Le numerus clausus des droits réels
Dissertation : Le numerus clausus des droits réels. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Amelk • 27 Mars 2024 • Dissertation • 4 156 Mots (17 Pages) • 260 Vues
Dissertation
Sujet : Le numerus clausus des droits réels
« Le droit réel de jouissance spéciale continue d'être cet outil juridique non identifié dont la caractérisation fait défaut. »[1].
Le contentieux lié à la thèse du numerus clausus s’est en effet cristallisé sur le caractère temporaire des droits réels sur la chose d'autrui, à savoir la durée, ainsi que sur l’affranchissement du délai impératif de 30 ans par application des articles 619 et 625 du Code civil qui plafonnent la durée d'un usufruit ou d'un droit d'usage dont le bénéficiaire est une personne morale. Bien qu’il semblait avoir lieu une véritable révolution quant au vaste débat de l’existence d’un numerus clausus des droits réels, et plus particulièrement à la possibilité d’envisager un droit réel de jouissance spéciale ad perpetuam, la Cour de cassation demeure toutefois silencieuse en s’exemptant d’une véritable prise de position quant à ladite question.
Par ailleurs, au XIX siècle, la doctrine était également divisée au regard de l’article 543 du Code civil qui a pu servir de prétexte afin de tenter d’enraciner cette thèse du caractère limitatif de la liste des droits réels en absence de portée normative. Cet article fait ainsi mention d’une liste composée de plusieurs droits réels, une notion doctrinale, où l’on y trouve les droits dits de jouissance que sont l’usufruit, le droit d’usage, d’habitation, ainsi que les servitudes, avec les services fonciers. Pour rappel, le droit réel est une notion doctrinale portant sur la chose d’autrui conçu comme un outil juridique permettant de partager les usages d’un bien entre le titulaire dudit droit et le propriétaire. C’est en outre par cet article que le débat a commencé à se cristalliser et animer la doctrine civiliste française, puisque les auteurs et législateurs se sont demandés si la liste des droits réels donnée par ledit article était limitative ou non. Dans le cas d’une réponse affirmative, seuls les droits cités pourraient être susceptibles d’être admis et en seraient le contenu d’un numerus clausus des droits réels. A contrario, les personnes auront la possibilité de créer des droits réels nouveaux.
De nombreux auteurs de l’époque craignaient, ainsi, en conséquence de cette liberté des démembrements spectaculaire de la propriété, entre, notamment 1800 et 1850, la restauration de la société féodale de l’Ancien droit[2]. À cette époque, il était ardu de se repérer dans ce « millefeuille »[3] de dispositifs.
Cette notion des démembrements du droit de propriété est régie initialement par l’article 544, 578 et suivants du Code civil et consiste, entre autres, « à attribuer à des personnes différentes les éléments constitutifs de la pleine propriété d’un bien : l’usufruitier et le nu-propriétaire »[4]. Le premier est le droit d’utiliser le bien en y habitant par ou bien encore d’en percevoir les revenus par l’encaissement des loyers lorsque le bien est loué. Le second est quant à lui le droit de disposer du bien, de le transformer et voir même le détruire pour le reconstruire. Lorsque que ces deux droits distincts sont exercés par des personnes différentes, on parle dans ce cas de démembrement de propriété, où chacune de ces personnes ne pouvant disposer du bien sans l’accord de l’autre. Effectivement, en ôtant une voire plusieurs des utilités (usus, fructus, abusus) au propriétaire de la chose dans le but de le ou les faire bénéficier à un tiers, on vient y démembrer la propriété et le tiers bénéficiaire, qui est titulaire d’un droit qui s’exerce directement sur la chose, est désormais investi d’un droit qualifié de droit réal démembré.
En outre, au regard du caractère limitatif de la liste des démembrements du droit de propriété issu de l’article 544 du Code civil de 1804, les droits réels innommés engendrés par cette fragmentation du droit de propriété ne peut évidemment pas être mêlés intimement aux principaux droits réels.
Tandis que la jurisprudence n’a néanmoins jamais consacré la thèse du numerus clausus, le débat quant à la possibilité de créer un droit réel de jouissance spéciale à titre perpétuel n’est toujours pas tranché.
Dans cette perspective, nous étudierons la question suivante : le rejet du numerus clausus en droit des biens constitue-t-il un dépassement sans dénaturation de la propriété civiliste française ? En outre, la reconnaissance de droits réels innommés port-elle atteinte à cette propriété civiliste française ?
Nous prêterons attention à la fragmentation du droit de propriété dans la sphère conceptuelle du droit des biens justifiée par l’affaissement du numerus clausus des droits réels, et par le concept de fragmentation du droit de propriété comme un outil intellectuel marqué du sceau de la liberté contractuelle (I), pour finalement s’intéresser à une doctrine et jurisprudence divisée et balançant(e) quant à la question de la perpétuité des droits réels innomés et les limites liées aux justifications du numerus clausus des droits réels. (II)
- Une fragmentation du droit de propriété dans la sphère conceptuelle du droit des biens : la théorie du numerus clausus des droits réels, un mythe dépassé
Cette fragmentation du droit de propriété est justifiée, d’une part, au regard de l’affaissement de la théorie du numerus clausus des droits réels du fait que la pratique soit plus encline à la confection de droit réel nouveau (A). D’autre part, par le succès du principe directeur du droit privé contemporain, à savoir la liberté contractuelle, qui apparaît comme un outil précieux dans le conflit opposant le droit des biens au droit des obligation, entre droit réel et droit personnel (B).
- L’affaissement de la théorie du numerus clausus des droits réels
L’exemple premier mettant en exergue l’effondrement de la théorie du numerus clausus des droits réels principaux s’illustre au travers de la jurisprudence. L’interprétation de l’article 543 du Code civil de 1804 finalement retenu est en effet le caractère plutôt non limitatif de la catégorie des droits réels principaux. À l’origine, le contraire était de mise puisque seuls les droits cités pouvaient être susceptibles d’être admis par le biais de cet article, ces droits énumérés semblaient être le contenu du numerus clausus des droits réels. Cette opinion née d’ailleurs autour du XIXème siècle en s’installant dans l’esprit des juristes. Pour autant, on en a fait aujourd’hui, de cet article, une lecture analytique approfondie qui a permis d’en déduire une disjonction inclusive avec l’emploi du « ou » : « On peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre. ». Il est donc entendu par la que les éléments évoqués et mis en conjonction dans l’article 543 du Code de Napoléon peuvent coexister ou même s’affranchir, et ces éléments précités n’en seraient finalement que des exemples d’un point de vue grammatical. Le professeur de droit privé et science criminelle Romain Boffa soutient d’ailleurs sans ambiguïté que qu’il n’y a pas de numerus clausus des droits réels.
Le fait d’écarter cette thèse du numerus clausus souligne le besoin certain, à l’époque, d’un rajeunissement du droit des biens, où la fragmentation du droit de propriété se prône comme une alternative.
L’autre point pouvant éclaircir cet abandon du numerus clausus des droits réels est sa mise à l’écart dans son application aux droits réels accessoires, en raison de réformes successives du droit des sûretés. Celles-ci ont conduit à reconsidérer la rigidité de l’application potentiel du numerus clausus à cette catégorie qu’appartiennent les garanties réelles, et qui sont favorable à l’apparition de nouvelle institution. Pour rappel, les sûretés réelles sont à distinguer des sûretés personnelles, puisque les premières confèrent à leur titulaire un droit réel sur le bien affecté en garantie. A contrario, les sûretés personnelles confèrent à leur titulaire un droit personnel contre le débiteur de l’obligation principale.
Bien qu’initialement, le numerus clausus des droits réels s’illustrait comme une théorie inspirant de la stabilité au sein du droit des biens, cette théorie subie finalement la volonté des praticiens à confectionner des droits réels autres que ceux expressément prévus par l’article 543 du Code civil de 1804.
Le rejet de cette théorie implique alors de rechercher d’autres techniques juridiques en adéquation permettant de justifier la création potentielle de droits réels nouveaux. La doctrine s’y retrouve apriori dans la technique juridique de la fragmentation du droit de propriété. En effet, la catégorie des droits réels principaux a également engendré la théorie des démembrements de propriété, consistant en un détachement des droits réels pour en concéder certains attributs à d’autres que le propriétaire lui-même, sans toutefois en modifier l’unité de la propriété en elle-même. Cette notion du démembrement du droit de propriété s’est révélée être néanmoins impropre, puisqu’elle rend compte de certaines dérivées du droit de propriété. Cette technique donne en effet naissance à des diminutifs du droit de propriété. Quant à la technique juridique de la fragmentation, celle-ci semble conduire à une édification de droits réels plutôt dit indépendants, puisqu’en revanche, cette technique juridique n’amoindrit pas le droit de propriété dès lors que le propriétaire demeure détenteur de l’intégralité de ses prérogatives. Pour rappel, le droit romain a consacré les pleins pouvoirs du propriétaire sur la chose en lui conférant trois prérogatives, bien que seulement deux ressortent de l’article 544 du Code civil ; le fructus (jus fruendi), le droit d’exploiter la chose et d’en percevoir des revenus ; l’abusus (jus abutendi), le droit de disposer de la chose ; et la dernière qui ne figure pas dans cet article, l’usus (jus utendi) par le droit d’utiliser la chose ou a contrario de ne pas user son bien.
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