Analyse linéaire professeur Sarraute
Commentaire de texte : Analyse linéaire professeur Sarraute. Rechercher de 54 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Koala083 • 20 Avril 2025 • Commentaire de texte • 2 483 Mots (10 Pages) • 14 Vues
ANALYSE LINÉAIRE du professeur du passage de « Voilà. Je crois qu'on y est » à « « c’est bien, ça » » in Pour un oui ou pour un non, Nathalie Sarraute, 1982
En 1982, Nathalie Sarraute publie sa dernière pièce radiophonique, Pour un oui ou pour un non, qui met en scène l'opposition entre deux amis de longue date, H1 et H2, pour un « rien », une intonation mal placée, lors d’une discussion antérieure à la pièce : H1 aurait commenté un succès d’H2 sur un ton condescendant, en disant : « c’est bien… ça… ».
Le conflit, d’abord larvé, éclate progressivement, jusqu’à notre extrait, qui se signale d’emblée comme son acmé (paroxysme, point culminant).
Dans quelle mesure ce passage met-il au jour une paradoxale coopération dans la dispute et révèle-t-il la violence de la sous-conversation, caractéristique du théâtre de N. Sarraute ?
3 mouvements : 1. De « Voilà. » à « aux fers » : les guillemets au cœur du conflit 2. De « Oui, cette fois » à « te revoir » : l’envers de la conversation 3. De « Oh » à « capable » : le retour du « c’est bien, ça », leçon de condescendance décryptée.
1. De « Voilà » à « aux fers » : les guillemets au cœur du conflit … ………………………… …………. ……… ……………………
Par cinq expressions quasi-synonymiques successives, toutes formulées autour d’un locatif (« voilà », « y », « l’ », « le point », « ici », « la source »), H2 dramatise ce moment comme l’acmé de la dispute, suscitant l'attention d’H1 et du public, anxieux de savoir quel est ce « point », ce nœud du conflit – qui, une fois identifié, pourrait peut-être permettre, si l’on partage encore la foi d’H1 dans les vertus thérapeutiques de la discussion, de le dépasser.
Or, l’explicitation de ce « point » crucial n’est qu’une ponctuation : « les guillemets ». Comme dans l’épisode initial du « c’est bien, ça » (on y reviendra plus loin dans l’explication), au cœur du conflit, à la naissance de la dispute, se trouve une intonation, notée ici par des guillemets virtuels, comme sur une partition. Ce qui blesse H2, c’est l’intonation, qu’il perçoit comme ironique, dans les propos d’H1 à son égard ; c’est l’illustration du pouvoir physique de la parole (via l’intonation) auquel l’écriture de Sarraute est très sensible. On est ici au cœur de ce que Sarraute appelle les tropismes, ces « drames intérieurs » qui peuvent être déclenchés par des détonateurs apparemment minuscules.
Ce tropisme, H2 cherche à l’exprimer à travers le résumé de la scène qui précède notre extrait, et qu’H2 considère (avec la répétition de « dès que ») comme exemplaire de ses relations interpersonnelles, non seulement avec H1, mais avec une communauté plus large, désignée par le pronom indéfini « on », et qu’on peut identifier comme la doxa. Ce qu’H2 ressent, c’est que, de sa part, une action banale (regarder par la fenêtre) et une phrase apparemment anecdotique (« la vie est là ») sont interprétées par les autres comme des postures, qui les irriteraient (on est là encore dans le tropisme : ce que les actions et les mots d’H2, cette fois, font aux autres, dont H1), et auxquelles ils répondraient par une ironie notée par les guillemets, en le traitant de « “poète” ».
La phrase « “la vie est là” », malgré son apparente simplicité, illustre toute la complexité et l’ambiguïté de ce système relationnel : si H1 l’a perçue comme une posture, c’est qu’il y a vu précédemment une citation tronquée et implicite de Verlaine, ce qu’H2 a récusé. Mais pourquoi H2 emploie-t-il ici les guillemets ? Pour citer Verlaine ? pour s’auto-citer ? Pour citer H1 en reprenant l’ironie dont il a usé pour citer lui-même H2 ?
Ce qui est en tout cas très éclairant, c’est l’explicitation du fonctionnement des guillemets, et de leur violence. De même qu’ils encadrent symboliquement un mot ou une proposition, les guillemets enferment leur objet dans une « section », qu’H2 décrit métaphoriquement comme une prison, se sentant « enfermé », mis « aux fers » par les mots des autres, à la fois par leur sens et par l’intonation (ironique, condescendante) qu’il perçoit dans leur voix, et qui lui fait violence. C’est cette violence perçue contre laquelle lutte H2 quand il récuse l'étiquette de « “poète” ».
2. De « Oui, cette fois » à « te revoir » : l’envers de la conversation……………….…………………………………………………………………
La réplique d’H1 s’ouvre par un « Oui », qui marque une paradoxale coopération dans la dispute : malgré l’ironie des guillemets autour de la citation d’H2, « “on y est” », l’approbation du « Oui », l’inclusion dans un « on » commun, et la reformulation d’« “on y est” » par « on s’approche », marquent un désir de collaboration, d’entente, d’intercompréhension, au sein de l’affrontement, ce que vient confirmer le « moi aussi » qui suit et qui introduit l’anecdote de la barre des Écrins.
Ce qui est frappant, dans cette prise de parole d’H1, c’est à quel point son langage semble contaminé par celui d’H2, comme si celui-ci, implicitement, avait pris le pouvoir en entraînant son adversaire sur son terrain : le vocabulaire se fait ambigu, notamment le mot « scènes », qui a des connotations aussi bien agressives (« faire une scène », comme, au début de la pièce, « avoir des mots ») que théâtrales (impliquant, ironiquement, un jeu de rôles, de postures).
Les aposiopèses se multiplient, comme si H1, lui aussi, cherchait désormais ses mots, et pour cause : ce qu’il s’apprête à exprimer, suivant l’exemple d’H2, c’est un tropisme. Le désir d’intercompréhension d’H1 est manifeste, à la fois par la précision référentielle (rare dans la pièce) de l’anecdote, qui fait appel aux souvenirs communs des deux personnages, et, explicitement, par la question qui vérifie la compréhension de l’interlocuteur, « tu te rappelles ? ». L’acquiescement d’H2 confirme la mutualité de ce désir d’intercompréhension.
Vient le récit de l’anecdote proprement dite, apparemment absolument banale, réduite à quelques personnages esquissés, une action minime (un arrêt dans une descente), et deux petites phrases anodines à première vue, si l’on s’en tient au niveau de la conversation.
Mais ce qui fait de cette anecdote une « scène », dans le souvenir d’H1 (et qu’il dramatise dans son récit, avec la locution « tout à coup », et la formulation hyperbolique « tu as stoppé toute la cordée »), c’est ce qui se passe au niveau de la « sous-conversation » (ce que Sarraute appelle aussi le « pré-dialogue, où les sensations, les impressions, le « ressenti » sont communiqués au lecteur à l'aide d'images et de rythme » dans ses textes narratifs), et qu’H1 s’emploie à décrypter, faisant passer, suivant la métaphore sarrautienne du « gant retourné », la sous-conversation sur le devant de la scène. Là encore, tout est une question d’intonation, de ce que la voix d’H2 a produit comme effet, comme violence, sur H1, qui cherche à en qualifier le « ton », et ne trouve pas ses mots, comme le signale l’aposiopèse – là encore, H1 semble contaminé
par H2 qui, au début de la pièce, peinait à trouver ses mots (ou refusait de les employer, pour ne pas figer une sensation complexe). L’adverbe « tout de même », présent dans la citation attribuée par H1 à H2, laisse à penser qu’il s’agit, une nouvelle fois, de condescendance. Ce qu’H1 a entendu, sous l’apparente (et banale) proposition d’H2 de « s’arrêt[er] un instant pour regarder » le paysage, c’est un jugement de valeur porté par H2 sur ses amis, implicitement jugés incapables d’en apprécier la beauté (qu’il ne nomme pas, restant dans l’elliptique, avec le
verbe regarder employé sans complément, et le déictique « ça » sans référent, qui rappelle ironiquement le fameux « c’est bien, ça »). On retrouve, implicitement, l’accusation déjà portée par H1 contre H2 : sa posture de « “poète” ».
La réaction, formulée interrogativement, d’H2 confirme implicitement la sensation de mépris éprouvée par H1 : « j’ai osé ? » sonne comme un aveu, une confirmation de la violence exercée sur ses amis, à travers cette phrase à première vue si lisse. H1 poursuit le décryptage de la « scène », analysant l’enfermement physique auquel H2 a contraint la cordée, en insistant sur les manifestations physiques des alpinistes, « piétinant et piaffant », comme un cheval physiquement entravé par son mors. Les points de suspension contribuent à mettre en valeur cette
sensation d’attente imposée, pénible. C’est une violence physique qu’H2 a imposée au groupe : par cette petite phrase, et son sous-entendu méprisant, il a tenu sous son pouvoir les quatre autres personnes présentes.
H1 utilise ici son arme habituelle, l’ironie, signalée par les guillemets autour de « “comptempl[er]” », afin de metre en évidence, par ce lexique associé à la poésie romantique (cf. Les Contemplations, Victor Hugo), la posture de « “poète”
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