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Montage, Technique Et Discours

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échéant, au texte romanesque ? L'usage de divers procédés techniques ajoute-t-il du sens ? Telles sont les problématiques qu'il convient de déployer ici. On commencera par l'analyse du début et de la fin du film, ce lieu stratégique de la narration.

1. DÉBUT ET FIN DU FILM : La thèse de Sembène

Si le montage est d'abord agencement de plans et rapport entre ceux-ci, puis dispositions de séquences, on pourrait se demander ce qui motive l'ordonnancement syntaxique d'un film. Autrement dit, pourquoi le film commence-t-il par une séquence et non une autre? Peut-on en effectuer une lecture?

Xala, par sa seule disposition syntaxique, énonce dès la première séquence la thèse essentielle qui émaille tout le roman : l'indépendance est, plus que l'affliction d'une farce juridique, un ensemble d’impuissances multiples. Elle marque surtout la naissance dans les pays colonisés d’un personnel parasite, de groupuscules de jouisseurs à qui les maîtres d'hier jettent en pâture les patrimoine et destin nationaux.

En effet, dès la séquence liminaire, quelques individus, d’allure paysanne, sortes de clochards échappés d'un taudis voisin, sortent de la foule et gravissent fièrement les marches de l’immeuble de la Chambre de commerce filmée en contre-plongée : c’est l'amorce d'une ascension sociale, du rapprochement du pouvoir qui est ainsi présentée. Le même mouvement de caméra les montre levant les mains, signe de victoire, à la suite de l’« expulsion », des colons. Après le départ un peu caricatural des deux Français officiant à la Chambre, les nouveaux occupants réapparaissent au plan suivant, enveloppés dans les mêmes costumes qu'arboraient leurs prédécesseurs. Pendant que des foules hystériques pavoisent bruyamment pour célébrer le départ des maîtres, lesquels reviennent pourtant bientôt, elles ignorent tout du cirque qui se joue à l’intérieur.

Le nombre de personnes devant officier à la Chambre a plus que doublé : de trois, les indigènes le portent à huit. Connaissant sans doute le milieu, Dupont, l'ancien président de la Chambre, et ses collaborateurs resurgissent après quelques instants avec des mallettes pleines d'argent. On peut observer les différents membres contemplant avec un bonheur mal contenu les liasses de billets de banque serrées dans les sacs. Paradoxalement, toutes ces images se succèdent pendant que la voix du nouveau président de la Chambre tient un discours sur la révolution qu'apportent les indépendances : l’africanisation des cadres, la réappropriation du patrimoine national. Voici un extrait :

Nous devons prendre ce qui est à nous, ce qui nous revient de droit. Nous devons contrôler notre industrie. Face à notre peuple, nous devons montrer que nous sommes capables comme tous les autres peuples du monde. Nous sommes des hommes d’affaires. Nous devons prendre toutes les directions, les banques comprises. Notre marche est irréversible. C'est l'aboutissement de notre lutte pour l’indépendance. [...] Nous optons pour le socialisme, le seul vrai socialisme, la voie africaine du socialisme, le socialisme à hauteur d'homme. Notre indépendance est complète. (Extrait de Xala.)

La synchronisation image-son est d'une ironie cinglante et marque l'abîme qui a toujours existé, en Afrique, entre le discours politique et son exercice quotidien. Cette appropriation, cette égalité avec « tous les autres peuples du monde », se déploieront de manière précise pendant le déroulement du discours du nouveau président : des mallettes pleines d'argent distribuées à tour de rôle à chacun des nouveaux membres, lesquels, dès lors, affichent une certaine hilarité caractéristique de la jubilation d’accumuler pendant longtemps des biens matériels. Le prétendu « socialisme » qui, sur le continent, fraye la voie à de nouveaux monstres, est pire que l'expression d’une oppression durable : il est le signe de la naissance d'une bourgeoisie parasitaire, revancharde, dont le but unique, brillamment mis en scène par Sembène Ousmane, est l'enrichissement illicite et rapide. Le roman l'exprime de manière plus nette. Le discours du président y est rapporté à la troisième personne, avec une ironie précise de la part du narrateur qui dit explicitement ce qui est seulement implicite dans le film:

[...] [L]eur manque d'avoir bancaire avivait, aiguisait un sentiment nationaliste auquel ne manquait pas quelque rêve d'embourgeoisement. […] La nomination de l'un des leurs à ce poste de président de la Chambre de commerce les faisait espérer. Pour ces hommes réunis ici, c'était plus qu'une promesse. Pour eux, c'était la voie ouverte à un enrichissement sûr. Un accès aux affaires économiques, un pied-dans le monde des finances, et enfin, la tête hautement levée. Ce qui hier était un rêve pour eux, aujourd'hui se réalisait. L'acte de ce jour aurait toute sa portée dans les jours à venir. (P. 8.)

La colonisation et ce qui lui succède n'est rien moins qu'un pillage massif, la passation consiste en fait, nous dit Fanon et on le voit

Avec le film de Sembène Ousmane, à « nationaliser le vol de la nation » (1968 : 16). Une fois de plus, l'Afrique s'illustre par sa capacité à singer, jusqu'au grotesque le plus tragique, comme c'est le cas avec cette caricature du socialisme, les aspects pervers des restes idéologiques imposés par l'Occident. Ainsi, essentiellement parasite et jouisseuse, la bourgeoisie naissante en scène dans cette séquence liminaire est-elle exactement le contrepoint de la bourgeoisie occidentale qui est facteur de développement.

On comprend donc que, dans Xala, pour célébrer la prise en mains du destin national, les membres de la Chambre soient invités à une cérémonie de mariage. C'est que l'avènement des indépendances a donné naissance à une interminable ruée épicurienne fondée sur le sexe, l'argent et la nourriture. Avec le plaisir pour seule idéologie et pour tout projet politique.

2. LES RAPPORTS ENTRE PLANS ET SÉQUENCES

Définissant le montage dans un de ses films, Eisenstein écrit:

« De fait, ces images vues uniquement sous l'angle du dramatique et de l’anecdotique auraient pu être assemblées dans n’importe quel ordre. Mais sans aucun doute, la montée de la composition qui les traverse ne se serait affirmée alors dans la rigueur continue de sa construction. (197 6 : 108.)

Cela indique qu'aucun arrangement n'est gratuit, mais aussi que tout, jusqu'au moindre détail, « signifie ». Le montage tient toujours lieu de programme, explicite ou non, mais repérable dans les effets qu'il produit en ses proximités et ses écarts.

Dans XaIa, la dramaturgie est beaucoup plus l'expression d'une opposition presque manichéenne : riches-pauvres, vertueux-crapules. Il est à cet égard significatif que le régiment de gueux du film apparaisse toujours « en face » d'El Hadji : le régime discursif est celui de la « confrontation » et non de la résignation. De plus, ils prennent toujours position non loin de lui, le suivent dans toutes ses pérégrinations. Il s’agit là d'une mise en opposition de l'être et du non-être, de la misère et de l'opulence malsaine et, dans une certaine mesure, de la vertu et du vice. Il est à cet égard étonnant qu'une ménagère vienne deux fois verser le contenu puant de son récipient devant l'égout situé juste devant la boutique d'El Hadji, le séparant ainsi du peloton d'aveugles dont la musique, véritable oraison funèbre, hante tout le film. Ne doit-on pas faire un rapprochement entre la pourriture déversée, ces odeurs contre lesquelles s'acharne en vain la secrétaire, et la désintégration morale ayant provoqué ce xala qui afflige la carte de l'Afrique dans le film de Sembène Ousmane? L'eau, la pourriture ne rejoignent-elles pas ainsi simplement la source ou, tout au moins, un lieu symbolique?

Que dire en outre de cette carte de l'Afrique derrière El Hadji, montrée lors de la visite de sa fille Rama dans le bureau? Cette carte est sillonnée de frontières coloniales, alors que celle derrière Rama ne porte les traces d'aucune violence. Au-delà du face-à-face au cours duquel la fille, du point de vue spatial, domine le père presque coupé par la caméra et coincé sur la gauche de l'écran, ne faut-il pas aussi lire dans la fissuration du continent l'éclatement de toute vertu dont le père de Rama est la triste illustration?

Ces exemples le montrent, le montage porte le film à une dimension sémantique supplémentaire que le roman n'envisage pas. Etant donné que ces éléments n'existent pas dans le texte littéraire, l'ajout du texte filmique implique donc presque toujours un ajout de sens. Bien plus : le fait de mettre ensemble le rapprochement entre deux plans ou même la mise en scène provoquent toujours une espèce de choc duquel naît un sens inattendu. La rupture narrative a ici, comme l'écrit

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