Le rouge et le noir, première rencontre entre Julien et Mme De Rênal
Cours : Le rouge et le noir, première rencontre entre Julien et Mme De Rênal. Rechercher de 53 000+ Dissertation Gratuites et MémoiresPar Pedro Henrique Osorio • 1 Juillet 2022 • Cours • 2 556 Mots (11 Pages) • 361 Vues
Le rouge et le noir, Stendhal
Chapitre VI
(Première rencontre entre Julien et Mme De Rênal)
- Intro : Contexte auteur : Stendhal (Henri Beyle), écrivain français (XIXème siècle)
- Mouvements : Romantisme, réalisme
- Enfance difficile
- Œuvre : Le rouge et le noir, 1830
Publié à Paris
Sa deuxième œuvre après Armance
Œuvre en 2 parties : 1ère : parcours de Julien Sorel dans sa province
2ème : descente aux enfers de Julien
Problématique : En quoi cette première rencontre annonce-t-elle l’idylle qui va se nouer entre ces deux personnages ?
Annonce du plan : I/ Mme De Rênal découvre Julien
II/ Face a face entre les deux personnages
III/ Jugement de Mme De Rênal
I/
- 1 er § : d’emblée, Mme de Rênal nous est présentée comme un personnage mal à l’aise dans son environnement. Elle possède en effet des qualités qui, nous dit Stendhal, « lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes » : il y a là un paradoxe, car les qualités en question, « la vivacité et la grâce », supposent la présence d’un observateur extérieur. Une personne ne peut être qualifiée de gracieuse que par un témoin qui apprécie sa façon de se déplacer. On ne voit donc guère comment elle pourrait faire preuve de grâce et de vivacité…uniquement quand il n’y a personne pour pouvoir en juger ! Remarque : on peut aussi voir, dans cette phrase, une litote. Le texte peut sous-entendre qu’en présence du regard d’autrui, non seulement elle n’a ni grâce ni vivacité, mais elle est peut-être carrément gauche et maladroite. Bref, cette phrase initiale nous informe déjà que ce n’est pas une femme épanouie. Elle a des dons mais ces derniers ne peuvent s’exprimer. Elle n’est pas heureuse (effectivement, elle a sans doute fait un mariage de raison : elle respecte son mari mais ne ressent pas d’amour pour lui). Il est révélateur qu’on nous la présente en train de quitter le « salon » (l.2), pièce de réception et des relations sociales, pour se rendre dans le « jardin » (l. 2) afin d’être en paix avec elle-même. C’est loin des autres, dans la nature, qu’elle peut, justement, montrer ses qualités « naturelles » (l.1). À la l.3, elle découvre Julien : « quand elle aperçut… ». Le passage de l’imparfait au passé simple illustre le début de l’action, avec une impression de surprise et de choc soudain. Cela contribue à instaurer, dès cet instant, l’image d’un coup de foudre. En effet, Mme de Rênal est frappée essentiellement par le visage de Julien (« figure », l.3) ; rappelons-nous, à la ligne 1, la présence, déjà, du mot « regards ». L’amour, ici, naît d’abord dans le regard de l’être humain, qui frappe et séduit soudainement. On peut d’ailleurs remarquer, jusque dans la description du costume de Julien, la présence du mot « ratine » (l. 5) : ce mot désigne un type d’étoffe, mais est phonétiquement très proche du mot « rétine » (ce sont des paronymes). Autrement dit, Mme de Rênal est fascinée avant tout par les yeux de Julien, que l’on voit être discrètement évoqués jusque dans ses vêtements. Julien, quant à lui, apparaît en position de faiblesse et de vulnérabilité. De « jeune paysan » qu’il est d’abord, il devient presque aussitôt un « enfant » (l.3). Cette gradation descendante souligne son extrême jeunesse. Il y a par ailleurs une impression de pureté, illustrée par le champ lexical de la clarté : « pâle », « bien blanche » (l.4), « fort propre » (l.5). Ce sont des mots positifs bien sûr, mais ils suggèrent aussi l’idée de fragilité et de faiblesse. - 2°§ : toutes les observations faites jusqu’ici vont être confirmées et développées. Mme de Rênal garde ses yeux rivés sur ceux de Julien, fascinée qu’elle est par son « teint » (l. 6) et ses « yeux » (l. 6). Elle s’émerveille de les voir « si blanc… si doux » (l. 6) : l’anaphore de l’adverbe intensif « si » révèle le trouble qu’elle ressent. De façon un peu comique, elle va d’abord faire une méprise qui s’explique par son esprit « un peu romanesque » (l. 6), c’est-à-dire nourri de lectures amoureuses et sentimentales, loisirs qu’elle doit pratiquer à ses heures perdues (on peut aussi voir dans cette expression une sorte de litote : elle a probablement une imagination très fertile et débordante. Par ailleurs, la lecture doit être pour elle un moyen d’évasion d’un quotidien qu’elle n’aime pas : le fait qu’elle ne fasse référence à son propre mari que comme à « M. le maire » (l. 8) montre bien qu’elle n’a pas d’affection réelle pour lui). Spontanément, donc, elle prend Julien pour une jeune fille, ce qui peut se comprendre vu la beauté fragile et délicate du jeune homme. Bref, elle croit qu’il s’agit de quelqu’un d’autre en se méprenant sur son identité réelle : il vaut la peine de signaler que nous avons là une situation de quiproquo, ce qui est l’un des procédés typiques de la comédie. Et, d’ailleurs, si nous sommes attentifs au texte, nous pouvons remarquer que plusieurs détails contribuent à instaurer une atmosphère théâtrale : - la situation de quiproquo ; - la présence de la porte du salon d’où vient de sortir Mme de Rênal, comme une actrice sortant de la coulisse pour entrer en scène ; - Julien porte sa veste sur le bras, ce qui peut suggérer un rideau replié (au début d’une représentation) ; - elle le prend pour une jeune fille « déguisée » (l. 7), adjectif évoquant un costume de scène ; - Julien s’apprête à sonner à la porte : ces coups de « sonnette » (l. 9) pourraient correspondre aux coups de bâton signalant le début d’une représentation ; - enfin, la nature même de ce quiproquo, dans lequel une femme mariée prend un très jeune garçon pour une jeune fille, rappelle des souvenirs d’une pièce bien précise (et encore relativement récente à la date de composition du roman) : Le mariage de Figaro de Beaumarchais, dans lequel la comtesse se méprend de la même façon sur le sexe de son soupirant Chérubin, si jeune qu’il peut passer pour une fille. → La rencontre entre Julien Sorel et Mme de Rênal commence donc à la manière d’une petite comédie… dans laquelle, paradoxalement, ils vont tous deux se révéler l’un à l’autre sous leur vrai jour ! Quelle conclusion en tirer ? Que tous deux jouent en fait des sortes de rôles dans leur vie quotidienne : ils n’y sont à leur place ni l’un, ni l’autre. En revanche, confrontés l’un à l’autre, ils vont se montrer tels qu’ils sont, en dépit de cette méprise initiale. Signalons, pour terminer, un dernier élément appuyant cette atmosphère légèrement comique : nous avons un renversement ironique de la scène de séduction habituelle. En effet, d’après les codes (ou « clichés », ou « lieux communs », ou topoi) du genre, c’est l’homme qui fait le premier pas vers la femme. Ici, en revanche, l’initiative revient à Mme de Rênal : c’est souligné par les verbes pronominaux comme « s’approcha » (l. 10) et « s’avancer » (l. 11), qui montrent son implication dans l’action exprimée par le verbe ; on pourrait aussi relever la gradation « près » (l. 3) / « s’approcha » (l. 10) / « tout près » (l. 12), grâce à laquelle nous la voyons se déplacer physiquement. Julien, en revanche, reste passif : l’ « enfant » (l. 3) qu’il était devient même une simple « créature » (l. 8), gradation descendante qui montre son absence complète de volonté à ce moment-là.
II/
- « Julien se tourna vivement » (l. 14) : cette expression montre sa surprise, mais l’adverbe « vivement » (dérivé du mot « vie ») suggère dès cet instant qu’il va, en quelque sorte, reprendre vie et s’éveiller au bonheur au contact de Mme de Rênal. Il est « frappé » (l. 14) par son regard : de façon similaire à Mme de Rênal, il est attiré par les yeux. Pour lui aussi, c’est un choc immédiat (verbe frapper), ce qui corrobore l’idée du coup de foudre déjà évoquée. Les deux personnages sont fascinés par leurs regards respectifs, un peu comme s’ils se contemplaient l’un dans l’autre, dans une sorte de miroir qui leur révèle leur âme-sœur. Cette parfaite harmonie entre eux est soulignée par la ressemblance des phrases qui les décrivent : → Rappelons-nous la description de Mme de Rênal à la l. 1 : « Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes » ; → Voyons à présent ce qu’on nous dit de Julien : « il se tourna vivement, frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal » (l. 14). Nous constatons une correspondance remarquable dans les termes qui caractérisent ces deux personnages : 1) Chacune des descriptions commence par invoquer la vie (avec les dérivés « vivacité » et « vivement »), donnant ainsi l’impression qu’ils ne commencent à vivre pleinement qu’au moment de leur rencontre ; 2) Les mêmes termes « grâce » et « regards » apparaissent ensuite, mais dans des ordres différents, composant ainsi un chiasme qui souligne leur parfaite complémentarité (ils ne sont pas strictement identiques, mais sont comme le reflet l’un de l’autre). Le choc éprouvé par Julien est ensuite souligné par une série de gradations : « frappé » (l. 14) / « étonné » (l. 15) « grâce » (l. 14) / « beauté » (l. 15) « oublia une partie » (l. 15) / « oublia tout » (l. 15). Entre-temps, « Mme de Rênal avait répété sa question » (l. 16) : l’usage, ici, d’un verbe au plusque-parfait indique qu’elle l’a sans doute fait plusieurs fois, durant un certain temps, sans que Julien revienne à lui. En d’autres termes, nous avons ici un usage de l’ellipse, qui montre que Julien est resté figé un long moment avant de réagir (on le voit aussi à l’emploi de l’adverbe « enfin », l. 17). Cela permet de suggérer la violence du coup de foudre qu’il vient d’éprouver. - À la l. 17, le quiproquo est enfin dissipé lorsque Julien révèle sa condition de « précepteur ».On notera que le style direct est réduit au strict minimum : une seule phrase pour Julien, une seule (d’ailleurs plus courte encore) pour Mme de Rênal un peu plus haut, à la l. 13. Cela confirme ce que nous avions noté sur l’importance du regard : les personnages se sont reconnus instinctivement, ils n’ont pas besoin de recourir longtemps à la parole. - Dernier § (l. 19-25) : la fin du texte développe l’amour réciproque qui commence déjà à s’établir entre eux. Comme plus haut, on retrouve des détails de vocabulaire qui soulignent leur ressemblance. → Mme de Rênal reste « interdite » (l. 19) : de même, Julien était « frappé » (l. 14). → Ils sont occupés à « se regarder » (l. 19) : le verbe pronominal montre qu’ils sont tous les deux investis dans cette action. → Julien observe le « teint » (l. 20) de Mme de Rênal, le trouve « éblouissant » (l. 20) et « doux » (l. 21) : c’est la reprise, pratiquement mot pour mot, de ce que Mme de Rênal regardait en lui (« teint », l. 6 ; « si blanc… si doux », l. 6). Cet amour soudain provoque, chez Julien, une métamorphose spectaculaire : ses pleurs cessent brusquement de couler. → « les grosses larmes, qui s’étaient arrêtées » (l. 21) : il y a une sorte d’antithèse dans cette expression, la taille des larmes faisant qu’elles devraient, normalement, continuer à dégoutter. De plus, « ses joues si pâles » (l. 22) reprennent brusquement les couleurs de la vie : on passe, avec une gradation, à « si roses » (+ emploi de l’adverbe intensif « si »). Par ailleurs, bien sûr, la couleur rose, outre qu’elle est un signe de bonne santé, n’est pas éloignée du rouge : on ne se hasardera pas trop en devinant que Julien commence à rougir, symptôme évident de son amour naissant. Quant à Mme de Rênal, il s’opère en elle une transformation non moins remarquable : elle qui éprouvait un « amer chagrin » (l. 10) dans la première partie du texte, « se mit à rire » (l. 22). L’antithèse entre les deux expressions montre que la rencontre avec Julien a suffi à la changer du tout au tout, et dans le bon sens. D’ailleurs, le verbe « rire » est immédiatement repris, et amplifié, dans l’expression « gaieté folle » (l. 23). Cette gradation montre l’ampleur de son soulagement. Remarquons aussi la métaphore « gaieté folle d’une jeune fille » (l. 23), qui semble la rajeunir : c’est encore une façon de montrer qu’elle ressemble à Julien (qui, lui, est effectivement très jeune). Mme de Rênal est donc rassurée, car le précepteur qu’elle découvre n’a pas l’air d’un bourreau pour ses enfants. Aux l. 24-25, nous entendons d’ailleurs ses pensées au style indirect libre (c’est comme si Stendhal écrivait : « Mme de Rênal se dit que c’était donc là ce précepteur… »), et n’avons donc aucun doute sur ce qu’elle ressent. De plus, au soulagement pour ses enfants s’ajoute le plaisir de rencontrer un être vers qui elle se sent irrévocablement attirée : cela, elle ne le dit pas explicitement, mais nous l’avons largement compris en étudiant le texte.
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