Quand Les Ecrits Restent

Sur un plan beaucoup moins administratif (car l’écriture n’est pas –heureusement- qu’un acte administratif !) l’écrit permet à l’équipe de suivre les actions éducatives faites avec les bénéficiaires. « On prend le temps d’écrire, de développer. » me dit Catherine. En suivant l’équipe du BAM j’ai pu voir qu’elles écrivaient quotidiennement dans les dossiers des patients après chaque visite par exemple.

L’écriture permet à l’éducateur de rester plus objectif que s’il racontait le déroulement d’une situation verbalement Patrick Rousseau parle de « position objectivante » dans : Les écrits du travail social. Une écriture paradoxale… . La personne qui écrit ne se laisse pas influencer par les réactions de l’autre. Lorsque l’éducateur rédige son compte rendu il sait qu’il va t être lu, il va donc introduire des détails, des exemples, des adjectifs afin de faire ressentir au mieux la scène au lecteur. Tout cela entraînera une meilleure visualisation et compréhension de la part du lecteur. La forme rhétorique que nous donnons à nos mots n’est pas là pour les enjoliver mais pour que le sens prenne du relief, comme le dit Alain Guy dans Science de l’éducation « Il produit un texte et il cherche des formes pour qu’un autre, véritablement étranger à lui-même, un lecteur y reconnaisse l’essentiel de sa pensée. »

« Nous avons un engagement envers le bénéficiaire. Les écrits restent vous savez » ajoute Catherine. Effectivement le dossier d’un bénéficiaire va le suivre toute sa vie. Si le patient change de travailleurs sociaux, s’il va à l’hôpital ou devant un juge…le dossier sera consulté chaque fois. Ecrire dedans est également un travail de communication avec d’autres professionnels. Comme le dit Alain Guy dans Sciences de l’Education : « Il s’agit de garder en mémoire, d’archiver, de conserver des traces ». Les écrits dans les dossiers vont jouer un rôle dans la vie du patient. L’éducateur transmet un message chaque fois qu’il écrit au sujet du bénéficiaire. Le fait de le savoir engage l’éducateur dans une démarche sérieuse et réflexive.

Catherine me parle d’un de ses bénéficiaires. « Je m’occupe de Pierre depuis 10 ans, une fois par semaine. Nous avons pris le temps de nous connaître. Nous sommes passés par des

moments difficiles où il ne supportait pas son traitement psychiatrique, les effets secondaires (tremblements, fatigue, ralentissement…) l’énervaient. Il ne pouvait plus vivre seul mais n’acceptait pas cette idée, j’ai du mettre beaucoup de choses en place pour le faire partir en maison de repos. Je me suis adaptée à Pierre et j’ai su apprendre à connaitre ses réactions à anticiper certains de ses besoins. Pendant 10 ans chaque semaine j’écrivais nos rencontres dans son dossier (ce qu’on avait fait, ce qu’on c’était dit, comment je le trouvais…) et régulièrement je faisais un résumé de tous ces écrits. Parfois tout cela m’aidait à prendre du recul sur le travail que je faisais avec lui. Il y a quelques semaines Pierre à décompensé, il a fait une grosse crise et nous l’avons placé d’urgence en hôpital psychiatrique, en isolement. Ce dossier est consulté dans cet hôpital. Je suis en contact avec le personnel, on a transmis mes résumés à l’éducateur. Cela lui permet de voir Pierre autrement qu’à son arrivée, un psychotique en pleine crise. Il se fait une idée de la personnalité de Pierre, il peut voir ce que j’ai mis en place avec lui et ce qui à fonctionné : la patience, éviter de le regarder dans les yeux quand il est en colère, ne pas lui couper la parole …Tout ceci va lui permettre d’entrer plus facilement en relation avec lui et de pouvoir débuter un travail éducatif plus facilement. »

Ecrire permet d’élaborer sa réflexion. Cela permet à l’éducateur de revenir sur la situation éducative, de prendre son temps de la repenser.

L’écriture lui permet de mieux maîtriser ses sentiments, il pourra donc plus facilement analyser la situation. Cette position de recul permettra au travailleur social de voir des choses qu’il n’a pas forcément perçues lors de l’entretien avec le patient « Ce recul permet d’avancer » ajoute Fabienne en souriant. L’éducateur sera plus objectif, les choses seront plus claires. L’écrit encadre l’émotion et l’empathie ; Les mots murissent sous la mine du stylo. Tout cela lui permet de repenser sa manière de travailler, d’émettre