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Le Rouge Et Le Noir De Stendhal

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des meilleurs ouvrages » publiés sur les questions auxquelles ils se rapportent. Stendhal ne s’aveuglait donc pas sur ses « plagiats ». Mais sans emploi de 1815 à 1830, il ne lui restait à peu près que sa plume pour vivre. Le retour des Bourbons le fit écrivain plus encore peut-être que ses goûts. Il n’eut jamais une grande vanité littéraire, bien qu’il appréciât justement sa valeur et qu’il sût annoncer avec une étonnante prescience sa gloire posthume. Du moins il n’attendait pas de son seul génie de grands succès d’argent, en quoi il fut sage. Au

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contraire il pensait assez naïvement se faire de précieuses ressources avec les divers travaux de librairie qu’il entreprenait sans se lasser, et dont il enrichissait les pages copiées de trésors puisés dans sa seule observation, sa seule raison, son seul esprit. Du jour où la Révolution de Juillet lui permit de briguer un nouvel emploi public et qu’il devint consul à Trieste, puis bientôt à Civita-Vecchia, ayant son pain quotidien assuré, il n’écrira plus que pour son plaisir. Il pourra bien emprunter le thème de ses romans et ses nouvelles, du moins on ne pourra plus sans injustice lui en tenir rigueur. Certes, en 1822, son recueil de réflexions et d’anecdotes sur l’amour renfermait assez de traits originaux, de vues générales et profondes, d’observations aiguës et d’effusions poétiques d’autant plus fraîches qu’elles jaillissent comme une source imprévue, pour faire la célébrité d’un homme. Toutefois ce petit livre battit le record des insuccès de librairie et un premier roman, Armance, fut généralement considéré comme incompréhensible.

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L’auteur n’accordait pas grande importance à tout cela. Il se faisait la main et se plaignait plus de sa pauvreté que de son manque de succès. * Le petit cercle des lettrés cependant reconnaissait sa valeur et David d’Angers venait de modeler son médaillon, l’année même qu’il fit paraître ses Promenades dans Rome (1829). Son cousin très dévoué, Romain Colomb, qui avait été pour cet ouvrage son collaborateur occasionnel avait durant bien des mois remarqué sur son bureau un dossier qui dormait, avec, en gros caractères, un seul nom pour titre sur la couverture : Julien. C’était l’ébauche ou tout au moins le premier projet du Rouge et Noir. Dans une note liminaire qui figurait sur la première édition et qu’à l’encontre de ce qu’ont fait presque tous les éditeurs, j’ai cru devoir rétablir dans celle-ci, Stendhal affirme que cet

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ouvrage fut écrit en 1827 et qu’il ne contient aucune allusion politique aux événements de 1830. Simple précaution d’un esprit prudent et qui ne trompera personne. À la page suivante du reste l’auteur donne pour sous-titre à son livre : « Chronique de 1830 », et contrairement à son allégation de nombreuses allusions à des faits immédiatement contemporains militent en faveur de cette dernière date. Aussi bien le fait-divers qui, comme nous allons le voir, servira de support à l’œuvre d’Henri Beyle ne dut lui être connu avec quelques détails que par la lecture de la Gazette des Tribunaux dont il était friand et qui le relatait dans ses numéros des 28, 29, 30 et 31 décembre 1827. Peut-être même le romancier ne lut-il ces numéros qu’avec quelques mois de retard et il n’est pas impossible, si l’on en croit une note écrite de sa main sur un exemplaire des Promenades dans Rome, que l’idée première du roman lui soit venue dans la nuit du 25 au 26 octobre 1828. Quoi qu’il en soit, ce ne dut être qu’après avoir terminé les Promenades dans Rome et probablement au début de 1830 que Stendhal

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rouvrit le dossier qui dormait sous le titre de Julien, et le mit au point avec la rapidité qu’il apportait d’ordinaire à la rédaction de ses livres. Par un traité en date du 8 avril 1830, il avait cédé pour 1500 francs à l’éditeur Levavasseur le droit d’en donner deux éditions de 750 exemplaires chacune : la première, in-8 en 2 volumes, et la seconde, in-12, en 4 volumes. Mais il avait à peine fini de revoir ses épreuves qu’il était nommé Consul à Trieste, et que laissant à l’éditeur le soin de relire les derniers cartons, il se mettait en route le 6 novembre pour aller prendre possession de son consulat. Il laissait derrière lui – avec ce fatalisme et ce détachement qui chez lui n’étaient point feints mais qu’il montra toujours pour tous ses écrits – ces deux volumes qui devaient mettre leur auteur au rang des premiers romanciers psychologues non seulement de son temps et de son pays, mais de tous les âges et de toutes les littératures. Outre l’intérêt propre du roman, son titre pique notre curiosité. Stendhal, raconte Romain Colomb, le trouva subitement et comme sous le

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coup de l’inspiration. Ce n’était peut-être qu’une concession à la mode du temps qui était aux noms de couleurs ; mais on a voulu y voir aussi une allusion aux hasards de la destinée analogues à ceux du jeu et le très érudit stendhalien Pierre Martino a retrouvé deux ouvrages anglais antérieurs à celui de Beyle et qui portent ce même titre pris dans cette acception très nette. D’autres ont émis l’hypothèse que ces couleurs soulignaient le conflit des idées de la gauche libérale avec les menées des prêtres et de la Congrégation sous le règne de Charles X. Beyle, de son côté, aurait donné une explication aussi plausible : Le Rouge signifierait que venu plus tôt Julien Sorel eût été soldat, mais, que dans l’époque où il vécut, il dut se faire prêtre, de là Le Noir. C’est dans une intention analogue que Stendhal, quelques années plus tard, racontant l’histoire de Lucien Leuwen, l’a voulu successivement l’Amaranthe et le Noir, puis le Rouge et le Blanc. Le premier titre eût symbolisé les tenues portées tour à tour par son héros : l’uniforme des lanciers puis l’habit des maîtres des requêtes ; le second eût marqué l’opposition

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des sentiments libéraux et des sentiments légitimistes qui se heurtent dans plus d’un chapitre de son livre. Au lecteur de choisir sa version, mais si le titre demeure obscur, les sources du roman sont mieux connues et permettent de bien comprendre comment Stendhal composait et quelle était d’ordinaire sa méthode de travail. * On a voulu soutenir que son don d’invention était à peu près nul parce que l’anecdote dont il part, presque toujours, est prise par lui, sans y changer grand-chose, ou dans un vieux livre ou dans une gazette récente. Il est vrai que pour Stendhal le thème initial importait peu. Ce qu’il voulait, ce n’était que la vérité absolue dans l’ordre des idées. Et s’il n’avait pas l’imagination des faits, du moins avait-il celle des sentiments à un degré où bien peu surent atteindre. Le sujet pour lui est ce noyau central autour duquel il va

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cristalliser tout à son aise. Si la comparaison ne semblait irrespectueuse, nous dirions qu’il fait ses romans comme on fabrique les perles japonaises. Au centre, le petit morceau de nacre ou d’écaille n’a plus grande importance. Il a bientôt disparu sous les couches concentriques d’une matière sans prix et d’un orient idéal. Ainsi, par ce don qu’il a d’expliquer perpétuellement la pensée et la vie, Stendhal a su créer des types immortels. Pourquoi a-t-il écrit Armance ? En apparence parce qu’il avait été séduit l’année précédente par un sujet assez scabreux que, d’après un roman allemand, Mme de Duras puis Henri de la Touche avaient traité tour à tour. Stendhal prit le même sujet et traita à son tour ce cas exceptionnel d’un jeune héros si disgracié de la nature qu’il était empêché de témoigner l’amour qu’il ressentait. Mais tout aussitôt il en fit une œuvre personnelle et qui n’appartient réellement qu’à lui. On sait de même que l’idée première et parfois tout le plan de l’Abbesse de Castro, comme des Chroniques italiennes, ou de la Chartreuse ellemême, sont puisés dans de vieux ouvrages

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italiens. Le Rouge et le Noir, quand à lui, n’est qu’un fait divers romancé. Antoine Berthet, fils d’artisan pauvre est distingué par son curé à cause de sa vive intelligence. Il entre au séminaire, mais sa mauvaise santé l’en fait sortir. M. Michoud lui confie l’éducation de ses sens ; il devient l’amant de Mme Michoud, âgée de trente-six ans et d’une réputation jusque-là intacte. Il entre ensuite au grand séminaire de Grenoble où on ne le garde pas. Il trouve alors une nouvelle place de précepteur chez M. de Cordon. Il a une intrigue avec la fille de la maison. Congédié de nouveau, aigri de n’être toujours qu’un domestique, il jure de se venger. Et dans l’église du curé de Brangues, son bienfaiteur, le 22 juin 1827, il tire pendant la messe un coup de pistolet sur Mme Michoud. En décembre, il passe devant la cour d’assises de l’Isère ; il est condamné et porte sa tête sur l’échafaud le 23 février 1828. Il avait vingt-cinq ans. Ce canevas si sec, l’ai-je emprunté au roman

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de Stendhal ? Non point : ce fait passionnel est rigoureusement authentique, et les lecteurs de la Gazette des Tribunaux ont pu le lire à l’époque dans leur journal. Mais changeons, si vous le voulez bien, quelques noms. Berthet

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