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Analyse de la chanson du mal-aimé d'apollinaire

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de Guillaume Apollinaire, véritable phénix en effet (oiseau fabuleux qui renaissait de ses cendres), il allait, tout au long de sa vie, sans cesse renaître chaque fois pour une autre femme !

Le poème comprend soixante quintils (la dédicace en est un) d’octosyllabes parfaitement rimés et qui auraient été tout à fait classiques si ne leur pas été imposée la suppression de la ponctuation. Il se divise en sept morceaux, trois textes titrés et en caractères romains étant insérés dans l’ensemble en caractères italiques.

C’est une chanson, car la rime est importante, une chanson mélancolique, avec modulations et rythme lancinant de la forme strophique adoptée, toujours semblable.

Strophe 1 : Ce « soir », « à Londres », s’explique parce qu’y habitait Annie Playden. La «demi-brume» est celle qu’impose le climat anglais, mais, suffisante pour estomper la réalité sans la masquer pour autant, pour permettre de se méprendre par instants, elle crée aussi une atmosphère de mystère, propice à l'éclosion du souvenir et au rapprochement avec les légendes. Errant probablement aux approches d'un quartier mal famé, le poète fait la rencontre inopinée d’un «voyou», sans doute un rabatteur qui veut l’entraîner vers une maison de plaisir (d’où la violence de son regard). L’enjambement « ressemblait à / Mon amour » dramatise la révélation : il ressemble à Annie Playden, ou c’est la fausseté de son regard qui engendre de façon immédiate le souvenir de la femme aimée et traîtresse, le dépit amoureux dictant à l’amant cette facile vengeance et ce rapprochement injurieux qui est marqué par l’alliance de mots : «voyou-amour». Le « regard » du « voyou » inspire la « honte », car, même si le poète est innocent vis-à-vis d'Annie, il se sent coupable de l’échec de leur relation.

Strophe 2 : On peut imaginer que le voyou comprit ce qu'au fond le visiteur cherche ce soir-là, qu’il lui fait un clin d’œil, lui fait prendre son sillage l’air faussement dégagé, les « mains dans les poches », sifflotant pour prévenir le lieu de plaisir de l’arrivée d’un client. Mais la recherche de la femme aimée reçoit soudain un nimbe de légende, car elle est rapprochée de celle de « Pharaon » poursuivant « les Hébreux » devant lesquels s’ouvrit la mer Rouge. L’évocation biblique est engendrée par les maisons de briques (de couleur rouge), typiques de l’Angleterre, pouvant, sous la lumière humide de ce jour, faire penser à « la mer Rouge ».

Strophe 3 : Continuant sa comparaison avec l’épisode biblique, le poète, pour affirmer la sincérité et l’intégrité de son sentiment, est prêt, dans un appel aux dieux, un défi, à se vouer à un châtiment, à s’identifier au pharaon dont l'évocation est précisée («soeur-épouse» est une allusion aux mariages consanguins des pharaons) : il faut se souvenir que, dans la Bible, il est un personnage méprisable. «Je suis» est à interpréter comme l'équivalent d'un subjonctif : «que je sois». «Si tu n’es pas l’amour unique» : puissé-je, s’il n’est pas vrai que je n’ai aimé que toi, connaître le sort du pharaon, de sa sa femme et de son armée, qui ont été ensevelis par les flots, être englouti sous ces murs de brique rouge entre lesquels j'avance !

Strophe 4 : Soudain, s’ouvre une rue à l'éclat factice, dont les enseignes bavent leurs lumières sur des façades de maisons de brique qui sont si rougeoyantes qu’elles rougissent le brouillard qui est donc « sanguinolent » et présente des «plaies». La répétition de « façades », d’autant plus qu’elle se fait à la rime, est une négligence regrettable. Apparaît une femme, vraisemblablement une prostituée qui, aux yeux de l’amoureux malheureux, comme le voyou, ressemble à Annie Playden, ce qui confirme bien sa volonté de mépris. Quant aux « plaies » n’annoncent-elles pas la douleur que la femme, elle-même ensanglantée, fait souffrir à l'homme?

À la fin de la strophe, il ne faut pas poser la voix, les derniers mots n’ayant de sens que si on les rattache au troisième vers de la strophe 5.

Strophe 5 : Les deux premiers vers forment comme une parenthèse expliquant «ressemblant». Et la ressemblance tient encore au regard. Dans la volonté d’abaissement où le poète se complaît par une sorte de sado-masochisme, «inhumaine» indique la cruauté d’Annie Playden. Le caractère crapuleux de la femme entrevue est encore accentué par « la cicatrice », par «saoule» qui donne une note d'impureté, de déchéance. Aussi cette femme pour qui l'amour est un commerce fait-elle ressentir douloureusement au mal-aimé la fausseté de l'amour en général : il nous trompe, il n'a qu'une valeur fallacieuse et se réduit à une fiction.

Strophe 6 : L’amour fidèle n’existe donc que dans les légendes que le poète va maintenant évoquer. Il recourt d’abord à ‘’L’odyssée’’ pour rappeler la fidélité dont a bénéficié Ulysse, d’abord celle de son chien, puis celle de Pénélope, parangon de la fidélité conjugale puisqu’elle repoussait les prétendants au trône en tissant un ouvrage qu'elle défaisait tous les soirs (d’où « le tapis de haute lisse », «lisse» s’orthographiant aussi «lice» : dont les fils de chaîne sont disposés verticalement).

Strophe 7 : Puis Apollinaire fait allusion à un drame hindou de Kalisada (Ve siècle après Jésus-Christ) : Çakuntala (nom francisé en « Sacontale ») était une bâtarde que rencontra le roi Douchmanta. Ils se promirent de se marier et le roi lui offrit un anneau en gage de loyauté. Enceinte, elle perdit l'anneau et se vit répudiée par le roi, chassée du palais où elle voulait entrer. Elle se réfugia dans la forêt où elle vécut jusqu'à ce que le roi, qui avait retrouvé l'anneau, l'ait épousée. Elle avait reconquis son amour par sa fidélité, ayant toutefois trouvé comme un substitut en « sa gazelle mâle ».

On remarque l’enjambement « pâle / D’attente et d’amour » et l’insistance « pâle » - « pâlis ».

Strophe 8 : «Le faux amour» est celui qu’offrait la prostituée et qui est donc, par un «heurt» qui se fait dans l’esprit du poète, assimilé à celui que lui offrait celle dont il reconnaît (aveu dont la difficulté est marquée par l’enjambement « celle / Dont je suis encore ») qu'il est encore amoureux d’elle, ne pouvant chasser cette obsession qu'il voudrait pourtant rejeter à tout prix. Par l’hypallage «ombres infidèles» qui confond l'ombre d’Annie Playden et l'ombre de la prostituée, qui est un très poétique jeu de nuances sur un même mot pris dans son acception morale et dans son sens concret (« ombre » dans le soir et « ombre » dans le souvenir), il apparaît que, tant dans le cas de la prostituée que dans celui d’Annie Playden, c'est la femme qui porte toute la responsabilité de l’échec. Les rimes, «heureux », « amoureux », « malheureux », sont significatives ; elles suggèrent un enchaînement inéluctable : l’amour ne peut qu’apporter le malheur.

Strophe 9 : À ces « regrets sur quoi l’enfer se fonde », donc des regrets qui rendent la vie insupportable et qui mèneraient au suicide et en Enfer, le poète voudrait opposer l’aspiration non seulement à l’oubli mais à «un ciel d’oubli» ! Mais, d’une façon contradictoire, il vante la séduction envoûtante de cette femme à laquelle n’auraient pas résisté « les rois du monde» (dont le sort est retenu un instant par l’enjambement) comme « les pauvres fameux », l’absence de ponctuation permettant un instant de voir ces rois devenus des « pauvres fameux ». Ces pauvres auraient « vendu leur ombre », ce qui peut être une allusion au roman de Chamisso où Peter Schlemihl, ayant cédé son ombre au diable, devint très riche mais vit tout le monde le fuir.

Strophe 10 : À l’hivernage dans le passé, métaphore de cet engourdissement dans les souvenirs douloureux, confusion entre le froid moral et le froid physique, le poète oppose l’espoir d’un printemps, marqué par Pâques, qui serait le renouveau de l’amour. La métaphore de la glaciation du cœur est poursuivie dans l’évocation des «quarante de Sébaste», soldats chrétiens qui, en 340, à Sébaste, ville d'Arménie, furent exposés sur un étang glacé et moururent martyrs de leur foi. Mais le poète s’estime plus cruellement traité qu’eux !

Strophe 11 : Il s’adresse à sa mémoire, compagne dont il n'arrive pas à se défaire, dont, belle comparaison, il fait un navire qui vogue sur l'eau des souvenirs, qui sont malheureusement de mauvais souvenirs, l’eau amère de l’amour (notons l’humour d’«onde mauvaise à boire ») devenant l’eau salée de la mer (souvenir de « Et la mer et l’amour ont l’amer en partage » de Pierre de Marbeuf?). «Avons-nous» équivaut à «n'avons-nous pas?». Habilement, l’apparente répétition du vers 2 au vers 4 dérive en fait vers une divergence à la rime de « navigué », qui indique une initiative, une direction, à « divagué », qui indique une errance au hasard, à l’aventure. «De la belle aube au triste soir » est un parcours qui est à la fois celui d’une journée qu’on commence avec espoir et qui se termine sur la désillusion, et celui d’un amour d’abord heureux puis malheureux, comme par une sorte de fatalité

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