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Comment gerer les conflits au sein de l'entreprise

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sa tête s’insinuent des idées noires « Cette affaire est stupide : un malentendu ! Pourquoi être accusé de malveillance ? Quel paranoïaque ! Et puis j’en ai assez de cette pression constante. Si ça continue, je plaque tout ! » Le salarié, lui aussi, est tourmenté : « Cette fois la coupe est pleine. Assez de travailler dans l’ombre de patrons qui s’arrogent tous les droits, décident de tout sans consulter et s’approprient sans vergogne le travail d’autrui. Leur oubli est révélateur. C’en est assez ! » Cette nuit-là, dans un drôle de rêve, l’un des dirigeants rêvera de foudroyer son collaborateur au rayon laser (« tiens, prends ça ! »).

De la banalité du mal

Question : comment expliquer que des gens a priori intelligents, cultivés, honnêtes, travailleurs, pétris de bonnes intentions en arrivent à se heurter violemment, à se combattre, se détester, se rendre malade et, pour finir, se vomir mutuellement ? Comment expliquer que le collègue, l’associé ou le chef, avec qui l’on a travaillé des années sans problème puisse apparaître tout à coup comme un usurpateur, un pervers, un être fourbe, diabolique, malfaisant et malade qu’il faut éliminer au plus tôt pour le bien de tous ? Un malheureux constat s’impose d’abord. Dans les organisations surviennent périodiquement

des querelles de toute nature : conflits verticaux entre dirigeants et salariés, conflits horizontaux entre salariés ou entre dirigeants. Parfois ils prennent l’allure d’une crise ouverte, parfois ils restent larvés. Aucun type d’organisation n’est épargné : PME, multinationale, syndicats, partis, associations, dans l’industrie comme dans la culture, la science ou les arts… Même les communautés monastiques n’en sont pas exemptes (1). C’est un fait général, aussi banal que brutal. On aurait tort d’attribuer les conflits à de simples pathologies personnelles. Certes, il existe bien des « personnes à problèmes » – personnalités autoritaires, paranoïaques, borderline, étouffantes – qui suscitent fréquemment des conflits autour d’eux. Gilles est connu pour ses fréquents « coups de gueule » ; il s’est heurté tour à tour à plusieurs de ses collègues. Après chaque dispute, il se calme et vient s’excuser, mais la répétition du scénario a entraîné peu à peu une réaction de défense et de retrait. Et cette mise à l’écart renforce chez lui le sentiment qu’on lui en veut. Toute une panoplie de comportements pathogènes peut aussi susciter les conflits : petits chefs pervers, frustrés, dominateurs, méprisants ; ou, à l’inverse, des dirigeants faibles, instables, tourmentés, incapables de prendre des décisions. De même, certains modes d’organisation sont plus pathogènes que d’autres : organisations hypercompétitives, petites entreprises où les relations sociales ne sont pas régulées par des normes établies, entreprises en difficulté, hautes sphères des grandes entreprises où règne une compétition féroce pour le pouvoir, etc.

Des causes multiples

Mais il est inutile de rapporter les conflits à des pathologies personnelles ou à des dysfonctionnements organisationnels. Les conflits sont irrévocables et inhérents à toutes les organisations. Telle est la conclusion des spécialistes (2). La raison en est simple. Contrairement à la vision idéaliste du travail en équipe, les individus s’affrontent dans une organisation tout simplement parce qu’ils ne partagent pas les mêmes intérêts, les mêmes représentations, les mêmes projets, les mêmes ambitions. Chacun doit cohabiter et collaborer avec d’autres tout en ayant des buts et des perspectives lui étant propres. Revenons à l’exemple de la société de presse. L’organisation d’une rédaction suppose de faire collaborer des journalistes – salariés à forte expertise et souvent forte personnalité – avec un rédacteur en chef qui doit faire prévaloir son autorité pour maintenir la ligne éditoriale. Henry Mintzberg décrit ce mode d’organisation comme une « alliance bancale » typique des salles de rédaction mais aussi des orchestres symphoniques (3). L’affrontement des compétences et des exigences de chacun est potentiellement conflictuel. Heureusement, la plupart du temps, les choses se passent bien parce que tout un arsenal de dispositifs de régulation est là pour tempérer, amortir, éviter les conflits. Mais jamais les supprimer complètement. On peut évoquer des causes anthropologiques profondes : la lutte pour la reconnaissance, le conflit des ego, les guerres de territoire, les rivalités entre mâles dominants (4)… A cela s’ajoutent des causes proprement sociologiques. Selon l’analyse des conventions, les querelles dans les organisations s’appuient sur le conflit entre « principes de justice » différents. Dans une société de presse, la rigueur et la qualité de l’information représentent des valeurs supérieures et difficilement négociables ; mais le principe d’efficacité qui veut que les articles soient remis à l’heure dans un format défini représente un autre principe tout aussi légitime. De même, le « principe marchand » qui veut que les sujets soient attractifs se justifie pour assurer l’existence du journal. Chaque groupe professionnel (journalistes, secrétariat de rédaction, marketing) se fait le porte-parole d’un type de légitimité et cette pluralité de valeurs peut être source de tension.

Dynamique d’un conflit

Tristement banals, les conflits au travail se déroulent souvent selon un scénario commun qui s’articule en général autour de trois phases : 1) la montée des tensions, 2) la crise, 3) le dénouement. • La montée des tensions. Souvent, un conflit se déclenche à partir d’un fait apparemment anodin (dans le cas du journaliste qui se sent floué, l’affaire du droit d’auteur bafoué). L’incident dégénère en confrontation parce qu’elle révèle des tensions cachées et plus profondes. Justine et Claire travaillent dans le même bureau dans une petite société de communication publicitaire. Justine rencontre les clients, prépare les messages, Claire les met en page. Justine trouve souvent le travail de Claire médiocre et doit chaque fois lui faire recommencer ses maquettes. Claire en a assez de se voir toujours mise en cause par les conceptions graphiques de Justine, qu’elle ne partage pas. Un jour, une dispute violente éclate entre elles. L’une reproche à l’autre « ses goûts de chiottes », l’autre de « ne pas savoir ce qu’elle veut ». La subite altercation survient après une progressive montée des tensions, résultant d’un conflit larvé qui dure depuis des semaines, voire des mois. Les tensions cachées ont de multiples sources possibles : conflits de rôles, de personnes, de valeurs, de projets, etc. Dans toutes les organisations, le partage des rôles et la répartition des pouvoirs suscitent des zones de frictions multiples. La plupart du temps, ces tensions sont mineures ou laissées en sourdine. Parfois, elles s’accumulent en silence. Que surviennent des circonstances nouvelles – stress dû à un surcroît de travail, mauvais résultats, nouvel enjeu susceptible de faire basculer les rapports de force – et la situation s’envenime. • La crise ouverte. Julien est directeur général d’une PME. Il a oublié d’informer Estelle, responsable de fabrication, qu’il avait changé l’heure d’une réunion de travail. Estelle est donc informée à la dernière minute et doit annuler de toute urgence un rendez-vous programmé avec un client à cette heure-là. Après la réunion, elle demande à voir Julien en tête à tête. Et là, elle vide son sac et s’effondre en larmes. La réaction est apparemment disproportionnée par rapport au problème. Pourtant son attitude n’est pas « irrationnelle » comme le pense Julien. Le changement inopiné d’horaire est « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Voilà des semaines qu’Estelle cherche à faire comprendre à Julien qu’elle est surchargée de travail, qu’elle n’arrivera pas à tenir ses objectifs, que les réunions interminables sont souvent inutiles, que les objectifs changent tout le temps, qu’elle ne sait plus ce que l’on attend d’elle, qu’elle doit se débrouiller seule, que Julien n’en fait qu’a sa tête sans consulter ses collaborateurs. Certains conseillers en organisation voient dans la crise un phénomène normal et positif. La crise permet de dénouer les tensions, de « crever l’abcès », d’exprimer au grand jour les nondits. Et cela serait plus sain que de maintenir une sourde hostilité. Mais l’incident peut, à l’inverse, déclencher un cycle de « montée aux extrêmes. » Suite à une altercation entre deux salariés, l’un d’entre eux « craque » et sombre dans une grave dépression. Un cadre fait une réprimande à un salarié (à propos de retards répétés), celui-ci se sent menacé, contacte immédiatement un délégué syndical. Echange de lettres recommandées, avocats, l’affaire se déplace sur le terrain juridique et le droit prend le relais sur le dialogue. Deux dirigeants se disputent à propos d’un conflit de responsabilité. Ils montent à la direction pour éclaircir l’affaire. La direction opte pour l’un des dirigeants. L’autre, désabusé, remet sa démission. Etc. La montée aux extrêmes est parfois l’expression de la mise au jour de tensions sous-jacentes. Mais parfois, c’est aussi la dynamique propre du conflit qui conduit à un emballement de l’affaire. Un chef d’équipe demande à un subordonné d’effectuer une tâche en urgence. Ce dernier refuse au motif qu’il

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