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Loisir travail

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nt, certains travaux dans lesquels l’homme est confiné à une surveillance d’un écran, ressemblent fort à ce que l’on entend par « loisir » le plus souvent : S’enfoncer sur un canapé pour regarder la télévision. Alors ? N’est-ce pas pour compenser un travail ennuyeux que nous accordons tant d’importance au loisir ? Ce qui reste problématique car, si le travail n’a pas de sens, le loisir peut-il seulement en avoir un ?

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A. De l'expérience consciente du travail

Quand avons-nous le sentiment de travailler ? Nous pourrions prendre cette question par la négative : quand ce n’est pas une punition, quand nous ne nous contentons pas d’un effort stérile, quand notre activité n’est pas inutile ou dépourvue de sens. Dit autrement, nous avons le sentiment de travailler quand l’activité est hautement gratifiante, quand l’effort accomplit s’achève dans une œuvre, quand nous sommes assurés d’avoir effectivement contribué à un bienfait utile à tous, quand notre activité est riche et pleine de sens. Mais cela suffit-il pour nous dire ce qu’est le travail ?

1) Ce point de départ nous reconduit vers quelques observations utiles. « L’effort pour l’effort », cela n’a guère de sens. Harponner un écolier pour lui dire de travailler, comme un sergent ferait une harangue au soldat pour lui faire faire trois fois le tour de la caserne, ce n’est guère motivant. Ce qui manque, c’est au minimum une bonne raison. Mais ce n’est pas assez. Au degré le plus élevé, ce qui est réellement parfaitement suffisant, c’est l’enthousiasme à faire une chose, avec pour seul moteur le plaisir de le faire. Ainsi, le poids de la contrainte sociale ne valide pas le sentiment intérieur du travail. Considéré à part, l’effort peut aussi être désordonné ; ou bien, il peut être une manière de décharger un surplus inutilisé de force vitale. Bref, être une forme de défoulement. L’effort pour l’effort peut n’être que compulsif : quand le sujet se fait une obligation impérieuse de s’épuiser sur un engin de bodybuilding, où qu’il s’impose de courir à heures fixes, sans réel plaisir, mais parce qu’il faut le faire, ce n’est pas vraiment sensé. Malgré l’effort, ce n’est pas vraiment du travail. Si c’est une voix dans mon esprit qui anxieusement me dit que je dois le faire, sinon je vais être très mal, ce n’est pas un travail, c’est une fuite de mon malaise dans un dérivatif. (texte)

L’effort complètement désordonné et soumis au hasard n’ayant guère de poids de sens, vire vers une catégorie qui est celle du divertissement. Dans le divertissement en effet, nous acceptons désordre et hasard comme composante du jeu. Un degré plus bas dans la déconstruction de l’activité, et il ne reste plus que la passivité, comme chez le téléspectateur qui regarde tout et n’importe quoi, au hasard, sans même choisir son programme. Zéro degréd’investissement, 100% de divertissement. Aucun travail et pas d’utilité non plus.

Le joueur scotché à l’écran peut lutter contre le sommeil, s’exciter nerveusement sur sa manette de jeu pendant des heures et sentir par après, qu’il n’a fait que tuer le temps. Il peut alors dans sa solitude goûter de cette amertume qui lui dit que tout cela n’a aucune utilité réelle et n’a peut être aucun sens. Alors, le meilleur moyen de l’oublier… c’est d’y retourner ! Et d’oubli en oubli, on en arrive à l’addiction complète. Personne ne fera ici l’expérience d’avoir travaillé.

Demander à un homme de construire un mur, puis une fois terminé, de le détruire, pour après, exiger qu’il recommence, c’est assurément l’enfermer dans une activité non seulement inutile, mais carrément absurde. Pour vous saboter le moral, il n’y a rien de tel ! D’où, au minimum, l’ennui présent dans toute activité perçue comme inutile. Il y a un peu de cela dans la vie de Milarépa au Tibet, mais avec une nuance qui fait toute la différence. Milarépa avait été un bandit de grand chemin et un assassin avant qu’il ne se tourne vers la voie du dharma. Son maître lui imposa ce genre d’épreuve, (construire une tour et la détruire), pour « brûler » le mauvais karma accumulé par ses actions antérieures. C’est la traversée d’épreuves en apparence absurdes qui permit sa transformation morale et spirituelle.

Inversement, il est étonnant d’observer quel contentement presque enfantin brille dans le regard du celui qui trouve une vraie satisfaction dans les petites choses faites avec soin. C’est la satisfaction du jardinier tout fier du bel alignement de ses arbustes bien taillés, ou celui du cuisinier rayonnant d’avoir réussi sa tarte fourrée et qui la présente ensuite à ses invités ! « J’ai bien travaillé ! ». Quand nous parlons d’œuvre, nous pensons d’ordinaire au peintre qui donne le dernière coup de pinceau à une toile, ou encore au musicien qui vient d’achever sa partition, au poète très content d’un petit zeste de génie déposé au fil d’une page particulièrement inspirée. Ou encore, nous penserons à la somme colossale de travail d’un historien dans une saga de plusieurs volumes. Nous penserons aussi à une réalisation scientifique brillante et à ce qu’il en a coûté de nuits blanches et de labeur de bénédictin. C’est vrai qu’il y a bien gratification et que le mot œuvre a un sens ; mais à y regarder de près, tout ce qui est bien fait, tout ce qui est fait avec amour participe aussi de l’œuvre. La découverte est léguée à l’humanité. L’œuvre d’art a une dignité suréminente et elle assure à son auteur une reconnaissance sociale évidente. Mais ce n’est pas l’essentiel. La joie d’inventer est dans l’invention, la joie de créer est dans la création, et pas dans l’évaluation de son résultat. Cependant, il est indéniable qu’il existe une joie d’avoir réalisé quelque chose qui puisse être utile à d’autres, une joie profonde, parce qu’elle coïncide avec un effacement de l’ego dans le mouvement du don. Offrir à l’humanité une œuvre de valeur, c’est être traversé par le don et avoir le sentiment vrai du travail. L’œuvre caritative est œuvre en ce sens. Nous ne dirons pas que le bénévole qui s’occupe de la misère humaine ne travaille pas, ni que ce qu’il fait ne contribue pas en un sens à une œuvre.

Si nous ne considérons que le vécu en lui-même, il est incontestable que celui qui agit au sens plein de l’Acte a bien le sentiment d’avoir travaillé, même si cela ne lui rapporte rien financièrement. Par contre, si seul le profit a de la valeur, pour déprécier le travail et le vider de sa substance, la recette est simple : donnez donc à l’homme une tâche mécanique qu’il fera sans plaisir, faites qu’en permanence il ait le sentiment que ce qu’il produit n’a pas vraiment de sens, privez le de la dimension de l’œuvre et par-dessus le marché, harcelez-le en lui disant que ce qu’il fait ne sert à rien ! Ce serait sadique. Fort heureusement, je suppose que dans notre monde béni de la société de consommation, nous ne pouvons plus raisonner ainsi. Ce serait cruel... Diabolique!

---------------2) Le problème, c’est que de fait, nous en sommes là. Et attention. Pas seulement parce qu’il y a des centaines de millions de personnes dans le monde qui travaillent sur des chaînes de productions. Pas seulement parce qu’il existe des contremaîtres et des chefs à mentalité de caporal. Ni parce que l’encadrement humain en entreprise soumet à une telle pression la productivité que seul compte le chiffre et le rendement. Pas seulement non plus parce que le « marché de l’emploi » se réduit comme une peau de chagrin et que jeunes, comme moins jeunes, pensent devoir se résigner à exercer un emploi sans intérêt et sans avenir, pour la seule raison qu’il faut bien se donner des moyens de subsistance. Il n’y a pas de doute sur le fait que la technicisation du travail a des répercussions humaines colossales qui tendent à éliminer le travail vivant au profit de la fonctionnalité mécanique. Mais en plus, et de manière plus fondamentale encore, nous vivons dans une société qui a entrepris de désinvestir peu à peu la valeur du travail, pour investir massivement la valeur du loisir. La crise du travail est une crise spirituelle.

Nous l’avons vu avec Lipovesky, au XIX ème siècle sur les tombes, on pouvait écrire : « le travail fut sa vie ». Par-delà les clivages idéologiques, tous les régimes encensaient les bienfaits du travail et les valeurs d’abnégation, de patience et de persévérance qui lui étaient attaché. Désormais, nous avons adopté la devise : « la vie commence après le travail ». « L’évangile du travail a été détrôné par la valorisation sociale du bien-être, des loisirs et du temps libre». Cette profonde mutation desmentalités est caractéristique des « valeurs individualistes-hédonistes-consommatives» qui sous-tendent les sociétés postmodernes. Ainsi, « la boutade de Tristan Bernard, « l’homme n’est pas fait pour travailler, la preuve, c’est que ça le fatigue, est devenue, en un sens, un credo de masse de l’ère postmoraliste ». Ce n’est plus du tout une boutade, c’est une affirmation au premier degré. La question que se pose les lycéens au sujet du travail n’est pas : « comment parvenir à trouver ma voie vers une profession qui soit tout à la fois utile et m’apporte de vraie satisfaction ? » C’est peut être la question que nous aimerions qu’ils posent, mais seule une partie d’entre

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