La Charogne de Baudelaire
Fiche : La Charogne de Baudelaire. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Ana Costea • 8 Mai 2024 • Fiche • 2 512 Mots (11 Pages) • 178 Vues
Problématique:
Comment Baudelaire utilise-t-il cette découverte d'une charogne pour mieux parler des principes de sa propre poésie?
D'abord c'est toute une mise en scène avec la femme aimée qui est présente à la 2 eme personne jusqu'à la fin où elle risque de s'évanouir.
En effet, de là, la 2 eme personne disparaît, c'est la charogne qui est au centre du tableau, d'abord un ventre, puis un monde, avant de redevenir un simple repas pour une chienne.
A la fin, le poète reprend la parole pour faire un étrange « Memento mori » pour parler de sa propre création poétique.
Premier Mouvement
Dans ce premier mouvement, c'est une veritable mise en scène. Baudelaire prépare ses effets, il fait tout pout étonner et captiver son lecteur.
V1-V2
Les 2 premiers vers sont plutôt euphoriques :
« Rappelez -vous l'objet que nous vîmes, mon âme
Ce beau matin d'été si doux ».
C''est une promenade par beau temps avec la personne aimée: « mon âme ». Le lecteur peut reconnaître le thème de l'amour courtois qui est justement remis à la mode par le romantisme dans ce début de XIX e siècle.
Dans ces deux premiers vers, il n'y a pas de discordance, « l'objet que nous vîmes » ne désigne encore de rien précis.
C'est d'ailleurs ce qu'on appelle un CATAPHORE ( la référence viendra après le pronom, C'est le fameux procédé des devinettes très utile pour créer le mystère – on parle d'une chose sans dire encore ce que c'est) .
V3
Tout bascule dès le 3 eme vers quand arrive la révélation :
« Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux »
Le détour - la rime féminine en âme qui devient « infâme » et les cailloux qui sont tout sauf doux.
C'est un vrai récit avec des actions qui ressortent au premier plan avec le passé simple: « l'objet que nous vîmes, mon âme » et, à la fin du passage -
« La puanteur était si forte que vous crûtes vous évanouir. ».
Entre ces deux actions, une description à l'imparfait :
La charogne « ouvrait son ventre » ,
« le soleil rayonnait sur cette pourriture » ,
« le ciel regardait la carcasse superbe».
Deux mouvements concurrents – celui qui descend vers la mort, le spleen, et celui qui montre vers le ciel, l'idéal.
C'est justement ce que Baudelaire va faire sans cesse dans tout ce passage, associer des mouvements et des idées opposées, ou du moins des idées qui ne vont pas ensemble normalement.
Il utilise sans cesse le paradoxe pour étonner et intriguer son lecteur.
D'abord il mêle la mort au désir sexuel:
« Les jambes en l'air comme une femme lubrique
brûlante et suant les poisons ».
Avec toute cette imagerie suggestive – la chaleur, la sueur – il érotise ce qu'il relève portant de l'horreur de la mort.
Ensuite, il mêle la mort à l'idée de maternité - « avec ce ventre plein » qui s'ouvre pour laisser sortir des exhalaisons.
Le parfum est pratiquement un être vivant chez Baudelaire.
C'est une antithèse ( deux termes opposés qui sont rapprochés) – la naissance est trouvée dans la mort.
A l'époque on retrouve cette même idée chez Schopenhauer , un philosophe allemand – pour lui, l'univers est mû par une force de vie qu'il appelle volonté et qui se manifeste dans la sexualité et qui n'est que sublimée ( càd, rendue socialement acceptable) par le sentiment amoureux décrit par les romantiques.
Tout cela explique la suite:
« Le soleil rayonnait sur cette pourriture
Comme afin de la cuire à point ».
L'appétit du côté de la vie est lié directement à la mort.
La décomposition fertilise le sol.
« Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ».
Tout cela révèle une certaine idée du travail poétique qui consiste à se nourrir de tout ce que le monde peut offrir de souffrance et de mort pour enfanter des vers.
On commence à avoir une certaine idée de la démarche poétique de Baudelaire.
« Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir. »
La carcasse superbe est un oxymore ( une association de termes contradictoires). Normalement une carcasse n'est pas associée à l'idée de beauté, c'est révélateur du projet poétique de Baudelaire: les fleures peuvent bien pousser aussi sur le terreau de la souffrance et du Mal.
Et alors, la figure féminine disparaît, elle « s'évanouit » en laissant place à cette étrange fleur qui « s'épanouit ».
« La puanteur etait si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous épanouir ».
On entend quelque chose qui va plus loin que la rime, une PARONOMASE, une proximité sonore entre évanouir et s'épanouir.
2 eme Mouvement
Dans la 2 eme partie du texte, c'est la charogne qui est au centre d'une description saisissante et animée.
Le premier quatrain se lit d'une seule traite:
« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride
d'où sortait de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons ».
Les enjambements prolongent la phrase sur plusierus vers sans laisser du répit au lecteur.
Baudelaire veut susciter l'image d'un débordement.
Dans ces quatrains, tous les verbes évoquent le mouvement: « bourdonner, sortir, couler »,
Et on retrouve le double mouvement vers le haut et vers le bas, parfaitement équilibré dans deux hémistiches:
« tout cela descendait, montait comme une vague ».
On pursuit avec des mouvements presque festifs, joyeux :
« On s'élançait en pétillant
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
vivait en se multipliant. »
Les gérondifs « en pétillant », « en se multipliant » insistent sur l'idée que ces actions sont inscrites dans la durée.
On retrouve en filigrane l'image d'une peau distendue.
C'est presque déjà la voile d'un navire sur le départ.
Souvent, chez Baudelaire, la mort cache une invitation au voyage.
Un voyage de l'âme, peut être , vers d'autres vie , c'est le thème de la
métempsychose ( la réincarnation de l'âme).
On retrouve ce mélange entre la vie et la mort.
La mort à travers les noirs bataillons, qui nous projette, le temps d'une hémistiche, sur un champ de bataille, dans un registre épique.
En même temps, le verbe vivre qui désigne paradoxalement la charogne:
de « vivants haillons », un corps qui « vivait en se multipliant » .
C'est un POLYPTOTE ( deux mots de la même famille).
Un autre mouvement travserse ce passage, on bascule du pluriel au singulier,
« Les mouches, les bataillons, les larves, les haillons » sont repris par un pronom indéfini:
« tout cela descendait, montait comme une vague ».
C'est typiquement un procédé d'immersion: alors qu'on avait les yeux rivés sur tous les détails du cadavre, on entre carrément dans un monde :
« Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent ,
Ou le grain qu'n vanneur, d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van ».
Baudelaire nous fait voir toute la dimension artistique de la scène, d'abord par la musique:
« c'est une étrange musique » - c'est une musique qui dit quelque chose sur la Nature elle-même « comme l'eau courante et le vent » - une Nature instable, changeante.
L'eau courante – c'est l'image très célèbre du philosophe Héraclite: « on se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » .
Pour Héraclite, on peut avoir l'impression que le fleuve est là, constant, immuable, mais pourtant l'eau ne cesse de fuir, chaque goutte d'eau en remplace une autre ».
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