Cour d'introduction
Note de Recherches : Cour d'introduction. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et Mémoirescipe d’égalité arithmétique : la loi du talion. « Le + grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu’ils méritent. Le mal à craindre d’un sot qui succède par droit de naissance n’est ni si grand, ni si sûr » (Laf 94) : en dénonçant l’aporie de l’exigence démocratique, Pascal montre quant à lui les limites du principe d’égalité stricte: qui doit donner à chacun ce qui est sien ? Qu’est-ce qui est dû à chacun ? Enfin que devient le droit naturel, le sentiment de dignité morale et spirituelle, sans quoi il n’y a peut-être pas de vraie justice, quand la catégorie de la quantité se substitue à la dimension qualitative de la justice des justes et que l’ordre économique écrase tous les autres, comme dans Les Raisins de la colère de Steinbeck ?
La polysémie et les critères fondamentaux de la justice donnent donc lieu à une discussion conceptuelle qui les rend litigieux, si bien qu’il n’y a pas une justice, mais des justices, des sphères de justice, desthéories de la justice.
Les sphères de justice sont ainsi passibles de discours aussi différents que : 1- le discours juridico-sacré, dont l’ambition est de fonder la justice sur une autorité supérieure, selon une relation verticale nouéeentre Dieu ou les dieux, le transcendant, et les hommes, désireux detrouver à l’extérieur de la communauté un fondement à la définition de la justice ainsi qu’à la formulation des lois, divines ; 2-un discours sociopolitique, renvoyant à la dimension « horizontale » de l’exercice de la justice, instrument de régulateur social évitant l’anarchie et le retour à l’état de nature, pour établir des relations sociales apaisées, du moins harmonieuses, fondées sur un principe, sinon d’égalité réelle et/ ou formelle, du moins de prise de conscience, tout à la fois de la vanité et de la nécessité de ne pas être dupe du jeu de dupes sur lequel repose le « bel ordre de la concupiscence » ; 3- un discours juridico-politique, centré sur les rapports entre la justice, le droit et la loi ; 4-enfin un discours pénal, qui rend compte de la nécessité pour l’Etat d’évoluer de la vengeance à la justice, tout en posant la question de l’évaluation , de la finalité, de l’efficience et de la fonction de la peine.
D’autre part, le contraste saisissant entre l’universalité de la soif de justice, de l’exigence de justice, et de la non moins universelle expérience de l’injustice se double d’un contrastetout aussi saisissant entre l’évidence avec laquelle l’idée de justice apparaît dans l’imaginaire, sous la forme de revendications ou d’allégories, et l’obscurité qui l’entoure dès que l’analyse prétend l’examiner : la justice, qui devrait être une pour se conformer à nos aspirations, c.à.d. à la norme de justice idéale, absolue, universelle à laquelle nous nous référons, implicitement ou explicitement, quand nous rêvons de justice, se révèle être, dans les théories de la justice comme dans les faits, autrement dit quand nous passons de la justice-valeur à la justice-institution,relative, plurivoque, - donc contestable, contestée et source de conflits : « la justice est sujette à dispute » (Laf 103). L’intérêt du programme, qui réunit par ailleurs desœuvres aussi disparates que 1-une tragédie grecque sur le passage d’un système vindicatif, forme 1ère, mais imparfaite, d’une justice à la fois divine, sociale et politique, mais aussi passionnelle, sanglante, et finalement aporétique, dans la logique épique de l’exercice de la loi du talion à l’intérieur d’une société pré-étatique de type aristocratique, à une autre forme de transcendance, celle d’un tribunal arbitrant un conflit de droits dans le cadre d’une justice institutionnelle dans une cité démocratique; 2- des fragments d’une apologie du christianisme qui repose, en même temps que sur le présupposé théologique d’une justice perdue, rendue par la chute inconnaissable et inatteignable autrement que par la grâce dans l’ordre de la charité, sur une dialectique de la vanité et de la nécessité d’un ordre socio-politique foncièrement injuste, puisque humain, mais néanmoins justifié par la double nécessité de punir et de conserver, par la paix sociale, une humanité capable d’amender le seul ordre que sa grandeur lui permet de concevoir: le « bel ordre de la concupiscence » ; 3- un roman + épique que réaliste et engagé sur l’injustice dont est victime le peuple (américain) pendant la Grande dépression, à travers l’exode des métayers du Middwest, expropriés, expulsés, acculés à une anti-conquête de l’Ouest par la ruine consécutive au Dust Bowl et à l’industrialisation d’une agriculture financiarisée, qui ne découvrent, dans l’Eden californien, qu’ostracisme, abus de pouvoir, salaires de misère pour de rares emplois saisonniers, répression violente des moindres velléités d’installation ou de mobilisation, et finalement famine décimant les plus faibles, jusqu’à ce que la colère n’incite à la rébellion, par la lutte syndicale d’obédience révolutionnaire notamment, ou que l’utopie ne redonne, avec la dignité, le sens de l’organisation sociale et le sentiment d’appartenir à la grande famille humaine, le courage et l’envie de défendre la vie… l’intérêt du programme donc, est de montrer, à travers l’orchestration de la polyphonie, combien les points de vue sur la justice sont multiples, les systèmes de justice parfois contradictoires, les ordres qui les sous-tendent hétérogènes. Chez Eschyle, la forme théâtrale implique +sieurs niveaux de discours (chœur, coryphée, dieux), qui figurent l’affrontement des points de vue et s’érigent, « droit contre droit », en un véritable tribunal, qui ne juge pas seulement le coupable, mais aussi un système de fausse justice tout entier, révélant l’existence de +sieurs ordres de justice : vengeance, « mal pour mal », clémence, punition, dissuasion, justice commutative, etc. Dans Les Raisins de la colère, l’alternance entre une trame de récit personnel et les chapitres intercalaires impersonnels nous transporte d’un milieu à l’autre pour écouter les discours sur la justice et sur les lois. L’originalité et la complexité de la dialectique pascalienne résident enfin dans l’exploration de tous les degrés d’adhésion possible à un discours donné. Cette révélation qu’il existe une échelle de la croyance dans un discours le conduit à représenter ces différentes positions dans Les Pensées : d’après le fragment « gradation » (Laf 90), il y a celui qui croit au discours qu’on lui tient sur la justice instituée (le peuple), celui qui, démystifiant les apparences, a des velléités de révolte (le demi-habile), celui qui possède « la pensée de derrière » sans avoir la lumière supérieure qui lui permettrait de saisir la raison de la raison des effets (« l’habile »), le fanatique qui croit pouvoir mépriser la vanité du monde parce qu’il a cette lumière supérieure (« le dévot ») et enfin celui qui opère la synthèse de toutes ces vérités partielles parce qu’il pénètre les desseins de Dieu (« le parfait chrétien »). La dialectique qui sous-tend cette hiérarchisation des points de vue signale que le conflit de droits, voire le conflit de justices que révèle la polyphonie des œuvres rend compte de la complexité des enjeux, sans verser dans le relativisme absolu. Si la polyphonie sert, dans les trois œuvres, une entreprise de démystification des discours mensongers : discrédit jeté sur les ravages de la vengeance dans les Euménides ; dénonciation de l’idéologie capitaliste dont les « Okies » sont victimes et les forces de l’ordre complices dans Les Raisins de la colère, c’est qu’en posant un cadre pour incriminer l’injustice, elle fait émerger un point de vue « juste », au double sens de « justesse » et de « justice »: le tribunal de l’Aréopage et le discours d’Athéna dans Les Euménides ; la voix démocratique et locale, seule légitime pour régler la justice au sein de la communauté dans le camp de Weedpatch ; le vrai chrétien, seul apte à entrevoir le point de vue holistique de la seule vraie source de la justice, Dieu pour Pascal.
Car si le juste apparaît comme « le paradigme de ce dont on peut délibérer »[1], de sorte qu’il faille prendre acte de l’impossibilité de répondre de façon univoque à la question : « qu’est-ce que la justice ? », nous ne pouvons ni accepter l’inacceptable, ni faire l’économie d’une réflexion sur l’articulation entre l’idée de justice, fondement du vivre ensemble, et les institutions juridiques, judiciaires et politiques pour penser et agir de la manière la + juste possible, au niveau individuel et surtout au niveau collectif. Nous pourrions faire nôtre la devise d’Alain : « la justice n’existe point, la justice appartient à l’ordre des choses qu’il faut faire parce qu’elles ne sont point. La justice sera si on la fait. Voilà le problème humain » (Propos du 2-12-1912)
I- « Un monde en proie à l’injustice »
« Justice contre l’injustice » (Ch) ; « s’il n’y avait pas d’injustice, on ignorerait jusqu’au nom de la justice » (Héraclite). En effet, l’injustice, 1ère, prend laforme immédiate du sentiment. Elle relève d’un rapport intuitif à l’imperfection du monde qui nous entoure. Nous n’avons alors pas nécessairement besoin de posséder une définition claire de la justice pour constater son absence.
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