Dumas, La Tour de Nesle (Acte V, scène 3, GF, p. 273-275) : de « Vous m’avez promis de me faire voir Marguerite » à «Damnation !... » (fin de la scène 3)
Commentaire de texte : Dumas, La Tour de Nesle (Acte V, scène 3, GF, p. 273-275) : de « Vous m’avez promis de me faire voir Marguerite » à «Damnation !... » (fin de la scène 3). Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Jonathan Deleuze • 20 Décembre 2022 • Commentaire de texte • 2 233 Mots (9 Pages) • 569 Vues
Cet extrait de La Tour de Nesle d’Alexandre Dumas, un drame romantique paru en 1832, se situe dans l’acte V, le huitième tableau, scène 3. Il ne reste alors que quelques scènes avant le dénouement de l’oeuvre. Buridan et Marguerite voulaient se partager le pouvoir mais l’amour de Marguerite pour Gaultier augmente le nombre de parts, ce qui ne plait pas à Buridan. Alors Buridan a donné rendez-vous à Marguerite, la Reine de France, à la tour de Nesle afin de la piéger. Il a aussi réussi à récupérer une boîte des mains de Landry qui contient des effets prouvant son passé amoureux avec Marguerite. Dans cet extrait, nous voyons Buridan dans un échange avec Gaultier, l’amant de Marguerite. Ce passage, loin d’être sans agitation, montre deux des personnages principaux dans une conversation qui tourne autour de la reine. Gaultier veut retrouver Marguerite dont il est amoureux, mais Buridan tient à lui faire comprendre à qui il a réellement affaire. Ces révélations de la part de Buridan ne sont pas sans lui apporter un avantage. En effet, Buridan a pour but de piéger également Gaultier à la tour de Nesle. Avide de pouvoir, en réunissant Marguerite et Gaultier dans le lieu où des meurtres sont commis, il veut les faire arrêter puisqu’il doit y avoir une arrestation au moment où ils seront à la tour.
Nous pouvons alors nous demander comment, dans cette scène de révélation, Buridan utilise l’art de la manipulation sur Gaultier afin de dévoiler le vrai visage de Marguerite ce qui mènera au dénouement tragique de l’œuvre.
Pour ce faire, nous démontrerons que ce dialogue peut être vu comme un duel entre deux amants de Marguerite. Puis, que le centre de cet affrontement verbal se trouve être la reine elle-même, et enfin que cette scène permet des révélations qui mèneront vers le dénouement final.
Nous avons affaire à deux amants, Buridan, qui a connu Marguerite dans sa jeunesse, est donc l’amant du passé et Gaultier, celui du présent.
Ce sont deux personnages très différents. Gaultier est pleinement amoureux de Marguerite. Il est impatient et veut rapidement retrouver celle qu’il aime. De nombreuses répétitions se trouvent dans ses répliques. D’ailleurs, les deux premières répliques de Gaultier sont identiques, il répète exactement « vous m’avez promis de me faire voir Marguerite ». Ces répétitions montrent l’excitation du personnage envers son amante, et le désir d’être en sa présence. Gaultier semble vouloir que cette conversation ne s’éternise pas. Si nous comparons la longueur des répliques de chacun, celles de Gaultier sont plus courtes que celles de Buridan. La rapidité de ses phrases atteste une volonté d’arriver au plus vite à la fin de son entrevue avec Buridan, et d’obtenir l’information qu’il souhaite sans délai. Gaultier est un amant courtois que nous pouvons retrouver dans les romans courtois du Moyen-Âge. En effet, alors que Buridan dénigre Marguerite, Gaultier défend celle dont il est épris. Quand Buridan annonce que Marguerite a passé la nuit avec un autre homme, Gaultier réplique par « c’est toi qui est fou, Buridan ». Gaultier fait passer son interlocuteur pour une personne aliénée qui raconterait des imbécillités qu’il ne faudrait pas prendre au sérieux. Il essaye alors de renverser la calomnie envers Marguerite contre Buridan et à travers cette tournure emphatique et l’apposition du nom de Buridan, il insiste sur l’improbabilité des propos de Buridan qui sont pourtant vrais. Il défend Marguerite par les mots mais aussi par les gestes. La didascalie interne énoncée par Buridan lorsqu’il dit à Gaultier de « ne pas tourmente[r] [s]on épée » montre une facette chevaleresque du personnage, prêt à se battre pour sa belle.
Quant à Buridan, il est celui qui a connu Marguerite lors d’un temps passé et qui n’a plus de sentiments amoureux envers elle. Nous avons appris auparavant qu’ils avaient été amants, et les effets se trouvant dans la boîte le confirme. Buridan présente à Gaultier une « tresse de cheveux » et une lettre signée par « [s]a Marguerite bien aimée ». Cette signature personnalisée ainsi que cet effet personnel exhibent le lien entre les deux amants. Elles servent de preuve d’un amour entre eux. Mais cet amour n’est plus d’actualité. L’anaphore, doublée d’une asyndète, « s’il te la cède, s’il te la rend, s’il te la donne » reproduit le détachement de Buridan envers Marguerite. De plus, l’utilisation de la troisième personne du singulier pour parler de lui-même, montre la différenciation entre le Buridan du passé, qui était amoureux, et l’homme d’aujourd’hui qui ressent de la « lassitude ».
Mais, dans cette conversation, c’est Buridan qui est le maître. Il utilise la psychologie afin de tourner le dialogue à son avantage. Nous pouvons compter seize points d’interrogations dans ce passage. Mais, contrairement à Gaultier qui questionne vraiment Buridan, la plupart des questions posées par Buridan sont des questions rhétoriques, il connait déjà les réponses. Il sait déjà que Gaultier va reconnaitre l’écriture de Marguerite par exemple. De plus, l’adverbe interrogatif « n’est-ce pas » utilisé à plusieurs reprises accentue l’idée qu’il connait effectivement la réponse qu’il attend. Donc, à travers ceci, Buridan semble jouer avec Gaultier, il le tourmente psychologiquement. Nous pouvons ajouter aussi que c’est lui qui apporte du contenu à la conversation. C’est lui qui parle de l’absence de Marguerite la nuit, de la « blessure à la joue », de « la passion », de la lettre, la « tresse », et aussi du « rendez-vous ». La discussion suit le chemin que Buridan trace, ce qui fait de Gaultier l’amant soumis à l’argumentation de Buridan.
Nous l’avons vu, cette scène expose deux hommes que Marguerite relie. Buridan est nettement le maître de cette conversation, et afin d’obtenir ce qu’il veut, il a essayé de démontrer à Gaultier que celle dont il est amoureux n’est pas celle qu’elle prétend être, que ce n’est qu’une manipulatrice.
Malgré l’absence du personnage dans la scène, la reine est très présente dans le discours. La discussion ne tourne qu’autour d’elle. Le personnage est cité sous plusieurs formes. Nous retrouvons son nom à plusieurs reprises, l’utilisation du syntagme nominal « cette femme », dont le déterminant démonstratif « cette » est anaphorique et fait référence à Marguerite, le pronom personnel « elle », le pronom personnel accusatif « la » et même par son titre de « reine ». De plus, sans être dans la scène, elle est représentée tout de même physiquement par les objets que Buridan a dans sa boîte. C’est une partie d’elle. Sans être là, elle arrive à être tout de même au centre de l’attention.
Dans ce passage, Buridan essaye de peindre le personnage de Marguerite à Gaultier. Il tend à démontrer le côté manipulateur de la reine et que Gaultier est sous son emprise. Cette manipulation est décrite à la manière d’un ensorcellement. Le lexique de la magie apparait dans le texte avec le « style magique et ardent qu’elle peint la passion » et le mot « prestige ». De plus, l’envoutement dont serait capable Marguerite est décrit par les mots de Buridan. La réplique de Buridan, au sujet de Marguerite, « quand on est près d’elle […] qu’il est doux de passer la main dans ses longs cheveux qu’elle laisse si voluptueusement flotter, d’en couper une tresse comme celle-ci ? » présente de nombreuses allitérations avec les consonnes constrictives [f], [s], [ʃ] et [v] qui mettent en musique les envoûtements de cette dernière. Puis, nous voyons bien que Gaultier est comme ensorcelé par Marguerite puisque son empressement à la retrouver est plus important que la découverte du meurtrier de son frère. En effet, les répliques identiques de Gaultier dont nous avons parlé un peu plus haut englobent une réplique de Buridan qui fait comprendre que Gaultier a perdu l’envie de découvrir la vérité. D’ailleurs Buridan dit que l’ « amour pour cette femme étouffe tout autre sentiment », ce qui est confirmé par l’enfermement des mots de Buridan sur le frère de Gaultier entre les deux répliques « vous m’avez promis de me faire voir Marguerite » de Gaultier. La divinisation de Marguerite par Gaultier est aussi représentatif de cet envoûtement. L’exclamation « blasphème ! » quand Buridan dévoile les ébats de Marguerite et la considération d’ « une écriture sacrée » élève la reine a un rang métaphysique. Il voit celle qu’il aime comme un être extraordinaire et divin alors qu’elle n’est qu’humaine. Ce qui montre bien qu’elle a réussit à manipuler Buridan.
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