Alexis de Tocqueville, Souvenirs, (1850-1851)
Thèse : Alexis de Tocqueville, Souvenirs, (1850-1851). Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar SatoSan • 11 Janvier 2024 • Thèse • 1 286 Mots (6 Pages) • 333 Vues
HLP – Philosophie
Alexis de Tocqueville, Souvenirs, (1850-1851).
Je voudrais bien rechercher ici les raisons qui me déterminèrent alors, et, les ayant retrouvées, les exposer sans détour ; mais qu’il est difficile de bien parler de soi ! J’ai observé que la plupart de ceux qui ont laissé des Mémoires ne nous ont bien montré leurs mauvaises actions ou leurs penchants que quand, par hasard, ils les ont pris pour des prouesses ou de bons instincts, ce qui est arrivé quelquefois. C’est ainsi que le cardinal de Retz, pour atteindre à ce qu’il considère comme la gloire d’avoir été un bon conspirateur, nous avoue ses projets d’assassiner Richelieu, et nous raconte ses dévotions et ses charités hypocrites de peur de ne point passer pour un habile homme. Ce n’est pas alors l’amour du vrai qui fait parler, ce sont les travers de l’esprit qui trahissent involontairement les vices du cœur. Mais alors même qu’on veut être sincère, il est bien rare qu’on mène à bout une telle entreprise. La faute en est d’abord au public qui aime qu’on s’accuse, mais qui ne souffre pas qu’on se loue ; les amis, eux-mêmes, ont coutume d’appeler candeur aimable le mal qu’on dit de soi, et vanité incommode le bien qu’on en raconte ; de telle sorte que la sincérité devient, à ce compte, un métier fort ingrat, où l’on n’a que des pertes à faire et point de gain. Mais la difficulté est surtout dans le sujet-même ; on est trop proche de soi pour bien voir, on se perd aisément au milieu des vues, des intérêts, des idées, des goûts, et des instincts qui vous font agir. Cette multitude de petits sentiers mal connus de ceux même qui les fréquentent, empêche de bien discerner les grands chemins qu’a suivis la volonté pour arriver aux résolutions les plus importantes.
Je veux cependant essayer de me retrouver dans ce labyrinthe, car il est juste de prendre enfin, vis à vis de moi-même les libertés que je me suis permises et que je me permettrai souvent envers tant d’autres.
Sujet d’interprétation philosophique :
À quels obstacles se heurte, selon Tocqueville, l’exigence de sincérité ?
Alexis de Tocqueville, dans cet extrait des « Souvenirs », fait part d’un raisonnement profond quant aux difficultés que peut rencontrer la sincérité par son exigence. En effet, il tente de justifier ces difficultés en en donnant des exemples puis en les critiquant « J’ai observé… », « Ce n’est pas alors… », « La faute en est… », de telle sorte qu’il faille habillement en chercher la véracité de son raisonnement, puisque pour lui, l’exigence de sincérité en est impossible dans sa plénitude, des « obstacles » se dresseront toujours pour altérer cette sincérité.
Comme nous nous demanderons principalement en quoi l’exigence de sincérité fait se heurter à certains obstacles, il en devient donc nécessaire de se demander de manière générale, si la connaissance de soi nous permet de juger aisément notre personne avec exactitude ou si au contraire, elle n’est pas source de falsification dans la mesure, par exemple, où nous avons tendance soit à nous sous-estimer, à faire preuve de trop d’humilité ou soit au contraire, à nous surestimer, à nous mettre en valeur. Cependant, nous nous demanderons en quoi le regard des autres est également capable d’altérer davantage notre jugement de nous-même ? Nous tâcherons d’élucider le texte dans un ordre linéaire quand ce sera possible, donc dans un premier temps, observer le premier obstacle qui ferait face à la sincérité, à savoir le regard des autres, avant de mettre en lumière un second obstacle, son propre regard sur nous-même, dans le but final de mettre en évidence les conséquences de ces obstacles dans une troisième et dernière partie.
Ainsi, la première difficulté à laquelle la sincérité est exposée, c’est bien entendu le regard des congénères d’un individu sur ce dernier, de telle sorte qu’il ne pourra rendre un verdict assumé et correcte de sa personne, sans en estomper la réalité. En effet, comme l’exprime parfaitement Tocqueville, il est difficile de « bien parler de soi », même si dans cet exemple de démonstration, il fait preuve d’une très certaine sincérité, il admet la complexité de l’œuvre qu’est justement de s’exprimer sur sa personne. L’exemple des Mémoires est donc le plus efficace pour assurer sa thèse, les auteurs autobiographiques ont souvent tendance se valoriser en tant qu’héros de leur œuvre, raison pour laquelle Tocqueville considère les « dévotions » et « charités » avec l’adjectif péjoratif « hypocrites », puisque le cardinal de Retz justifie ses projets par la foi et la religion afin d’être bien vu par ses lecteurs, or, ce n‘est très certainement qu’une excuse. Et cela pour quoi ? Simplement pour s’accaparer une image positive d’un public, son jugement est donc terni et n’est pas sincère. Cependant, cet agissement n’est pas irrationnel, dans la mesure où il serait impossible, et ce même si c’était souhaité du plus profond de notre âme, d’être tout à fait sincère, puisqu’il faut le rappeler et insister dessus, « la faute en est d’abord au public » auquel l’Homme va naturellement s’adapter. En effet, le public désire d’une œuvre bien conçue, tout élément qui attirera son intérêt, il a donc besoin d’action, de drame, d’erreurs commises dans une vie, il a besoin d’être diverti et de goûter à une sorte de fiction. Et si l’écrivain ne souhaite pas être assimilé à de la fiction, aussi bien dissimulée qu’elle soit, il apportera néanmoins des touches d’extravagance qui ne se rapporteront pas tout à fait à la réalité, mais qui seront suffisantes pour l’avoir retouchée sans que cela ne puisse se constater tout à fait. Il faut donc habilement trafiquer la réalité si on ne veut que nos actions ne soient considérées ni comme de la « candeur aimable », ni comme de la « vanité incommode ». C’est le fait que l’Homme soit constamment jugé jusqu’à même ses proches qui le fait douter de tout et tend à lui faire déformer la réalité de ce que lui seul à vécu aux yeux des autres, et l’oblige par conséquent à rompre avec quelconque trace de sincérité.
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