusieurs mandats. Le cumul y est soit interdit par la loi comme en Italie, soit inexistant en pratique, comme en Angleterre et lorsqu’il existe, il ne touche que la Seconde Chambre. Cette différence ne peut toutefois être considérée comme une exception culturelle dans la mesure où le cumul des mandats n’a pas toujours été la règle en France. D’un point de vue historique, le cumul des mandats a connu un développement exponentiel depuis la IIIème République, et plus particulièrement depuis la fin des années 1970 : les députés cumulant un autre mandat électif étaient 35% en 1936, 42% en 1956, 51% en 1958 et 89% en 1998.[1]
A première vue, cette forte augmentation semble paradoxale. Comme l’a montré l’analyse de Max Weber, au XIXème siècle les activités politiques étaient réservées aux notables qui étaient dotés du temps et des ressources matérielles nécessaires pour s’intéresser aux affaires de la cité.[2] Il était alors compréhensible que ces notables cumulent mandats locaux et nationaux afin de rapprocher les collectivités territoriales de Paris en l’absence de moyens de communication développés, ce qui peut expliquer l’ampleur de ce phénomène sous la Monarchie de Juillet. L’apparition du professionnel de la politique repose sur la possibilité nouvelle au début du XXème siècle de faire de la politique un métier grâce à l’apparition de partis politiques et de la structuration du champ politique qui sont à l’origine de la création de nombreuses fonctions politiques qui nécessitent un investissement à temps plein. Cette professionnalisation de la politique est censée pousser les élus à se consacrer pleinement à l’exercice de leurs mandats, d’autant plus que les enjeux et les problèmes politiques sont de plus en plus complexes. Toutefois, le phénomène de cumul des mandats semble indiquer une dynamique contraire : celle de la « notabilisation » des professionnels de la politique. Ainsi, un véritable jargon d’inspiration féodale est apparu autour des cumulards qui sont parfois qualifiés de « barons locaux » et qui préfèrent parler de « fief » plutôt que de circonscription. Ainsi, le politologue Jean-Luc Parodi estime que le cumul était utile avant la décentralisation pour s’opposer à Paris, mais depuis les cumulards sont devenus de vrais barons. En effet, le processus de décentralisation qui s’est accompagné d’un transfert de compétences au profit des collectivités territoriales ainsi que les récentes tentatives visant à renforcer le rôle du Parlement auraient du pousser les élus à se contenter d’un seul mandat afin d’honorer pleinement des pouvoirs élargis. Ainsi, le rapport « Vivre Ensemble » de D. Guichard en 1976 affirmait déjà que « le cumul des mandats et des fonctions est parfaitement contraire à une France décentralisée ». Encore une fois, il n’en a rien été, puisque le plus souvent, les mandats électifs nouvellement créés ont fait l’objet de convoitises d’élus désirant accumuler des mandats supplémentaires. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’auteure soit aussi virulente à l’encontre de cette propension des élus à s’accaparer plusieurs mandats et à se comporter comme des notables en politique. En effet, l’Institut Montaigne se dit réformateur et milite en faveur d’une modernisation et d’une rationalisation du fonctionnement de nos institutions démocratiques. Selon G. Björner, le cumul des mandats n’est pas juste une entorse aux idéaux de la représentation démocratique, ce phénomène serait fondamentalement néfaste et dangereux.
Selon la directrice de recherche du think tank, le cumul des mandats entrave le renouvellement du personnel politique tout en favorisant la centralisation du pouvoir, mais la conséquence la plus néfaste consisterait en un déséquilibre institutionnel dont bénéficierait l’Exécutif. Ses critiques se dirigent en effet vers la conséquence la plus visible du cumul des mandats : l’absentéisme parlementaire qui menacerait l’équilibre des pouvoirs en France. La grande majorité des parlementaires français sont également à la tête d’exécutifs locaux, ce qui ne leur permet pas toujours d’assister aux sessions parlementaires ou de se consacrer pleinement aux travaux parlementaires, alors même qu’ils sont chargés de légiférer et de contrôler l’action du gouvernement. Par conséquent, le Parlement paraît affaibli par rapport à un Exécutif puissant et toujours présent. Ainsi, le sénateur-maire de Lyon Gérard Collomb reconnaît aisément qu’il passe beaucoup plus de temps à Lyon qu’au Sénat. Outre ce déséquilibre institutionnel, l’auteur évoque la centralisation du pouvoir et le frein au renouvellement de la classe politique et se montre ainsi fidèle aux propositions de l’Institut Montaigne qui a publié plusieurs travaux en faveur du développement de la démocratie locale et d’une plus grande mobilité sociale du personnel politique. Outre ces trois critiques présentes dans le texte, la littérature anti-cumul abonde d’exemples de dysfonctionnements dus à la pratique du cumul des mandats.
Il existe ainsi d’autres critiques majeures d’ordre institutionnel : la plupart des parlementaires sont simultanément à la tête d’exécutifs locaux, ce qui n’est pas conforme au principe de séparation des pouvoirs, puisque ces « cumulards » sont à la fois membres des corps législatif et exécutif. De plus, la situation de cumul de fonctions locales et de celle de député pousse trop souvent les élus à privilégier des intérêts locaux au détriment de ceux de la Nation alors même qu’ils sont élus au nom de celle-ci et sont censés en être garants, comme en témoigne l’extrême difficulté qu’il y a à réformer les collectivités territoriales alors même qu’une clarification des compétences et des financements leur permettrait de gagner en visibilité et en clarté. Cette dérive « localiste » semble donc nuire gravement à la qualité de la loi dans la mesure où les députés abordent généralement les problématiques nationales à travers le prisme d’éventuelles retombées positives ou négatives sur leur territoire. Enfin, il existe également une dérive d’irresponsabilité dans la mesure où certains élus n’ayant pas le temps d’exercer les mandats pour lesquels ils ont été élus abusent de la délégation de signature, transférant
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